« Quelle est la boisson préférée outre-Rhin ? La bière allemande, bien sûr ! » Bien plus qu’un énième cliché sur nos cousins Germains, la place qu’occupe la bière allemande est plus qu’importante : de Berlin à Munich en passant par Francfort, elle est fondamentale. D’ailleurs, devinez ce que transportait le premier convoi de marchandises à rouler sur les voies ferrées allemandes : eh oui, des fûts de bière allemande !
Aux origines de la bière allemande
Petit retour en arrière. Le 11 juillet 1836, le chemin de fer Ludwig (la compagnie ferroviaire bavaroise) transporte pour la première fois deux fûts de bière, entre Nuremberg et Fürth. En Allemagne, le simple fait de boire de la bière est célébré ; ce n’est pas pour rien que la célèbre Oktoberfest (« la fête de la bière allemande » qui se déroule à Munich au mois d’octobre) attire chaque année des millions de visiteurs, venus d’Allemagne et du monde entier. Et les statistiques ne disent pas le contraire, puisque les Allemands ont consommé pas moins de 106 litres de bière par habitant en 2015.
À l’échelle de l’Europe, la consommation de bière allemande occupe la deuxième position, juste après les Tchèques. C’est dire l’importance de la bière allemande ! À l’occasion de la prochaine Journée mondiale de la bière nous allons donc vous raconter la petite histoire de la bière allemande, ses particularités, ses légendes et ses dictons. Prost!
La Journée mondiale de la bière
La Journée mondiale de la bière (ou Journée internationale de la bière, International Beer Day en anglais) se déroule chaque premier vendredi d’août. Elle a été créée en 2007 en Californie, d’abord pour comme simple prétexte de se retrouver entre amis. Elle est aujourd’hui célébrée dans 207 villes, 80 pays… et sur les 6 continents du monde !
La bière allemande, une boisson populaire millénaire
La consommation de bière s’apprécie depuis la nuit des temps. On peut même aller jusqu’à affirmer que là où du pain est pétri, de la bière est bue. Bien que les preuves écrites manquent, on suppose que les Chinois brassaient déjà de la bière il y a 10 000 ans, les premiers témoignages écrits rapportant eux l’existence de tavernes en Égypte 3 000 ans avant Jésus-Christ.
À l’époque, bien avant l’âge d’or de la bière allemande, la boisson faisait partie (avec le pain) des reliques funéraires traditionnellement déposées dans les tombes égyptiennes. Mais toutes les civilisations antiques n’appréciaient pas la bière pour autant. La Grèce antique appréciait davantage le vin tandis que les Romains considéraient la bière comme une boisson de barbares.
En Europe, les premières traces de consommation de bière se trouvent donc sur l’actuel territoire allemand. En effet, dans les environs de Kulmbach, en Bavière, des archéologues ont trouvé dans une tombe des chopes à bière allemande datant de 800 ans avant Jésus-Christ. Une preuve supplémentaire que le peuple germanique appréciait déjà beaucoup la bière à cette époque. Pour chaque célébration importante, on brassait de la bière, puis on la buvait abondamment – généralement directement dans les crânes des ennemis assassinés.
C’est au Moyen Âge que la bière devint une boisson populaire et une denrée de base très appréciée. Pendant le carême, la bière n’était pas qu’une boisson, elle constituait aussi l’alimentation quotidienne des moines, car la nourriture liquide n’était pas considérée comme une rupture de jeûne ; ainsi, on appelait communément la bière le pain liquide. Au commencement, on brassait la bière allemande avec toutes les sortes de grains qui pouvaient être récoltés. Jusqu’au XVIe siècle, le houblon était la céréale dominante du brassage de la bière allemande car il améliorait la durée de vie et de conservation de la bière tout en lui donnant meilleur goût.
Le décret sur la pureté de la bière allemande
Antoine et Cléopâtre, Roméo et Juliette, Bonnie and Clyde et… la bière allemande et les législations sur l’alimentation. Le label Reinheitsgebot, le « décret sur la pureté de la bière allemande », est gage de qualité. Il est imprimé sur toutes les bouteilles de bière allemande qui ont été brassées selon ses prescriptions.
