Qu’est-ce que la xénoglossie… et comment l’expliquer ?

Est-il possible de rêver dans une langue qu’on ne connaît pas du tout ? Explorons l’obscur concept de xénoglossie !
tête avec une petite porte sur le cerveau

Avez-vous déjà entendu parler de la xénoglossie ? Moi non plus… jusqu’à l’été dernier.

Qu’est-ce que la xénoglossie ?

On appelle xénoglossie le phénomène par lequel une personne est soudainement capable de parler une langue sans l’avoir apprise. Ce concept existe depuis les temps bibliques, voire antérieurs. Les exemples d’individus parlant couramment des langues qu’ils connaissent à peine dans leurs rêves abondent. On entend souvent aussi parler de personnes ayant souffert d’un AVC et qui se réveillent en parlant une nouvelle langue.

Aussi tentant soit-il d’attribuer ces faits à des phénomènes paranormaux ou à des bizarreries métaphysiques, l’explication rationnelle mérite d’être considérée. Mais la science a-t-elle réponse à tout ? Voici deux points de vue – l’un scientifique et l’autre plus onirique – quant à notre capacité à nous approprier instantanément des langues inconnues.

Rêves et xénoglossie

Dans un de mes rêves, quelqu’un m’a parlé dans une langue étrangère. Je n’ai pas compris ce que cette personne me disait, mais je savais que c’était de l’hébreu. À mon réveil, j’ai fait quelques recherches sur Internet, et j’ai découvert avec stupéfaction que ce que j’avais entendu dans mon sommeil était bel et bien de l’hébreu. Ein par exemple signifie « aucun ».

Pour être honnête, je ne pense pas que cette expérience tienne du miracle : lorsque j’avais 13 ans, j’ai étudié un peu l’hébreu pour ma Bar Mitzvah et mon subconscient a probablement fait appel à des souvenirs profondément enfouis.

Il m’est bien plus difficile d’expliquer un autre rêve que j’ai fait, en hindi cette fois. Il ne s’agissait de fait que d’un simple mot en hindi, mais qu’importe : je n’ai pratiquement jamais été exposée à cette langue. Mon subconscient s’est donc emparé d’une information dont je n’avais pas conscience… et quelques investigations m’ont permis de réaliser que je ne suis pas la seule à avoir vécu ce genre d’expériences.

Quelques cas célèbres de xénoglossie:

  • En 2010, une adolescente croate se réveille après un bref coma de 24 heures et ne sait plus parler croate, sa langue maternelle. Elle parle par contre couramment allemand, une langue qu’elle vient à peine de commencer à étudier.
  • Après un accident, les coéquipiers d’un coureur moto tchèque assistent à une scène étonnante en 2007 : Matej Kus s’adresse aux secouristes dans un anglais parfait. Si le pilote parlait un anglais plutôt médiocre avant le choc, les témoins confirment qu’il s’est subitement mis à parler un anglais clair et sans accent. Lui-même ne garde aucun souvenir de l’incident et retrouve son anglais rudimentaire quelques jours plus tard.
  • Un joueur de football d’un lycée de l’État de Géorgie passe trois jours dans le coma après avoir été heurté à la tête. Lorsqu’il se réveille, il a complètement oublié son anglais et parle uniquement… espagnol. La situation s’inversera au fur et à mesure de la guérison et il retrouvera peu à peu son état « normal ».
  • En 2013, Michael Boatwright est retrouvé inconscient dans un motel. Après avoir repris conscience à l’hôpital,** il affirme qu’il s’appelle Johan Elk et parle uniquement suédois. Il avait, en l’occurrence, étudié le suédois dans les années 80.
  • Liu Jieyu, une Chinoise de 94 ans, est victime d’un AVC en 2015 et passe deux semaines dans le coma. En reprenant conscience, elle parle anglais et ne se souvient plus du tout de sa langue maternelle. Elle avait enseigné l’anglais dans sa jeunesse, mais ne l’avait plus parlé depuis 30 ans.
  • Suite à un AVC, un Anglais âgé de 81 ans se réveille et ne parle que le gallois alors qu’il a parlé anglais toute sa vie. Il n’avait passé que quelques mois au Pays de Galle, lorsqu’il avait 10 ans. Les docteurs attribuent la « faille » à un trouble du cerveau appelé l’aphasie. Il réapprend aujourd’hui l’anglais.
  • Un étudiant australien de 21 ans se réveille à l’hôpital après un accident de voiture. Alors que sa langue maternelle est l’anglais, il parle tout à coup couramment le mandarin, langue qu’il a étudiée sans grand résultat au lycée. Il devient par la suite présentateur de l’émission Au My Ga (Oh, My God), à la télévision chinoise.

