Venise et le dialecte vénitien en quelques mots

Un voyage à la découverte de Venise à travers l’histoire de quelques mots de dialecte vénitien aux origines insoupçonnables.
Image des personnages vénitiens de Colombine et Pantalon et du personnage de Bergame Arlequin dans des poses théâtrales

Pour un voyage à Venise, quelques notions de dialecte vénitien s’imposent !

Les secrets (de Polichinelle) du dialecte vénitien

Parmi les merveilleux endroits que l’on peut visiter en Italie, Venise est certainement le plus étrange et le plus fascinant. L’absence de voitures fait qu’on a cette impression d’un silence presque irréel (bateaux et touristes mis à part), accompagné d’une atmosphère mystérieuse et onirique renforcée par le brouillard qui s’étend l’hiver sur les canaux. Une fois par an, c’est aussi une destination d’exception grâce au carnaval, ce festival grandiose qui attire chaque année des milliers de visiteurs du monde entier. Enfin, les mythes et légendes concernant la ville ne manquent pas. Chaque recoin possède sa propre histoire, réelle ou fantasmée. Une chose est en tout cas certaine : Venise est unique au monde (n’en déplaise aux mauvaises répliques) et mérite d’être visitée au moins une fois dans sa vie.

Exceptionnellement, mettons de côté la place Saint-Marc, le pont du Rialto et le pont des Soupirs (même si nous vous recommandons chaudement d’aller visiter ces lieux !) et laissons nous porter par une autre histoire, celle du dialecte vénitien. Certains mots vénitiens ont une origine atypique, insoupçonnable aujourd’hui. Ces récits de mots sont aussi un merveilleux moyen de découvrir le passé de la ville sous un angle inhabituel. Les quelques exemples qui suivent ont particulièrement de quoi surprendre, d’autant plus qu’ils sont couramment utilisés en italien et dans d’autres langues telles que l’anglais et le français.

Ciao : le mot le plus célèbre du dialecte vénitien

Histoire de vous mettre en appétit, nous pourrions citer le mot « ciao », venant de « s’ciàvo » qui est lui-même la contraction de « schiavo » (esclave). « Ciao » signifie donc littéralement « je suis ton esclave », « je suis à ton service », soit une manière d’exprimer son amitié fidèle à quelqu’un. Vous serez peut-être étonné d’apprendre que son usage n’est entré dans la langue italienne que tardivement, au début du XIXe siècle. Il s’est ensuite très rapidement diffusé au-delà des frontières.

Il existe également une multitude de termes du dialecte vénitien plus étroitement liés à la ville et encore couramment employés en italien ou dans d’autres langues, tels que « laguna » (lagune) lui-même dérivé du latin « lacuna » (trou), « arsenale » (arsenal), lui-même dérivé de l’arabe « Dār al-ṣināʿa », « lido » (lido), « regata » (régate), « gondola » (gondole) ou encore « cantiere » (chantier), pour ne citer que les plus connus. Inutile de posséder des connaissances approfondies en étymologie pour deviner que ces termes sont tous directement issus de la grande tradition navale vénitienne et du caractère insulaire de l’ancienne république. Nous allons donc vous faire découvrir quelques exemples de mots tirés du dialecte vénitien

Marionetta (marionnette)

L’origine de la marionnette remonte à une lointaine époque et plus précisément, à un événement qui s’est déroulé à Venise au Xe siècle. À cette époque, les mariages des habitants de la ville étaient célébrés le même jour, une fois par an. Un cortège aquatique conduisait les promises à leurs futurs époux, qui les attendaient à la basilique de San Pietro di Castello. Lors de la célébration des mariages en 944, des pirates du Trieste prirent les fiancées en otage ainsi que leurs dots. Ils furent immédiatement capturés par de valeureux Vénitiens qui parvinrent à sauver les femmes et à les ramener chez elles saines et sauves.

Une marionnette de femme danse sur l'eau entre deux gondoles
Le mot marionnette est issu du dialecte vénitien

Afin de rendre grâce à la Vierge pour cette heureuse issue, il fut décidé que les familles nobles et influentes de la ville offriraient une dot à douze jeunes femmes, choisies parmi les plus pauvres. Celles-ci étaient alors surnommées « le Marie » (les Maries) et devaient défiler chaque année à travers la ville en commémoration de l’expédition victorieuse des Vénitiens contre les Triestins. Or, d’année en année, le choix des douze jeunes femmes devint de plus en plus difficile, toutes désirant bénéficier de ce privilège. Par ailleurs, la volonté des familles patriciennes de se mettre en valeur grâce à des dons de plus en plus généreux se transforma en une véritable compétition, rendant économiquement insoutenable la poursuite de cette pratique.