Comment est-il apparu ? Comme nous l’avons déjà évoqué, pendant longtemps toutes sortes de céréales étaient utilisées pour brasser de la bière allemande : du houblon donc, mais aussi des graines de datura, des belladones, des jusquiames, des copeaux, des racines, de la suie ou de la poix étaient incorporés au brassin pour modifier l’apparence de la bière et renforcer son goût.
Afin de garantir la qualité de la bière allemande – qui était toujours un aliment de base – mais aussi de réguler son prix, le duc Guillaume IV de Bavière et son frère le comte Louis X, firent édicter le 23 avril 1516 un décret de fabrication désigné aujourd’hui sous le nom de Reinheitsgebot – le fameux « décret sur la pureté de la bière allemande ». Le texte originel spécifiait que seuls l’eau, le malt et le houblon étaient autorisés pour brasser la bière allemande. La levure n’était pas mentionnée dans le décret, car ses effets spécifiques dans le processus de fermentation étaient encore inconnus à l’époque, ce qui fait qu’elle ne pouvait être reconnue comme ingrédient.
Mais ce n’est qu’en 1906 que l’Empire allemand adopta le Reinheitsgebot actuel. Le décret portait alors sur la pureté de la bière bavaroise, et fut appliqué dans toutes les brasseries allemandes.
Une des raisons pour lesquelles le décret sur la pureté de la bière allemande est resté aussi célèbre est qu’il est toujours en vigueur à l’heure actuelle, ce qui fait de lui la plus ancienne norme alimentaire au monde !
Comment distinguer les différents types de bière allemande ?
Bien que la bière allemande soit réglementée par le décret sur la pureté de la bière, il existe néanmoins de nombreuses variétés différentes de bières. D’une part, toutes les bières en Allemagne ne suivent pas les préconisations du décret. D’autre part, même celles qui en suivent les préceptes ne sont pas identiques : de nombreuses différences de goût, de couleur et d’alcoolémie existent selon les mélanges, procédés de torréfaction ou cultures de levures utilisés. Une information importante à connaître avant d’attaquer la Journée mondiale de la bière !
Les bières allemandes sont classifiées selon la densité primitive de moût (par exemple, une bière à 12 pour cent – soit 12 degrés Plato – contient 120 grammes d’extrait sec de moût pour 1000 grammes de boisson) :
- Einfachbier (« bière simple ») : densité primitive de moût de 1,5 à 6,9 pour cent
- Schankbier (« bière pression ») : densité primitive de moût de 7,0 à 10,9 pour cent
- Vollbier (« bière complète ») : densité primitive de moût de 11,0 à 15,9 pour cent
- Starkbier (« bière forte ») : densité primitive de moût de 16 pour cent
Autre composante importante de la bière allemande : elle peut être brassée avec des levures de fermentation hautes ou basses. La levure haute crée des groupes cellulaires, dans lesquels se forment des bulles de gaz de fermentation. Ainsi, après la fermentation, la levure flotte à la surface. Pour la levure haute, la température ambiante doit se situer entre 15 et 20 degrés Celsius. La levure basse sédimente au contraire au fond du contenant après la fermentation. Ce dépôt de levure est également appelé la lie. La levure basse requiert une température ambiante plus basse pour la fermentation, entre 4 et 9 degrés Celsius. Par conséquent, le temps de fermentation et de stockage est plus long.
Un tour d’horizon de la bière allemande
🍻Kölsch (la bière allemande de Köln, Cologne)
- La Kölsch est une bière allemande « complète » blonde, filtrée, de fermentation haute.
- Elle se boit traditionnellement dans un verre fin, étroit et cylindrique pouvant contenir 0,2 litre, nommé « verre à Kölsch » ou « Stange » (perche), selon l’usage local.
- Les trois marques de bières Kölsch les plus fréquemment bues sont Reissdorf, Gaffel et Früh.
🍻Lager/Export
Autrefois, toutes les « bières complètes » de fermentation basse ayant une densité de moût comprise entre 11 et 14 pour cent étaient appelées bières Lager. En Angleterre, d’ailleurs, cette appellation est encore utilisée. En Allemagne, au contraire, elle s’est limitée au cours des siècles derniers :
- On donne désormais l’appellation Lager exclusivement à une bière allemande qui a moins de 12 pour cent de densité de moût, et n’est pas reconnue comme Pils (ou Pilsner/Pilsener).
