Illustrations de Julie Guillot
Il a fait cauchemarder des générations d’enfants, a valu des remarques incisives, a donné la migraine à des parents et a humilié de valeureux francophones. Pourtant, quand on apprend à le connaître et à le comprendre, il ne paraît plus si cruel. Mais qui donc ? L’accord du participe passé bien sûr !
Institution de la langue française, l’accord du participe passé aurait été inventé au XVIe siècle par Clément Marot, sur le modèle de la grammaire italienne. Voici ce que Voltaire aurait d’ailleurs écrit à son sujet :
« Clément Marot a ramené deux choses d’Italie : la vérole et l’accord du participe passé… Je pense que c’est le deuxième qui a fait le plus de ravages ! »
Hantise des apprenants, l’accord du participe passé est pourtant l’une des bases incontournables de la grammaire française. Mais c’est aussi le point de départ d’innombrables joutes… verbales ! Et si l’accord du participe passé n’avait plus de secrets pour vous ? C’est le défi que nous allons relever avec cet article : nous allons vous présenter les principaux cas dans lesquels s’accorde le participe passé. Et pour nous assurer qu’aucun désaccord ne subsiste, nous avons illustré chacun de ces cas par une ou plusieurs citations célèbres, à l’instar de notre dernier article sur les figures de style.
L’accord du participe passé : règles générales
• Le participe passé sans auxiliaire
Commençons par le plus simplissime des cas : la règle de l’accord du participe passé sans auxiliaire. Sans auxiliaire, c’est le participe passé qui joue le rôle d’adjectif. Dans ce cas, le participe passé est toujours accordé en genre et en nombre avec son sujet.
• L’accord du participe passé avec le verbe être
Poursuivons maintenant avec une règle relativement simple, et surtout très connue : l’accord du participe passé avec le verbe être. Quel que soit votre âge, je suis à peu près sûre que vous vous souvenez encore de cette règle ! Je vous le confirme : l’accord du participe passé s’accorde en genre et en nombre avec le sujet quand on utilise le verbe être. La preuve par l’exemple :
Psssst… Petit piège ici ! Vous n’avez rien remarqué ? Et oui : « ont été » est une conjugaison de l’auxiliaire être au passé. Le verbe « dire » s’accorde donc naturellement avec le sujet ! Facile, non ?
• L’accord du participe passé avec le verbe avoir
Jusque là vous suivez, n’est-ce pas ? Alors accrochez-vous, c’est bel et bien ici que ça se complique ! Dans le cas de l’accord du participe passé quand on utilise le verbe avoir, il faut avant tout repérer la place du complément d’objet direct (COD) dans la phrase. Pour l’identifier, rien de plus simple : il suffit d’apposer la question « qui ? » ou « quoi ? » au verbe concerné.
Une fois la place du COD identifiée, deux options s’offrent à vous :
- Si le COD est placé avant le verbe au participe passé, celui-ci s’accorde en genre et en nombre avec le COD
- Si le COD est placé après le verbe au participe passé, celui-ci ne n’accorde pas !
Vous êtes un peu perdus ? Voici quelques nouveaux exemples :
Dans cette citation de Marguerite Duras, qui l’écriture a-t-elle quitté ? L’auteure elle-même, ici représentée par le COD « m’ » (pour moi). Celui-ci étant placé avant le verbe quitter, le participe passé s’accorde !
Dans cette citation d’Eleanor Hamilton, vous noterez que la même règle s’applique pour accorder le participe passé du verbe donner : donné quoi ? « celui qui vous l’a (le compliment) donné ». Ici l’ remplace le compliment : on accorde donc le participe passé du verbe donner au masculin singulier.
Idem dans cette citation du peintre français Georges Braque. « La photographie a libéré quoi ? » La peinture, représentée ici par le « l’ » : on accorde alors le participe passé du verbe libérer au féminin singulier.
Attention, la situation est un peu différente dans cet exemple. Ici, la réponse à la question « L’amour a donné quoi ? » sera le COD « les seuls cris »… placé après le verbe. Dans ce cas précis, on n’accorde donc pas le participe passé du verbe donner avec le COD !
Et voilà, vous connaissez les principales règles générales en ce qui concerne l’accord du participe passé avec les verbes être et avoir. Mais intéressons-nous maintenant aux cas plus particuliers.
L’accord du participe passé : cas particuliers
Que serait la langue française sans ses complications ? Comme toute règle grammaticale digne de ce nom, l’accord du participe passé compte quelques cas particuliers, notamment celui des verbes pronominaux. C’est ce que nous allons voir maintenant !
• L’accord du participe passé avec le verbe être ET un verbe pronominal
Qu’est-ce qu’un verbe pronominal ? Il s’agit d’un verbe qui se conjugue avec un pronom réfléchi (me, te, se, nous, vous, se…) qui renvoie à la même personne que le sujet :
se battre, s’oublier, se regarder, se coiffer, se réjouir sont donc des verbes pronominaux. Mais comment accorder le participe passé d’un verbe pronominal ? Comme pour l’accord du participe passé avec avoir, il faut là encore rechercher le complément d’objet direct dans la phrase. Y a-t-il un COD ? Où est-il placé ? Voici les quatre cas de figure possibles :
- Si le sujet fait l’action en question sur lui-même, alors le participe passé s’accorde.
