Les secrets de la DUDH, le document le plus traduit au monde

Quelle valeur a la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ? Quelle est la langue de référence pour les traductions de la DUDH ?
Quelle valeur a la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ? Quelle est la langue de référence pour les traductions de la DUDH ?

On mesure souvent le degré d’influence d’un auteur à son nombre de traducteurs. Mais, si le livre le plus traduit au monde reste toujours la Bible, peut-être ne saviez-vous pas que la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) est aujourd’hui le document le plus traduit au monde, avec 525 traductions approuvées en 2021 (dont une en langue des signes).

La DUDH n’a aucune valeur légale, et n’a pas mis fin aux guerres ou aux violations des droits humains. Pourtant, elle ne cesse d’être traduite dans toujours davantage de langues : la dernière traduction en date a été réalisée en elsassische — la langue de l’Alsace — parlée par quelque 800 000 locuteurs.

Pourquoi ce succès ? Quelle influence ce document a-t-il dans le monde ? Pourquoi continuer de traduire un document sans réelle valeur contraignante pour tous ceux qui ne respectent pas ses idéaux ?

La Déclaration universelle des droits de l’homme, un idéal

Aux origines de la DUDH

A la fin de la Seconde guerre mondiale, les pays vainqueurs ont ressenti le besoin d’écrire un texte proclamant haut et fort les droits dont dispose chaque être humain – afin que, jamais, ne se reproduise l’horreur des camps de concentration.

Adoptée en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme n’a cependant aucune valeur légale : ce n’est « ni une loi, ni une convention, mais une proclamation douée d’une action à la fois plus haute et plus lointaine » pour reprendre les mots de René Cassin, le principal rédacteur de la DUDH.

Par ces mots, le Français soulignait l’ambition universaliste de la Déclaration : transcendant les nations, dépassant l’imperfection des lois et des conventions, la DUDH se pose en idéal à atteindre pour toute société humaine, quelques soient les particularismes culturels ou individuels.

Comment traduire un idéal universel ?

Cependant, la traduction de ce document ne va pas de soi. Toutes les langues véhiculent des idées, des cultures, des traditions philosophiques différentes ; certains vont même jusqu’à dire que les langues influencent notre vision du monde.

Droits de l’homme ou droits humains ?

S’agissant de la DUDH, la langue de référence est le français, pour deux raisons : son principal rédacteur était Français, et la langue de Molière est l’une des langues officielles de l’ONU.

Mais le nom même de la DUDH pose déjà un premier écueil : alors que le français parle des “droits de l’homme“, la plupart des autres langues vont parler de “droits humains” (human rights, derechos humanos, etc). Certains pays ont d’ailleurs refusé de signer la convention en proclamant que les femmes ne devaient pas avoir les mêmes droits que les hommes.

Cela pose d’infinies questions : puisque le français est tout à fait capable de parler de “droits humains”, pourquoi avoir choisi “droits de l’homme” ? Pourquoi ne pas changer ce terme ? Le fait que le nom officiel de la DUDH soit la “Déclaration universelle des droits de l’homme” affaiblit-il les traductions qui choisissent de parler de “droits humains” ?

En réalité, cette question a été vite tranchée en choisissant six langues officielles pour la DUDH : l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français et le russe. En cas de litige concernant l’interprétation du texte, ce sont ces six langues qui feront office de référence ; mais, en cas de litige d’interprétation entre langues de référence, c’est la version française du texte qui tranchera.

Have to, should ou must ?

Un autre exemple de défi que pose la traduction de la DUDH est l’utilisation de verbes contraignants. L’anglais, par exemple, possède au moins cinq nuances pour signifier que quelqu’un doit faire quelque chose : “must“, “have to“, “should“, “may,”, “could“. Si le texte français dit que tous les êtres humains “doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité”, faut-il traduire cela par :

  • should act towards one another in a spirit of brotherhood ?
  • must act towards one another in a spirit of brotherhood ?
  • have to act towards one another in a spirit of brotherhood ?

Rappelons la différence entre ces trois expressions. “Must” relève de l’opinion personnelle (“you must get vaccinated !“) ; “have to” relève de la parole d’expert ou d’une personne en position d’autorité (“experts say you have to get vaccinated“), tandis que “have got to” relève de l’obligation personnelle (“I’ve got to get vaccinated !“).

La traduction officielle de la DUDH a choisi “should“, qui traduit davantage un conseil, une suggestion non contraignante. Dans sa version anglaise, le premier article de la DUDH doit donc se lire de la façon suivante :

“A notre avis, les êtres humains devraient agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité, mais faites comme bon vous semble.”

7 choses que vous ne saviez pas sur la DUDH

Outre le fait qu’il s’agisse du document le plus traduit au monde, peut-être ne saviez-vous pas que la DUDH …

1. … n’a aucune valeur juridique

La Déclaration universelle des droits de l’homme n’a aucune valeur juridique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle est autant traduite : ses traducteurs n’ont pas besoin d’être juristes et les traductions n’ont donc pas besoin d’être validées par le système judiciaire ou législatif d’un pays.