- Une bière allemande ayant une densité supérieure à 12 pour cent est appelée Export. Comme son nom l’indique, la bière allemande Export était destinée à l’exportation. Par conséquent, elle était traditionnellement produite avec une teneur en alcool plus élevée, afin de prolonger sa durée de conservation.
- Il existe des bières Lager et Export blondes ou brunes ; c’est le malt qui détermine la couleur de la bière.
- Les bières de type Lager et Export sont principalement bues en Bavière, dans le Baden-Württemberg et dans la Ruhr. La bière allemande Lager est souvent servie dans un verre à pied, tandis que la bière Export se sert couramment dans une chope.
- Les marques de bière allemande telles que Augustiner, Löwenbräu ou Staatliches Hofbräuhaus München produisent des bières Lager blondes et brunes. Les bières Export sont brassées selon différentes traditions à Dortmund, Munich et Vienne.
🍻Bockbier
- La bière allemande Bock désigne une bière forte de fermentation haute et basse, et même une bière blanche, dont la densité de moût est supérieure à 16 pour cent et qui a un taux d’alcool d’au moins 6,5 pour cent.
- Bien que les bouteilles contenant de la bière Bock (qui signifie « bouc » en allemand) soient souvent décorées avec des représentations de boucs, cette appellation n’a rien à voir avec l’animal. La légende raconte qu’une bière était brassée au XIVe siècle à Einbeck, près d’Hanovre, et qu’elle a été exportée en Bavière. Elle a tant plu aux comtes et ducs de la région qu’ils ont fait venir un maître brasseur d’Einbeck. La bière « nach einpöckscher Brauart » (selon le procédé de brassage d’Einbeck) s’est donc répandue à Munich, et, avec le temps, son nom un peu difficile à prononcer est devenu « Bock ».
- Les bières Bock brunes sont particulièrement appréciées dans le Sud, les blondes étant plutôt bues dans le Nord.
- Les noms des bières Doppelbock (double Bock) se terminent souvent par le suffixe « ator », pour rendre hommage à la bière que brassaient les moines de l’Ordre de Saint-François de Paul à l’époque de la guerre de Trente Ans.
🍻Boissons maltées (Malzbier, bières de malt)
- Beaucoup ignorent que la Malzbier (en tous cas celle qui ne comporte pas de sucre ajouté) est bel et bien de la bière : en effet, la « bière complète », de fermentation haute, a une densité primitive de moût moyenne de 11,7 pour cent. Toutefois, comme on ajoute la levure à environ 0 degré Celsius, la fermentation de cette boisson maltée est très peu alcoolisée, ce qui permet de la classer comme boisson non alcoolisée.
- Pourquoi est-elle commercialisée comme boisson maltée plutôt que bière de malt ? C’est là qu’intervient de nouveau le décret sur la pureté de la bière allemande, selon lequel, s’il y a adjonction de sucres dans la boisson maltée (ce qui est le cas la plupart du temps), celle-ci ne peut être officiellement qualifiée de bière.
- Les marques de Malzbier connues sont Vitamalz et Karamalz.
🍻Pils, Pilsner, Pilsener…
- La Pils est une bière allemande de fermentation basse avec un taux de houblon bien plus élevé que d’autres bières, et une densité primitive de moût de 12,5 pour cent.
- Son nom vient de la ville de Pilsen située en Bohême, en République tchèque. Cependant, l’ironie veut que cette bière ait été inventée par un Bavarois, et non un habitant de Pilsen. En outre, autrefois, Pilsener était synonyme de mauvaise bière allemande : en effet, la qualité de la bière y était si mauvaise qu’en 1838, 36 fûts ont été renversés et vidés devant la mairie en public. Pour mettre fin à cette situation, cette année-là, la construction d’une brasserie bourgeoise fut entreprise et on fit venir le maître-brasseur bavarois Josef Groll, qui arriva dans la ville avec la recette d’une bière de fermentation basse. C’est ainsi qu’en 1842, la nouvelle bière allemande Pils fut servie pour la première fois.
- De nos jours, la Pils est la bière allemande la plus populaire. Beck’s, Bitburger, Flensburger, Jever, Krombacher, Radeberger, Warsteiner, Wernesgrüner et bien sûr Pilsener Urquell – toutes ces bières, et bien d’autres encore, sont très appréciées !
