Les traducteurs le savent : les mots ont leur importance… mais cela ne suffit pas ! Une traduction réussie doit être fidèle au sens. Elle doit restituer un état d’esprit en prenant soin d’adapter le vocabulaire si nécessaire. Cette gymnastique intellectuelle est particulièrement délicate et les erreurs de traduction peuvent être désastreuses lorsqu’elles tombent dans l’oreille de grands décideurs politiques ou économiques. Voici trois erreurs de traduction qui ont chamboulé le cours de l’histoire !
Une erreur de traduction terriblement meurtrière pour les Japonais
C’est sans doute l’erreur de traduction la plus connue, mais aussi la plus tragique de l’histoire. En 1941, les États-Unis entrent en guerre avec le Japon pour contenir son influence dans la région pacifique. Alors que la France fléchit devant l’Allemagne et que l’Europe est en proie au chaos, les Japonais engagent un autre bras de fer en Asie, notamment contre l’ennemi héréditaire chinois.
En juillet 1945, alors que l’Allemagne capitule et que la guerre tourne en faveur des alliés, les pays vainqueurs organisent la conférence de Potsdam. Les États-Unis de Truman, l’URSS de Staline et le Royaume-Uni de Churchill se rencontrent pour déterminer le sort des nations ennemies vaincues. Tandis que la guerre du Pacifique fait toujours rage, les trois géants conviennent d’envoyer un ultimatum au Premier ministre japonais en exigeant la capitulation immédiate et inconditionnelle du Japon, allié du régime nazi, qui résiste encore et toujours.
Le Premier ministre japonais d’alors, Kantaro Suzuki, souhaite gagner du temps afin d’obtenir un consensus au sein de son gouvernement qui est profondément divisé. Dans une déclaration à la presse, Kantaro Suzuki utilise un terme japonais très polysémique : mokusatsu pour exprimer sa volonté de « s’abstenir de tout commentaire pour le moment ».
Un choix aux conséquences dramatiques ! En effet, les agences de presse japonaises et les traducteurs interprètent les propos du Premier ministre comme le souhait « d’ignorer la demande des alliés ». Les Américains y voient une fin de non-recevoir, un rejet pur et simple de leur demande de capitulation. Convaincus que les Japonais ne se rendront jamais, les Américains décident de larguer deux bombes atomiques – sur Hiroshima et Nagasaki – pour forcer le Japon à s’incliner. La suite est malheureusement connue… et le gouvernement japonais expliquera des mois plus tard qu’il souhaitait bien gagner du temps et non rejeter la demande des alliés.
Une erreur de traduction qui prolonge la guerre d’un mois en Géorgie
Décidément, la guerre semble être propice aux erreurs de traduction. En août 2008, la guerre fait rage entre la Géorgie et la Russie. L’enjeu : la revendication russe des régions séparatistes de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Toutes les puissances du monde s’inquiètent alors de ce conflit, considéré comme une menace de grande ampleur du fait de l’implication des troupes russes.
Le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, s’implique personnellement dans le dossier et joue un rôle de médiateur afin de pousser les forces russes à se retirer de la Géorgie. La France prépare un accord de cessez-le-feu, qu’elle présente à la Russie, aux États-Unis et à la Géorgie.
Problème : des termes français se trouvent être mal traduits dans les documents remis à la Russie et à la Géorgie. Dans les versions française et anglaise, là où il est écrit « pour l’Ossétie », il est écrit « dans l’Ossétie » dans la version russe. Ces petites différences de langage ont de grandes conséquences puisque certains passages incriminés sont interprétés par le Kremlin comme une autorisation de stationner ses chars « dans » les territoires sécessionnistes de la Géorgie là où au contraire, on exige du Kremlin qu’il retire tous ses moyens militaires de Géorgie.
Conséquence : les belligérants poursuivent le conflit pendant plus d’un mois durant lequel les diplomaties tentent de parvenir à un nouvel accord de paix… et d’accorder leurs violons quant aux interprétations qui doivent être faites de cet accord.
Une erreur de traduction qui provoque une dégringolade de l’euro
Voici une autre erreur de traduction aux conséquences économiques redoutables. En juin 2010, lorsque l’euro passe sous la barre des 1,20 dollar, l’Union européenne vacille : il s’agit d’une des plus brutales chutes de la monnaie commune depuis son instauration. En cause : une erreur de traduction des propos du Premier ministre français de l’époque, François Fillon !
Ce vendredi 4 juin 2010, François Fillon est en déplacement au Canada. Après une réunion gouvernementale, il tient une conférence de presse pour rendre compte de sa visite, comme il est d’usage.
Depuis quelques jours, l’euro est un peu chahuté et il se déprécie sur le marché des changes. Un journaliste se lève et lui demande ce qu’il pense de cette dépréciation. François Fillon répond calmement et indique qu’il ne voit « que de bonnes nouvelles dans la parité entre l’euro et le dollar ». Le Premier ministre pense alors bien faire ; le terme de « parité économique » est d’ailleurs défini par le dictionnaire Larousse comme le simple « taux de change d’une monnaie par rapport à une autre ».
Surprise ! Dès cette annonce faite, les agences de presse anglophones se mettent en branle et reprennent immédiatement les déclarations de François Fillon. À l’origine de ce remue-ménage : la mauvaise traduction du mot parité par parity, un faux ami de la langue anglaise. En anglais, le mot parity sous-entend en effet une égalité parfaite entre les devises. Le mal est fait : l’ensemble de la presse anglo-saxonne pense que François Fillon souhaite une égalité parfaite entre le dollar et l’euro avec l’idée d’installer progressivement une monnaie commune transatlantique.
Il n’en faut pas plus pour faire plonger l’euro, qui atteint en quelques heures l’un de ses plus bas niveaux ! Angoissés à l’idée de détenir des euros affaiblis, de nombreux investisseurs vendent de l’euro massivement, ce qui provoque une chute de la monnaie commune à son plus bas niveau depuis quatre ans. Matignon sera alors contraint de rectifier le tir en urgence, en publiant un communiqué officiel afin de préciser les propos du Premier ministre. Une erreur de traduction sans conséquence majeure pour les populations civiles, mais qui démontre l’importance d’une traduction fidèle !