Illustrations de Julie Guillot
L’expatriation va souvent de paire avec l’apprentissage de la langue du pays. Mais si je vous dis que c’est en m’imposant un strict régime télévisuel que j’ai réussi à me fondre dans la culture espagnole, est-ce que vous me croyez ?
C’est pourtant ce qui s’est passé, quelques mois après mon arrivée à Madrid. Première expatriation en Espagne, premier poste dans une boîte espagnole : j’intègre une nouvelle équipe très sympa, à 100 % castillane. Ça tombe bien, j’ai vraiment à cœur de ne pas m’enfermer dans une bulle franco-française. Tout se passe plutôt bien… sauf peut-être pendant les pauses-café : mes collègues parlent de gens dont je n’ai jamais entendu parler, discutent foot, politique, séries télé… Bref, je suis largué !
Je me débrouille plutôt bien en espagnol. Pourtant je perds totalement le fil de certaines discussions et je déconnecte rapidement. En fait j’ai surtout peur de ne pas réussir à m’intégrer durablement. On m’a bien recommandé d’aller au cinéma ou de lire pour progresser, mais je trouve dommage de ne pas pouvoir profiter de la marcha madrileña. Et puis un soir, en sortant du boulot, je décide de m’acheter une télé. J’ai une idée simple derrière la tête : moi qui ne suis pas exactement un grand fan du petit écran, je vais m’imposer une sévère cure de téloche. Le résultat ? Le voici !
1. Je maîtrise plutôt bien l’actu grâce aux telediarios (journaux télévisés)
En Espagne comme ailleurs, l’expatration c’est d’abord savoir ce qu’il se passe dans son nouveau pays d’adoption. Je prends la résolution de dîner chaque soir à 21 h, devant le telediario (journal télévisé). Si c’est d’abord une sacrée contrainte, ça devient au fil des jours et des semaines une habitude. Même quand je rentre fatigué du boulot et que mon attention n’est pas au top, l’écoute passive m’est très utile. Et quand je me sens dans de bonnes dispositions, j’essaye de tout « absorber ».
Le telediario m’aide à renforcer et enrichir mon vocabulaire. Le présentateur articule bien et parle dans un espagnol clair et standard. Je remarque que certains sujets reviennent très souvent à la une : économie, politique nationale et internationale, faits divers, sports. Je prête également énormément d’attention aux sigles utilisés… et il y en a beaucoup ! AENA, RAE, RENFE, IVA, INEM, PYME, LOGSE, ONCE. Sans parler des noms des partis politiques.
Je les note au fur et à mesure sur un carnet, et j’essaye de tout retenir. Je prends confiance et arrive à rebondir sur certains sujets ; mes collègues ont d’ailleurs déjà remarqué mes progrès. Je suis lancé !
2. Les famosos (personnes célèbres) n’ont plus de secret pour moi
Deuxième défi : mettre un visage sur le nom de ces personnes dont la seule évocation provoque les rires et calembours de mes collègues. Me voici prêt à plonger la tête la première dans le monde merveilleux du famoseo et de ses famosos.
Le famoseo désigne plutôt péjorativement les personnes connues sans raison particulière, mais qui sont régulièrement invitées sur les plateaux des programas del corazón, quelque chose à mi-chemin entre presse à scandale et émission glamour.
On y trouve tout un éventail de participants : des épouses ou ex-épouses de toreros, des chanteuses superstars de copla (un type de musique traditionnelle), des enfants de vedettes reconvertis en DJ, des chanteurs d’un tube de l’été qui ont subi les affres de l’alcool et des drogues, ou encore des types invités à toutes les fêtes sans que personne ne sache pourquoi.
Pour moi, c’est parfait. Non seulement je parviens à mettre un visage sur des noms qui reviennent fréquemment pendant la pause-café, mais ça me permet en plus de faire de gros progrès dans la maîtrise du langage familier. Dans ce genre d’émissions, on parle vite et on utilise beaucoup d’argot : grâce à ça, mon lexique devient moins rigide et plus varié. Je commence à saisir des conversations que je n’aurais jamais comprises un mois plus tôt. Mon espagnol devient « vivant » !