En Europe, les principes de la DUDH ont été repris par la Convention européenne des droits de l’homme de 1951 qui, elle, s’inscrit dans l’ordre juridique interne des 47 pays membres qui ont ratifié ce texte.

2. Huit pays se sont abstenus de la reconnaître

Les représentants de l’Afrique du sud ont refusé de reconnaître l’égalité de tous les êtres humains. L’Arabie Saoudite s’opposait à l’égalité homme-femme, et le bloc soviétique (Pologne, Tchécoslovaquie, Ukraine, Yougoslavie, Union soviétique, Biélorussie) s’opposait à la définition occidentale de l’universalité.

3. L'”universalité” de la DUDH continue de poser question en 2021.

La Chine a déclaré que les droits humains sont une invention occidentale, et une partie des pays musulmans place les lois religieuses au-dessus des droits humains.

4. “Droits de l’homme” ou “droits humains” ?

Si le français a choisi de parler de “droits de l’homme” par attachement à la déclaration de 1789, la plupart des traductions de la DUDH vont parler de “droits humains”. Cela pose tout de même question, dans la mesure où le français reste la langue de référence de la Déclaration.

5. Eleanor Roosevelt était la seule femme du comité de rédaction de la DUDH …

… et doit d’ailleurs sa place au décès de son mari, l’Américain Franklin D. Roosevelt, qui devait présider la commission de rédaction.

6. La DUDH a été comparée à la lettre au père Noël

… par Jeanne Kirkpatrick, ancienne ambassadrice américaine à l’ONU et fervente avocate de la Realpolitik.

7. L’absence d’allusion à la nature ou à Dieu

C’est au représentant chinois que l’on doit l’absence d’allusion à la nature et à Dieu dans la DUDH. En effet, Peng-Chun Chang était le seul représentant de l’Asie ; dramaturge, philosophe et diplomate, très attaché à l’universalisme, il était obsédé par l’idée que la DUDH ne devait pas refléter les seules idées occidentales.

11 traductions du premier article de la DUDH

Si le monde de la traduction vous intéresse autant que nous, peut-être serez-vous curieux de découvrir toutes les traductions de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En attendant, amusez-vous à lire ces onze traductions du premier article de la DUDH – en espérant que vous tomberez, vous aussi, amoureux de la beauté de l’inuktikut.

Français

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Occitan

Tu luz òmò vinyon u mondo, librò, tu tòton pè leû dinyitò è leû drèye. Y’on tu d’émò è dè konhyinhi è i dèvon fè- mouhò dè fratèrnitò aouèy luz òtri.

Anglais

All human beings are born free and equal in dignity and rights. They are endowed with reason and conscience and should act towards one another in a spirit of brotherhood.

Espagnol

Todos los seres humanos nacen libres e iguales en dignidad y derechos y, dotados como están de razón y conciencia, deben comportarse fraternalmente los unos con los otros.

Huasteco

Patal an inik ani an uxum u wa’tsinal walkadh abal jununúl kin bats’uw an alwa’taláb ani ka pidhan in éy jant’ini’ in tomnál; in kwa’al in tsalpádh ani in k’ayá’ abal kin k’anidha’ in juntal.

Russe

Все люди рождаются свободными и равными в своем достоинстве и правах. Они наделены разумом и совестью и должны поступать в отношении друг друга в духе братства.

Kazakh

Барлыќ адамдар тумысынан азат жѕне ќадір-ќасиеті мен кђќыќтары тењ болып дџниеге келеді. Адамдарѓа аќыл-парасат, ар-ождан берілген, сондыќтан олар бір-бірімен туыстыќ, бауырмалдыќ ќарым-ќатынас жасаулары тиіс.

Turc

Bütün insanlar hür, haysiyet ve haklar bakımından eşit doğarlar. Akıl ve vicdana sahiptirler ve birbirlerine karşı kardeşlik zihniyeti ile hareket etmelidirler.

Wama

Yiriba na bà sikindo dare bà mɛɛri, da seena yirimma mii bà ta da i nɛki bà tɔɔba.

Chinois

人人生而自由,在尊严和权利上一律平等。他们赋有理性和良心,并应以兄弟关系的精神相对待。

Inuktikut (Groenland)

Inuit tamarmik inunngorput nammineersinnaassuseqarlutik assigiimmillu ataqqinassuseqarlutillu pisinnaatitaaffeqarlutik. Solaqassusermik tarnillu nalunngissusianik pilersugaapput, imminnullu iliorfigeqatigiittariaqaraluarput qatanngutigiittut peqatigiinnerup anersaavani.

Apprenez une nouvelle langue avec Babbel
Commencez aujourd'hui
Partagez :