Elle s’est griffée > elle a griffé qui ? Elle s’est griffée elle-même, donc on accorde le participe. - Mais, si la phrase admet un COI, alors il n’y a pas non plus d’accord, même si c’est le sujet qui fait l’action sur lui-même. Qu’est-ce que cela signifie, « admettre un COI » ? Cela signifie que le pronom joue le rôle d’un COI. Pour le savoir, on pose la même question : à qui ? À quoi ?
- Comme pour l’auxiliaire avoir : le participe passé s’accorde en genre et en nombre si le COD est placé devant.
Les poèmes qu’ils se sont écrits > ils se sont écrit quoi ? Les lettres : le COD est placé avant le verbe, on accorde. - En revanche, si le COD suit le verbe, le participe passé ne s’accorde pas.
Ils se sont écrit des poèmes> le COD est placé après le verbe, donc pas d’accord.
Elles se sont souri > Elles ont souri… à qui ? À elles. Il n’y a donc pas d’accord du participe passé.
Ils se sont fait peur > Ils ont fait peur… à qui ? À eux-mêmes.
Le participe passé des verbes suivant est toujours invariable :
se plaire, se complaire, se déplaire, se parler, se permettre, se rire, se sourire, se nuire, se mentir, se suffire, se succéder, se ressembler, se survivre, se convenir.
C’est encore un peu confus pour vous ? Voici quelques nouveaux exemples qui illustrent ce cas particulier.
Le participe passé s’accorde dans la phrase de Voltaire. En effet, l’action est sur le sujet lui-même et répond à la question, ils ont trompé qui ? Eux-mêmes.
Ici aussi, le participe passé s’accorde. Ils ont façonné qui ? « eux-mêmes », le sujet est : on accorde au masculin pluriel.
• L’accord du participe passé lorsqu’il est suivi d’un infinitif
Autre cas particulier : celui du participe passé suivi d’un infinitif. Pas de panique, ce cas est plus simple qu’il n’y paraît ! Quelle est la règle ? Lorsque le participe passé est suivi d’un infinitif, plusieurs cas de figure sont à considérer :
Dans la plupart des cas, on cherchera une fois de plus à identifier la place du complément d’objet direct dans la phrase. Le COD précède-t-il le verbe et, si c’est le cas, se rapporte-t-il au participe passé ou au verbe à l’infinitif ?
- Si le COD se rapporte à l’infinitif, alors le participe passé reste invariable.
> « La chanteuse que nous avons entendu chanter » Qu’avons-nous entendu chanter ? Le pronom relatif « que » — qui se rapporte ici à la chanteuse — est dans ce cas le COD du verbe « chanter » à l’infinitif. On n’accorde donc pas le participe passé d’entendre. - Si le COD se rapporte au participe passé, alors celui-ci s’accorde.
> « Cette chanteuse, nous l’avons entendue chanter », Qui avons-nous vu chanter ? Cette chanteuse, représentée par le pronom « l’ », est ici COD et se rapporte bien au participe passé du verbe entendre. On accorde donc le participe passé ! - À noter : les participes passés fait, dû, pu et voulu ne s’accordent jamais s’ils sont suivis d’un infinitif.
> Ces photos, il ne les a pas fait développer.
• Le participe passé invariable
Terminons cet article avec le cas du participe passé invariable. En effet, il existe deux possibilités dans lesquelles le participe passé restera invariable, quelle que soit la construction de la phrase :
- le participe passé d’un verbe impersonnel, comme (s’en) falloir, neiger, pleuvoir, advenir, s’agir…
> Quelle patience il a fallu ! - le pronom COD remplace une proposition entière
> Il avait menti à tout le monde, mais personne ne l’a su.
Pour être incollables sur l’accord du participe passé : la méthode « Wilmet »
Vous hésitez encore lorsque vient le moment d’accorder le participe passé ? Alors la méthode « Wilmet » est peut-être la solution miracle que vous cherchez depuis toujours ! Nommée d’après Marc Wilmet, universitaire et académicien belge décédé en 2018, cette règle permet de régler 90 à 95 % des cas d’accord du participe passé.
Pour appliquer la méthode « Wilmet », rien de plus simple : il suffit de se poser la bonne question ! En effet, le principe de la « méthode Wilmet » est de se demander, au moment où l’on écrit le participe passé, si l’on a déjà précisé à quoi il se rapporte :
- Elles ont mangé des gâteaux.
La première information dans cette phrase est qu’elles ont mangé ; le participe passé est donc placé avant qu’on l’information contenant la nature du repas en question (des gâteaux). En s’appuyant sur la méthode « Wilmet », on peut donc déterminer que le participe passé du verbe manger ne s’accorde pas.
- Les gâteaux qu’elles ont mangés.
Au moment d’accorder le participe passé du verbe manger, nous avons déjà précisé ce qui a été mangé (les gâteaux). Grâce à la « méthode Wilmet », nous avons la certitude que le participe passé du verbe manger s’accorde.
Attention : si la méthode Wilmet est efficace dans la majorité des cas, certaines exceptions demeurent. À vous de déjouer les quelques pièges qui vous attendent !