Avec 751 députés venus de 28 pays différents, le Parlement européen doit assurer des traductions dans 24 langues officielles. Sans surprise, l’Institution européenne abrite le plus grand service de traducteurs et d’interprètes du monde. Comment s’organise cette gigantesque tour de Babel ? Luis Martinez-Guillen, le directeur du Bureau de liaison du Parlement européen, a accepté de répondre à nos questions. Voici notre ntretien.
Luis Martinez-Guillen, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis responsable du Bureau de liaison du Parlement européen depuis 2012. Notre service vise à informer et communiquer auprès des citoyens autour de différentes actions menées par le Parlement européen. Je travaille dans les institutions européennes depuis les années 1980. J’ai travaillé notamment à Bruxelles auprès de la Commission européenne, au Luxembourg et à Madrid. J’ai également exercé moi-même la fonction d’interprète lorsque j’étais plus jeune. Je connais donc assez bien les rouages de l’administration européenne.
Dans les couloirs du Parlement, dans quelles langues les députés et les fonctionnaires s’expriment-ils ?
Au Parlement européen, le français est beaucoup pratiqué dans les couloirs. Ce n’est pas étonnant puisque Bruxelles se trouve dans une région francophone tandis que Strasbourg est en France. Néanmoins, depuis le dernier élargissement de la communauté européenne avec l’intégration de plusieurs pays de l’Est, l’anglais est de plus en plus pratiqué. Il arrive très souvent que les parlementaires discutent en anglais sans qu’il n’y ait de députés britanniques dans la discussion. Il faut aussi préciser que les députés européens progressent de façon notable en langues étrangères pendant leur mandat.
Combien de langues officielles sont-elles parlées et traduites au sein du Parlement européen ?
Dans toutes les institutions européennes, nous avons 24 langues officielles, donc 24 langues de travail, dont le gaélique. Cela veut dire que tous les textes officiels, tous les traités et toutes les sessions parlementaires doivent être traduits dans ces 24 langues officielles.
En revanche, lorsque nous faisons des réunions ou des sessions de travail avec une délégation étrangère ou quelques députés européens, nous choisissons en général trois langues officielles de travail pour simplifier les choses. Nous demandons aux députés avec quelles langues ils souhaitent travailler et nous en faisons nos langues de travail.
Comment le Parlement européen s’organise-t-il pour garantir la traduction des échanges ?
Nous avons trois grands acteurs qui assurent une parfaite communication entre les différents députés et fonctionnaires : les interprètes, les traducteurs et les juristes-linguistes. Il faut préciser que le Parlement européen dispose du plus grand service d’interprétation et de traduction au monde. On compte un peu plus de 1000 traducteurs et interprètes qui travaillent pour le Parlement européen.
Les interprètes jouent un rôle majeur pendant les sessions parlementaires. Ils sont situés dans des cabines vitrées et doivent retranscrire en direct les propos et les interventions tenus par les différents responsables politiques. Les interprètes peuvent aussi être sollicités par les députés pour des réunions de travail ou des déjeuners de travail.
Du côté des traducteurs, ils sont chargés de traduire tous les textes et les documents dans toutes les langues officielles. S’agissant des traductions, elles sont de plus en plus informatisées, nous avons des outils performants pour faire ce travail. Néanmoins, un réviseur et correcteur vérifie systématiquement les traductions produites avant de transmettre ces documents et de les publier. Les documents ne doivent pas comporter d’erreurs. Enfin, nous sollicitons des juristes-linguistes pour les textes particulièrement importants qui posent problème dans une langue ou qui doivent faire appel à un vocabulaire juridique particulièrement complexe.
Quel est le statut des traducteurs et interprètes européens ? Sont-ils assermentés ?
La plupart des traducteurs et interprètes sont des fonctionnaires européens, ils travaillent donc exclusivement pour le Parlement européen. Ils ont passé des concours de fonction publique, ils ne sont donc pas assermentés par un quelconque organisme extérieur. Il est important de dire que ces interprètes ne sont pas « attachés » à qui que ce soit, ils peuvent travailler auprès de plusieurs députés, dans différentes commissions parlementaires, etc.
Nous faisons aussi beaucoup appel à des traducteurs ou interprètes indépendants que nous rémunérons à la journée de travail. Ces traducteurs indépendants ont passé un test d’aptitude et il nous arrive de les solliciter pour traduire des réunions, faire des comptes rendus, etc. Nous lançons aussi régulièrement des appels d’offres en matière de traduction où telle ou telle entreprise s’engage à traduire des milliers de pages de textes réglementaires dans telle ou telle langue par exemple. Cela dit, lorsqu’un texte est traduit par un organisme extérieur, nous faisons systématiquement un contrôle qualité avec des relectures croisées faites par nos réviseurs et juristes.
« Nous avons besoin d’au moins 144 interprètes par session plénière classique »
Comment se fait l’organisation lors d’une session parlementaire classique ?
Le travail d’interprétariat est très important. Lorsqu’il y a une session plénière, les députés et les groupes parlementaires prennent la parole à tour de rôle. Pour assurer l’interprétariat, nous avons des cabines vitrées qui sont situées en hauteur dans l’hémicycle. Les interprètes sont installés dans ces cabines et doivent retranscrire les propos des députés dans les oreillettes.
Prenons le mardi par exemple, une session plénière classique débute le matin de 9 h jusqu’à 13 h, puis de 15 h jusqu’à 18 h et de 19 h jusqu’à 24 h. Si l’on considère qu’il y a 24 langues officielles, cela fait donc 552 combinaisons possibles en matière de traduction instantanée. Nous avons besoin de deux équipes d’au moins trois interprètes par cabine et 24 cabines, ce qui représente 144 interprètes par session plénière classique. Les interprètes sont souvent capables de retranscrire dans différentes langues mais cela demande une concentration extrême.
Est-ce que le Parlement européen mène des actions particulières pour favoriser les échanges entre les députés ?
Oui, nous avons toujours pris soin à proposer des cours de langues aux fonctionnaires européens. Nous utilisons aussi des logiciels d’apprentissage en ligne qui permettent aux fonctionnaires d’améliorer leur maîtrise des langues étrangères.
S’agissant des députés, nous proposons également des cours privés avec de véritables professeurs de langues. Les députés peuvent bénéficier d’un, deux ou trois cours de langues par semaine, il suffit qu’ils en fassent la demande. Les élus connaissent bien cette possibilité et ils sont nombreux à en faire la demande. À nos yeux, il est très important que les députés puissent communiquer, exposer leurs idées et échanger leurs vues sans nécessairement devoir faire appel à un interprète.