Vous voulez apprendre le sicilien ? 4 à 5 millions de personnes parlent déjà cette langue. Non seulement en Sicile mais aussi dans le sud de l’Italie continentale (la Calabre et le Salento), et même dans les rues de Little Italy à New York. Avec les étrangers et les touristes, les Siciliens parlent essentiellement italien et anglais. Parfois français, si vous avez la chance de trouver la bonne personne au bon endroit. Alors, quelle place pour le sicilien dans le paysage linguistique de l’île ? L’idiome est souvent réservé aux échanges informels, dans un contexte domestique et familier ou entre amis. Souvent, sur l’île volcanique, blaguer, s’énerver ou exprimer tout autre sentiment – y compris l’amour – en sicilien paraît plus naturel. La langue est toujours bien vivante et continue de se transmettre de génération en génération.
Si vous faites l’effort de parler italien en Sicile, vous récolterez de nombreux sourires. Si vous prolongez l’effort pour vous exprimer en sicilien, les sourires se transformeront en éclats de rire sincères et chaleureux. Un effort pas si difficile à faire grâce à notre guide linguistique pour apprendre le sicilien !
Le sicilien : un dialecte de l’italien ?
No! Comme l’italien, le sicilien est une langue romane. Si les deux langues restent très proches, l’histoire du sicilien est plus ancienne que celle de l’italien – et même du français et de l’espagnol, autres langues romanes majeures. Certains linguistes avancent que le sicilien est l’une des premières langues à dériver du latin. Comment une langue pourrait-elle être le dialecte d’une langue plus récente ? Si le sicilien devait être un dialecte, il serait tout au plus un dialecte du latin – mais pas de l’italien.
Jusqu’à l’unification de l’Italie, à la fin du XIXe siècle, les langues régionales dominaient largement dans les échanges de la péninsule. C’est depuis l’affirmation de la langue italienne en Sicile à travers l’enseignement public, au début du XXe siècle, que le sicilien est associé à un dialecte de la langue nationale. Il n’y a pourtant aucun débat : le sicilien est bel et bien une langue à part entière. Aujourd’hui, l’UNESCO lui reconnaît le statut de langue minoritaire.
Bien avant la diffusion de l’italien, le sicilien a connu son âge d’or comme langue culturelle majeure au XIIe siècle. Sous le règne de Frédéric II, roi de Sicile puis empereur des Romains, le sicilien s’installe à la cour avec les troubadours. Au XIIIe siècle, le mouvement prend de l’ampleur avec la Scuola Siciliana, l’école poétique sicilienne. Dante lui-même, le père de la langue italienne, ira jusqu’à reconnaître le prestige de cette langue de poètes qu’il appelle simplement I Siciliani (Les Siciliens). Il reste peu de traces de la version originale des poèmes siciliens médiévaux, massivement traduits en toscan par la suite. Le toscan sera d’ailleurs à la base du développement de l’italien moderne.
De nos jours, le sicilien reste une langue fragmentée qui connaît plusieurs variantes dialectales dont les 3 principales sont :
- Le sicilien occidental s’étend de la région de Trapani et d’Agrigente jusqu’à Palerme, principale ville de l’île ;
- Le sicilien central traverse la région d’Enna, le « nombril de la Sicile » à l’intérieur des terres ;
- Le sicilien oriental longe la côte est de Syracuse jusqu’à Messine.
Le sicilien, langues aux multiples influences méditerranéennes
L’histoire de la Sicile, et donc du sicilien, est avant tout une histoire d’influences. Les Sicules, qui ont laissé leur nom à l’île, sont reconnus comme les Siciliens d’origine. Les Phéniciens et les Grecs font ensuite la conquête de l’île jusqu’à la colonisation par les Romains. C’est pourquoi on trouve dans le sicilien un mélange de racines latines, grecques et arabes.
Parmi les influences arabes, citons le verbe azzizzari (décorer, embellir) qui vient directement du mot عزيز (aziz) pour puissant, cher ou encore magnifique. Parois, la langue arabe a même nommé certaines villes comme Marsala dans la province de Trapani. Le nom peut vouloir dire مَرْسَى اللّٰه (marsā llāh, le port de Dieu) ou مَرْسَى عَلِيّ (marsā ʿaliyy, le port d’Ali). Le mot miskin (مسكين) pour pauvre a d’ailleurs donné mischinu (pauvre petit) en sicilien. Un terme pas totalement étranger à ceux qui connaissent miskine en argot français – avec la même signification !