🍻Schwarzbier (bière noire)
- La Schwarzbier est une bière allemande de fermentation basse ayant une densité primitive de moût d’au moins 11 pour cent, ce qui la place parmi les « bières complètes ». Sa couleur foncée provient de l’utilisation de malt rôti et torréfié spécial pour le brassage, ce qui la rend conforme au décret sur la pureté de la bière.
- Il est à noter également que les bières brunes de couleur foncée constituaient autrefois la sorte de bière allemande dominante, et ce n’est qu’au XXe siècle qu’elles sont passées au second plan, pour connaître aujourd’hui – notamment à l’est de l’Allemagne – un renouveau.
- La bière noire se boit dans des verres à pied spéciaux.
- La Köstritzer est une marque de Schwarzbier connue.
🍻Weizenbier (bière blanche)
- On appelle « bière blanche » toute bière allemande fabriquée à base de froment et/ou de malt de froment. Ainsi, elles ne sont pas brassées conformément au décret sur la pureté de la bière allemande et constituent leur propre groupe de bières.
- Les bières blanches sont très appréciées en Bavière. Celles qui sont produites dans cette région sont des bières de fermentation haute qui ont généralement une densité primitive de moût comprise entre 11 et 14 pour cent.
- La Weizenbier bavaroise se sert traditionnellement dans des verres hauts et étroits ayant une forme très particulière.
- La Berliner Weisse, elle, est une bière pression de haute fermentation brassée à partir d’un mélange de malts à base de froment et d’orge, ainsi qu’avec une culture de bactéries lactiques. C’est ce qui lui donne son goût aigre caractéristique.
- De nos jours, on la sert en général dans une coupe à pied assez large, après y avoir d’abord mis du sirop. Ensuite, on verse assez rapidement une demi-bouteille de Weisse sur le sirop, puis on ajoute lentement le reste.
Les dictons et la bière allemande
Qui dit Journée mondiale de la bière dit… apprentissage de l’allemand ! La bière allemande n’a pas influencé uniquement la culture de la boisson en Allemagne, elle a également marqué la langue allemande. Voici quelques dictons qui n’existeraient pas si le statut de la bière allemande n’était pas ce qu’il est… et qui pourraient bien vous servir pendant la Journée mondiale de la bière !
- Da ist Hopfen und Malz verloren. (C’est peine perdue)
Cette expression s’emploie lorsque quelque chose n’a plus aucun sens. Ce proverbe est évidemment inspiré du procédé de brassage. Si le houblon et le malt étaient fichus, plus rien n’était possible !
- Da wird der Hund in der Pfanne verrückt. (C’est une histoire à dormir debout)
Qu’est-ce que cette expression a-t-elle à voir avec la bière allemande ? Tout partirait en fait d’une aventure de Till l’Espiègle. Compagnon d’un brasseur de bière allemande, Till doit un jour faire bouillir le houblon afin de donner plus de goût à la bière. Mais malheureusement, le brasseur avait un chien qui s’appelait Hopf. Or, en allemand, le houblon se dit Hopfen… Nous vous laissons donc imaginer quelle bévue Till l’Espiègle a bien pu commettre…
- Das ist nicht mein Bier. (Ce n’est pas ma bière)
Les Allemands le disent lorsque quelque chose ne les concerne pas. L’équivalent allemand du célèbre « ce n’est pas ma guerre » si cher à Rambo.
- Kein Bier vor Vier. (Pas de bière avant quatre heures)
À ne pas prendre au pied de la lettre, sans quoi votre hiérarchie risque de vous avoir dans le collimateur.
- Bier auf Wein, das lass sein ; Wein auf Bier, das rat ich dir. (Bière sur vin, abstiens-toi ; vin sur bière, je te le recommande)
Une bien sage parole à méditer ! Elle rappelle évidemment notre équivalent œnologique « Blanc sur rouge ; rien ne bouge. Rouge sur blanc, tout fout le camp ! »
- Heute back ich, morgen brau ich […] (Aujourd’hui je pétris mon pain, demain je brasse la bière)
Cette parole du Nain Tracassin (Rumpelstilzchen) n’est pas un proverbe, mais elle est connue de tous les enfants allemands. Jadis, cuire le pain et brasser allaient en effet de pair. Il y avait assez de cellules de levure dans l’air des boulangeries pour déclencher une fermentation puissante. Ce n’est que plus tard que l’action de la levure pour le procédé de brassage fut reconnue !