Quand j’ai commencé à sérieusement apprendre l’allemand, ma grand-mère m’avait conseillé de relire quelques pages de vocabulaire avant de me coucher : la mémoire travaille pendant ton sommeil, m’avait-elle assuré. Une méthode que j’avais aussi testée alors que je me débattais avec Être et Temps, un pavé de 500 pages rédigé dans un jargon philosophique à la limite de l’humain.
D’un coup, Martin Heidegger, l’auteur, m’était carrément apparu en rêve, et m’avait accompagné un bout de chemin pour une discussion nocturne. Plutôt sympathique comme technique, m’étais-je dit. Quant à mesurer son efficacité réelle, je préfère ne pas me prononcer là-dessus et laisser la parole à la science.
Apprendre une langue en dormant, sans effort, sans fatigue, sans ennui – ce serait un peu le rêve devenu réalité. Mais est-ce réellement possible ? En apparence, l’idée a plus l’air d’une formule magique un brin charlatanesque que d’une méthode sérieuse… Et pourtant !
On sait depuis toujours que le cerveau reste actif pendant le sommeil. Afin de mieux comprendre, il faut se représenter cet organe de façon plastique, ou mieux encore, comme une espèce de serveur informatique. Pour qu’une information soit durablement ancrée dans notre mémoire, elle doit passer de l’hippocampe (petite zone du cerveau qui joue un rôle clé dans le processus de mémorisation) au cortex cérébral (ce qu’Hercule Poirot nomme délicieusement « les petites cellules grises »), qui est la partie de traitement des informations – grosso modo, là où naît notre pensée.
Or, ce passage s’effectue précisément la nuit, pendant le sommeil. Durant la phase de sommeil profond, le cerveau « télécharge » des informations enregistrées dans l’hippocampe, qu’il traite une fois parvenues dans la phase de sommeil paradoxal. Comme si, semblable à un ordinateur en état de veille, le cerveau passait constamment du téléchargement à l’enregistrement de données – sans qu’il y ait besoin de cliquer nul part : il suffirait donc de charger les informations (en l’occurrence le vocabulaire) dans l’hippocampe, et la nuit s’occuperait du reste.
Apprendre une langue en dormant pourrait ainsi s’avérer être la solution rêvée pour les allergiques du « tout par cœur ». Mais ne nous réjouissons pas trop vite : pour vraiment apprendre une langue en dormant, il faut impérativement « nourrir » le cerveau avant de s’endormir. Pas moyen, donc, d’échapper à l’apprentissage actif : lire et relire reste la première condition de la réussite. Inutile de se leurrer, l’écoute de cassettes pendant le sommeil n’a aucune efficacité prouvée, tout simplement parce que le cerveau ne peut pas, à proprement parler, intégrer de nouvelles données pendant qu’il veille, mais seulement traiter celles déjà présentes.
Une seconde condition est qu’aucun événement, aucune émotion forte, ne vienne s’intercaler entre la relecture et l’endormissement, au risque que cela passe au premier rang dans l’échelle des informations à traiter en priorité pendant la nuit. Cela dit, une liste de vocabulaire ou de verbes irréguliers, rien de tel pour piquer du nez. Évite simplement de récompenser ton effort par un film ou quelques pages de polar – cela risque de gâcher les merveilleux effets du sommeil.