Du côté des origines grecques, κόφινος (kóphinos) a donné cufinu en sicilien (panier), apparenté au français « couffin ». Même les Normands, dont les conquêtes maritimes les ont menés jusqu’en Sicile, ont laissé les mots buatta (boîte) et custureri (tailleur, d’après couturier).
Pourquoi surnomme-t-on la Sicile « l’île aux trois pointes » ? Là aussi, le grec ancien y est pour quelque chose. À l’origine, dans la Grèce antique, Trinakria (francisé en Trinacrie, littéralement « trois pointes ») était le nom donné à la Sicile. Il suffit de regarder une carte de la Sicile pour voir ces trois pointes formées par Trapani à l’ouest, Messine au nord-est et Syracuse au sud-est. Depuis, l’appellation est restée et l’île a adopté le triskèle pour emblème. Encore un terme d’origine grecque, signifiant cette fois « trois jambes ». Trois jambes qu’il est impossible d’ignorer dès qu’on pose un pied en Sicile car le symbole est au beau milieu du drapeau. Il représente trois jambes fléchies sortant de la tête de Méduse. Sur la tête de la gorgone, les serpents côtoient les épis de blés. L’utilisation de ce motif remonte au moins au IIIe siècle avant J.-C.
Une introduction aux spécificités du sicilien
Si vous parlez déjà italien, vous devrez pouvoir apprendre le sicilien sans difficulté. Comme l’italien, le sicilien s’écrit comme il se prononce. À quelques différences près. Ainsi, le son « s » a tendance à se transformer en « ch ». Y compris dans la prononciation de l’italien standard. À l’oral, le mot capisco (capiss-co, je comprends) devient alors « capichko ».
Concernant la grammaire, on trouve de nombreux points communs entre le sicilien et l’italien. Ainsi, dans les deux langues, c’est la lettre [a] qui marque le féminin. En revanche, le sicilien utilise le [u] et non le [o] pour le masculin. L’italien a un pluriel spécifique pour chaque genre (i pour le masculin et e pour le féminin) alors que le sicilien ne fait pas de distinction (i pour les deux). Par exemple, le mot telefono(i), téléphone(s) en italien, devient telèfunu(i) en sicilien. Le mot farfalla(e), papillon(s) en italien, se traduit par farfàlla(i) en sicilien. À noter que les Siciliens tendent à avaler le [i] final, un peu comme les Roumains qui ne le prononcent pas du tout. Le mot scusassi (excusez-moi) se prononce « chkouzass ».
Du côté des lettres, on observe aussi certains changements, le « b » italien étant souvent remplacé par un « v » sicilien – un peu comme en espagnol. Botte (tonneau en italien) devient vutti en sicilien. Barca (bateau en italien) transposé par varca en sicilien est un autre exemple. Généralement, le « double l » est remplacé par un « double d ». Si vous avez suivi, vous comprenez alors que le sicilien beddu veut dire bello en italien !
Apprendre le sicilien : lexique de survie pour touristes
Sicilien | Italien | Français |
unu, dui, tri | uno, due, tre | un, deux, trois |
grazzi (assai) | grazie (mille) | merci (beaucoup) |
pregu | prego | je vous en prie |
u bancomat | il bancomat | le distributeur automatique |
u trenu | il treno | le train |
a machina | la macchina | la voiture |
l’aeroportu | l’aeroporto | l’aéroport |
l’albergu | l’albergo | l’hôtel |
cchi ura ie? | che ore sono? | quelle heure est-il ? |
unn’è … (a spiaggia)? | dov’è… (la spiaggia)? | où est… (la plage) ? |
quantu costa ? (prononcer « cochta ») | quanto costa ? | combien ça coûte ? |
nun capisciu | non capisco | je ne comprends pas |
putissi ripetiri, ppi favuri? | potrebbe ripetere, per favore? | pourriez-vous répéter, s’il vous plaît ? |
vulissi un cafè, ppi favuri | vorrei un caffè, per favore | je voudrais un café, s’il vous plaît |
Le siculish : lorsque Palerme débarque à Manhattan
Tout comme le mélange de français et d’anglais donne le franglais, le siculish est une version hybride de l’anglais et du sicilien. Ce dialecte est né de l’immigration sicilienne aux États-Unis au début du XXe siècle, en particulier à New York.
Siculish | Anglais | Français |
carru | car | voiture |
bissinissa | business | affaires, business |
bossu | boss | patron, chef |
giobbu | job | travail, job |
iarda | yard | jardin |
stritta | street | rue |
trubbulu | trouble | ennuis, problèmes |
damaggiu | damage | dégâts |
Brucculinu | Brooklyn | Brooklyn |
Nu Iorca | New York | New York |