La xénoglossie d’un point de vue scientifique

Il y a un point commun à tous ces exemples de xénoglossie : dans tous les cas, les personnes avaient été exposées à leur « nouvelle langue » à un moment ou à un autre. Il paraît presque incroyable que des personnes puissent passer de quelques connaissances rudimentaires à la maîtrise d’une nouvelle langue, mais il est cependant plausible que le subconscient ait retenu ces informations sans que l’esprit conscient l’ait fait de lui-même.

Selon Pankaj Sah, neuro-scientifique du Queensland Brain Institute qui s’est penché sur certains des cas évoqués ci-dessus, certains traumatismes cérébraux poussent le cerveau à s’appuyer tout à coup davantage sur l’une de ses parties où les langues secondaires sont stockées, même si elles ont été oubliées.

Gregory O’Shanick du Centre de réadaptation neurologique situé en Virginie explique que la langue maternelle est stockée dans l’hémisphère gauche du cerveau, alors que les langues secondaires – et plus particulièrement celles qui ont été acquises à un âge plus avancé – le sont dans l’hémisphère droit. Lorsque des patients se réveillent après un choc en maîtrisant une langue secondaire, cela peut être la conséquence d’une lésion dans l’hémisphère gauche du cerveau.

Parfois aussi nommé le Syndrome compulsif de la Langue Étrangère, ce phénomène s’appelle l’aphasie bilingue ou polyglotte. L’aphasie, qui est due à une lésion de la zone cérébrale impliquée dans le langage, peut se manifester de différentes manières. Les langues apprises pendant l’enfance se perdent et se récupèrent habituellement ensemble, tandis que les langues secondaires (principalement celles apprises après l’âge de 4 ans) prennent plus de temps à être récupérées. Dans certains cas, les patients passent involontairement d’une langue à l’autre, ou ne sont capables de parler qu’une seule langue à la fois.

Il ne faut pas confondre le Syndrome de la Langue Étrangère avec le Syndrome de l’Accent Étranger, dont peuvent souffrir les victimes d’AVC ou de traumatismes cérébraux et qui les fait parler avec un fort accent étranger. Il ne s’agit en réalité pas d’un accent mais d’un trouble du langage qui ressemble à un accent.

Peu d’études ont été réalisées sur ce phénomène, mais on peut signaler les travaux de Ian Stevenson, ancien professeur et chercheur en psychiatrie de la Faculté de médecine de l’université de Virginie, dont les recherches se sont concentrées sur la réincarnation et les phénomènes paranormaux, parmi lesquels il cite la xénoglossie.

La linguiste Sarah Grey Thomason a publié une longue critique des travaux de Ian Stevenson, en argumentant que la supposée maîtrise atteinte par les patients souffrant de xénoglossie était en réalité un niveau de langue correspondant au mieux au niveau débutant. Elle cite le cas d’une femme au foyer américaine dans les années 50 qui a, sous hypnose, révélé une deuxième personnalité masculine, un paysan suédois, capable de répondre à des questions en suédois. Lors d’une session d’hypnose, elle a utilisé environ 60 mots suédois « spontanément », c’est-à-dire sans les avoir entendus auparavant dans les questions. Or, si on exclut les mots d’origine anglaise, allemande ou yiddish, il ne restait plus que 31 mots suédois. De plus, la majorité des réponses n’était que de courtes phrases simples d’un ou deux mots. Sa prononciation était quant à elle irrégulière.

Le point de vue onirique

La plupart des exemples de xénoglossie ci-dessus font état d’un traumatisme cérébral ayant eu pour conséquence une dépendance temporaire à une langue secondaire. Mais qu’en est-il des gens qui rêvent dans une langue qu’ils n’ont (en théorie) jamais apprise ?

Selon Stephen Dutch, il n’est pas nécessaire de maîtriser parfaitement une langue pour rêver dans cette langue de manière intelligible**. Le subconscient peut enregistrer des éléments que l’on a entendus simplement en passant.

Un médium professionnel affirme avoir vécu des épisodes de xénoglossie lors de consultations avec des clients étrangers. Durant ces sessions, il a été capable de s’adresser à eux par de courtes phrases dans leur langue maternelle, notamment l’ourdou, le croate et le chinois, alors qu’il n’en avait aucune connaissance auparavant.

Internet foisonne d’exemples de rêves dans une langue étrangère à laquelle les personnes avaient ou non été exposées. Ces témoignages directs sur le net sont difficilement vérifiables. De plus, les rêves sont relativement peu fiables et ce qui semble être la maîtrise d’une langue peut n’être en fait qu’une impression. Cela dit, il faut reconnaître que la science est encore peu équipée pour analyser des expériences de xénoglossie impliquant un grand impact émotionnel et psychologique.

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