Illustration de Paula P. Rezende
Ça y est, le printemps est de retour, et avec lui la promesse des moments passés entre amis à siroter des petits cocktails en terrasse. L’occasion parfaite de réviser les classiques du genre : margarita, mojito, piña colada, caïpirinha… Le point commun de ces classiques : ils contiennent tous une certaine dose de rhum. Tous ? Vraiment ?
Presque tous ! Les plus fins connaisseurs d’entre vous n’auront pas manqué de noter un détail important : pour préparer une caïpirinha digne des plages de Rio de Janeiro, l’ingrédient principal sera… la cachaça, bien sûr ! Également connue au Brésil sous le nom de pinga, cana ou caninha, la cachaça est une eau-de-vie extraite du jus de canne à sucre par fermentation et distillation.
Breuvage de prédilection des Brésiliens, la cachaça est évidemment omniprésente dans les verres, mais aussi dans les discussions, dans les chansons, dans les poèmes et même dans la fameuse saudade si chère à la culture brésilienne. Décrite au départ comme une variété de « vin de canne », le succès de la cachaça s’est ensuite étendu, diffusé et commercialisé dans le monde entier. Sans plus attendre, nous allons vous raconter l’histoire de la cachaça, LE véritable symbole de la culture brésilienne.
Premiers effluves
La cachaça, c’est d’abord un épais mystère. Combien de rumeurs, ragots, fables et légendes urbaines entourent son apparition ? Si personne ne sait exactement quand est apparue la cachaça, tout le monde sait où : au Brésil. En 1660, le royaume du Portugal s’est déjà rendu compte que la boisson n’était pas seulement appréciée par les Brésiliens mais également à l’étranger. Le colonisateur lusitanien décide alors d’imposer les producteurs, rendant la cachaça inaccessible aux plus défavorisés. Une idée pas vraiment bien reçue par les habitants puisqu’une véritable révolte se déclenche : la bien nommée Révolte de la Cachaça.
Peu de temps s’écoule ensuite jusqu’à la commercialisation de la première bouteille de cachaça industrielle. En effet l’entreprise Monjopina met en vente dès 1756 sa première bouteille dans le Pernambouc, avant que d’autres marques n’apparaissent sur tout le territoire brésilien, et même au-delà de ses frontières !
Pinga pinga et eau brûlante : aux origines du mot cachaça
Mais alors, comment serait apparue la cachaça ? Une légende populaire raconte que la cachaça fut découverte par des esclaves en train de mélanger un vieux jus de canne fermenté à une mélasse plus récente. Dans cette mixture, l’alcool de la vieille mélasse se serait évaporé et aurait formé des gouttelettes de cachaça sur le plafond du bâtiment. Lorsque ces gouttes se détachaient du plafond, elles tombaient droit sur le corps abîmé des esclaves, créant sur leur peau une sensation de brûlure – ce qui a donné le nom d’aguardente (eau-de-vie), contraction d’agua et ardente, littéralement « eau brûlante » en portugais.
Mais ces gouttelettes d’eau-de-vie ne tombaient pas seulement sur les blessures… Parfois, elles atteignaient la tête des esclaves et roulaient sur leurs fronts jusqu’à atteindre le bout de leurs lèvres, leur offrant de petites rasades de cet élixir de vie. Ce serait ainsi de ce pinga pinga (le « plic ploc » portugais) du bruit des gouttes de cachaça tombant du plafond que serait née la cachaça – aussi appelée pinga !
Mais cette légende n’est pas la seule explication existante. Selon une autre étymologie, l’origine du mot cachaça pourrait venir du féminin du mot cachaço, qui signifierait grossièrement « porc ». D’après ce que l’on sait, la viande des porcs sauvages du Nordeste était alors vraiment, vraiment très dure ; on avait donc recourt à une petite quantité de cette boisson pour l’attendrir. L’alcool, selon cette histoire, aurait pris le nom de cette viande coriace.
Mythe ou réalité ? Ce qui est certain, c’est que la cachaça est justement connue pour attendrir les chairs et les cœurs ! Elle est réputée pour mettre le feu à une fête, faire affleurer les émotions, exalter les conversations, être la compagne des gens seuls… et la liste est encore longue !
De l’importance de la cachaça dans la culture brésilienne
Comment penser alors que la cachaça serait un alcool comme les autres ? À bien y regarder, son importance au niveau social, économique, culturel et psychologique est majeure. De par son (ses ?) origine, cette boisson est intrinsèquement liée à la naissance de l’histoire brésilienne. Les Brésiliens ont d’ailleurs l’habitude de dire qu’une vie ne suffirait pas pour narrer l’histoire de la cachaça !
Bien plus qu’un simple alcool fort, la cachaça semble être liée à tous les domaines… Elle possède sa propre valeur symbolique : elle est poétique, musicale, théâtrale et politique ! Elle est une muse, une confidente, une délinquante… tout un univers en soi. L’un des meilleurs exemples de son influence dans la culture brésilienne réside sans doute dans les vers (à consommer sans modération, contrairement à la cachaça) de Carlos Drummond de Andrade, l’un des plus grands poètes brésiliens :
Meu verso é minha cachaça.
Todo mundo tem sua, cachaça.
Para beber, copo de cristal, canequinha de folha-de-flandres,
folha de taioba, pouco importa: tudo serve.
Mon vers est ma cachaça.
Tout le monde a sa cachaça.
Pour la boire, verre en cristal, chope de fer-blanc,
feuille de macabo, peu importe : tout fait l’affaire.