Comment faire, dès lors, pour maintenir la tradition sans mécontenter personne ? En 1272, la République sérénissime décida de substituer aux douze jeunes filles de grandes poupées de bois qui furent baptisées du nom de « Marione » (« one » étant, en italien, un suffixe augmentatif). Par la suite, les commerçants vénitiens fabriquèrent des répliques mises en vente sous le nom de « marionette » (marionnettes), qui n’est autre que le diminutif en dialecte vénitien de « Marione ».

Ballotaggio (ballotage)

Le ballotage servait à désigner les acteurs du pouvoir vénitien
Le ballotage servait à désigner les acteurs du pouvoir vénitien

Le mot « ballotaggio » est issu du dialecte vénitien et dérive d’une procédure de vote utilisée autrefois pour élire le Doge de Venise. Cette procédure, d’une grande complexité, était censée garantir au vote une impartialité et une transparence parfaites. Le système prévoyait que des billes d’or et d’argent, les « ballote », soient glissées dans une urne, puis extraites par les sénateurs à différentes étapes. La procédure évitait notamment que les membres d’une même famille ne participent au même vote. Le terme a aujourd’hui trouvé sa place dans les langues anglaise (ballot) et française (ballotage). Au XVIIIe siècle, quand les deux jeunes républiques durent opter pour un nouveau système électoral, elles prirent en effet comme modèle celui du pouvoir vénitien.

Brolio (imbroglio)

Un homme chuchote à l'oreille d'un autre homme entre les arbres du Brolio la nuit
Un imbroglio, le dialecte vénitien ? En tout cas le mot vient tout droit de Venise !

Par le proverbe « Fatta la legge, trovato l’inganno », on affirme en italien que « toute loi contient le moyen de la contourner », un adage dont on peut facilement démontrer le bien-fondé, par exemple en reprenant le cas décrit précédemment. En effet, afin de contourner les règles de vote du Doge, garanties par cette procédure stricte, les membres du Conseil se retrouvaient au « Brolio », un jardin situé à côté du Palais des Doges vénitien, où se déroulait le vote.

C’est là, à l’abri des arbres, que se nouaient les intrigues, se tramaient des complots et se marchandaient les voix entre les membres du Conseil. Le nom de ce lieu et sa valeur symbolique ont été repris plus tard par la langue italienne, et c’est ainsi que « Brolio » est devenu « imbroglio », terme également utilisé en français afin de désigner une situation inextricable.

Pantaloni (pantalon)

Colombine, Arlequin et Pantaloni prennent des poses théâtrales
Le mot pantalon vient de Pantaloni, célèbre personnage du carnaval vénitien

Pantaloni est le nom d’un des personnages de la Commedia dell’Arte, celui du vieillard avare et crédule, souvent associé à Arlequin. Sa tenue comporte traditionnellement une bourse liée à la taille, une cape noire ainsi qu’un masque au nez crochu et une sorte de robe moulante rouge ne faisant qu’une pièce avec ses bas. Le nom du personnage en dialecte vénitien a fini par se confondre avec sa tenue, baptisée « pantalon » par métonymie. Il paraît que le pantalon était tellement à la mode auprès des classes populaires vénitiennes que ses citoyens étaient eux-mêmes surnommés en France les « pantaloni ».

Gazzetta (gazette)

Un personnage lit la gazette vénitienne entourée de symboles de la république italienne
Notre « gazette » vient du mot « gazetta » en dialecte vénitien

La prochaine fois que vous vous rendrez dans un kiosque afin d’acheter la gazette sportive, sachez que vous perpétuez là une tradition vénitienne centenaire, datant plus précisément de 1500. Afin d’informer la population des crises qui bouleversaient les relations diplomatiques entre le pouvoir vénitien et l’Empire ottoman (crises qui finirent par déboucher sur la guerre vénéto-ottomane de 1499-1503), le gouvernement faisait publier des journaux au format réduit de huit pages maximum, vendus au public à un prix modeste. Or, la petite monnaie portait le nom de « gaxeta » en dialecte vénitien, terme plus tard repris en italien et transformé en « gazzetta ». Il est par la suite devenu synonyme d’une publication périodique destinée à informer les habitants.

Illustrations de Elena Lombardi

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