3. Slogans, traditions, habitudes de conso : la pub en dit long
J’ai toujours trouvé que les pauses publicité se prêtaient particulièrement bien aux pauses en tout genre : rapide passage aux toilettes, vaisselle qui traîne. Mais ça, c’était avant mon expatriation en Espagne ! À chaque diffusion, les pubs sont autant d’incursions socioculturelles. Non seulement je découvre les habitudes, les modes de consommation et les traditions du pays, mais en plus… c’est drôle !
Comme tout bon traducteur, je compare, amusé, les traductions des slogans publicitaires du français à l’espagnol. Je souris bêtement quand j’entends les publicités pour ces cacahuètes enrobées dont el chocolate se derrite en tu boca, no en tu mano (le chocolat [qui] fond dans la bouche, pas dans la main), et je découvre le mondialement célèbre Porque tú lo vales (Parce que tu le vaux bien). Petit à petit, j’arrive à saisir les jeux de mots cachés dans certains slogans publicitaires que tous mes collègues connaissent par cœur !
4. Je suis maintenant (presque) calé en foot (pratique le lundi matin)
L’expatriation en Espagne, c’est plus facile quand on s’intéresse un tant soit peu au foot. Et depuis que je suis devant la télé, j’en vois beaucoup, du foot. Vraiment beaucoup. À force de matchs, de résumés de matchs et de résumés de résumés de matchs, mon vocabulaire dans le domaine s’étoffe chaque jour un peu plus. !
Premier progrès : les accents. Écouter les interviews des joueurs m’aide à faire la différence entre les accents espagnols, catalans, andalous, sans compter les Sud-Américains. J’en profite même pour peaufiner ma géographie.
Autre nouveauté : le suffixe –azo, qui est omniprésent dans le foot : un partidazo est un gros match, un golazo est un beau but, un zapatazo est un gros coup de pied, un batacazo est une lourde chute… Pour donner du poids à mes mots, je me surprends à coller des –azo dès que possible !
Je remarque enfin qu’un grand nombre d’expressions idiomatiques sont des emprunts au jargon sportif : echar balones fuera (littéralement « balancer les ballons hors du terrain », l’équivalent de notre « botter en touche »), jugar con 12 (littéralement « jouer à 12 », partir avec un avantage), meter un gol por toda la esquadra (« mettre un but en pleine lucarne » quand on vient de se faire arnaquer). Ça peut toujours être utile, qui sait !
5. Je suis de moins en moins nul en séries télé
J’aurai eu besoin de quelques mois de régime télé pour enfin commencer à parler séries avec mes collègues. L’avantage des séries, c’est qu’il y en a pour tous les goûts et que chacune m’apporte quelque chose de différent.
Grâce aux séries policières, je me suis familiarisé avec l’argot policier : dans un polar, la pipa désigne le pistolet, el calabozo fait référence à la prison, los maderos sont les flics. Heureusement pour moi, je n’utilise pas ces mots tous les jours ! Mais je me sens vraiment à l’aise pour comprendre certains films et certaines séries en version originale.
Au fur et à mesure, je commence aussi à m’intéresser aux séries historiques. Des séries comme Las Chicas del Cable, Isabel ou El Ministerio del tiempo ont connu un grand succès en Espagne et me sont bien utiles pour en savoir plus sur l’histoire de l’Espagne. Rien de tel pour engager une conversation ou papoter un peu !
Après quelques mois de cure télévisuelle, je dois dire que l’expérience est vraiment positive : mon expatriation en Espagne est un succès. J’ai fait des gros progrès sans faire d’énormes efforts, et je peux me fondre dans n’importe quelle discussion. Pour entretenir mon espagnol, j’ai pris de bonnes habitudes : il me suffit de relire les listes de vocabulaire que j’ai déjà appris, à l’instar de ce que propose une application comme Babbel. Et puis en cas de doute, pas de souci : les Espagnols sont toujours prêts à aider quand ils voient qu’un non-natif fait des efforts pour apprendre, et d’autant plus lorsqu’il maîtrise la langue courante, voire familière.