David Atchoarena, pouvez-vous nous rappeler quel est le rôle de l’UNESCO ? Comment contribuez-vous à la lutte contre l’analphabétisme dans le monde ?
David Atchoarena : L’UNESCO — Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture — est une organisation internationale qui vise à stimuler les coopérations internationales en matière d’éducation, de science et de culture. Les programmes de l’UNESCO contribuent à la réalisation des objectifs fixés par l’Assemblée générale des Nations Unies.
S’agissant de la lutte contre l’analphabétisme dans le monde, nous aidons les états membres à développer leurs programmes en matière d’éducation. Nous faisons des études ainsi que des recherches afin de proposer des approches innovantes en matière d’éducation.
Où en est-on de l’analphabétisme dans le monde ? Quels sont les pays les plus touchés ?
D.A : L’analphabétisme a tendance à décroître dans le monde, mais il n’est pas encore vaincu. À ce jour, on compte environ 750 M de personnes qui sont incapables de lire ou d’écrire, dont 120 M sont des jeunes. Sans surprise, les pays les plus touchés sont ceux dits « en voie de développement », à commencer par les pays d’Afrique subsaharienne, en particulier au Sahel, ainsi qu’en Asie du Sud.
Il faut savoir qu’il existe 20 pays dans le monde, majoritairement en Afrique, où le taux d’alphabétisation est inférieur à 50 %. Je pense notamment au Bénin, à la Côte d’Ivoire, au Mali ou au Tchad où le taux d’alphabétisation est autour de 40 %. Les pays en développement qui sont très fortement peuplés, comme notamment le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan, sont également très touchés par le phénomène, car ils concentrent la majorité de la population analphabète mondiale.
La taille de leur population implique logiquement un plus grand nombre d’analphabètes, notamment dans les campagnes et dans les zones faiblement urbanisées où la mise en œuvre des programmes est plus complexe. Globalement, les pays occidentaux sont moins touchés, car les systèmes éducatifs sont bien en place et fonctionnels, même s’ils connaissent des phénomènes d’illettrisme.
Il y a une autre donnée à garder à l’esprit lorsqu’on parle d’analphabétisme, ce sont les grandes disparités qui existent entre les hommes et les femmes. Deux analphabètes sur trois dans le monde sont des femmes. C’est un phénomène socioculturel. Bien souvent, dans les pays concernés, les femmes sont moins scolarisées que les hommes, elles travaillent tôt et l’on considère que la maîtrise de l’écriture et de la lecture ne leur est pas nécessaire.
Pouvez-vous nous parler du projet AMLL — Advancing Mobile Literacy Learning — qui a été conduit par l’UNESCO ? Quels étaient les objectifs ?
D.A : Le projet AMLL a débuté en 2015 et s’est achevé en 2018. L’objectif était de voir dans quelle mesure les technologies mobiles pouvaient être utiles pour favoriser l’apprentissage des savoirs essentiels comme la lecture, l’écriture ou les mathématiques. Ce projet a été mené en partenariat avec Microsoft, qui nous a fourni du matériel et des logiciels pour mener à bien l’expérimentation. L’idée était de mettre en place des méthodes d’apprentissage innovantes dans des pays très touchés par l’analphabétisme. Pour mener ce projet, nous nous sommes concentrés sur 4 pays : le Bangladesh, l’Égypte, l’Éthiopie et le Mexique.
Concrètement, nous avons passé des accords avec des formateurs, des associations ou des ONG présentes sur place afin de mettre en place les programmes, les cours et les ateliers. Les apprenants ont été choisis sur la base du volontariat et ils ont utilisé des tablettes mobiles ainsi que différents logiciels pour apprendre au mieux la lecture et l’écriture. Le but était de favoriser l’apprentissage dans leur langue locale ou maternelle, nous avons donc travaillé avec 6 langues différentes. Il faut savoir que le projet AMLL s’adressait uniquement aux adultes, et notamment aux femmes adultes.
Comment ont été choisis les formateurs et accompagnateurs ?
D.A : Nous avons choisi de travailler exclusivement avec des formateurs locaux. Tous les formateurs ont été formés à l’usage des technologies et des logiciels utilisés auprès des apprenants. Les cours et les programmes étaient préparés en amont. Parallèlement à ce travail de formation, nous avons également effectué un travail de numérisation pour favoriser la diffusion des cours ou des livres d’apprentissage. Dans ces pays, l’accès aux livres est souvent difficile pour certaines populations.
En quoi les outils numériques peuvent-ils être plus performants qu’un apprentissage classique ?
D.A : Le premier avantage d’un outil numérique comme un ordinateur, un smartphone ou une tablette, est la possibilité d’apprendre chez soi. De fait, les apprenants peuvent faire des exercices à la maison et accélérer leur apprentissage s’ils le désirent. Cette possibilité d’apprendre quand bon leur semble est un réel atout.
L’autre avantage est la capacité à personnaliser les logiciels selon les profils ou de faire évoluer l’apprentissage selon les niveaux. Les méthodes et applications actuelles peuvent être adaptées aux besoins de l’apprenant tout le long de son apprentissage. Si l’apprenant a des faiblesses en grammaire, il pourra focaliser son apprentissage sur les règles grammaticales. S’il a des faiblesses en mathématiques, il pourra se concentrer sur les mathématiques.
L’implication est aussi une notion très importante dans le cadre d’un apprentissage. De fait, les exercices virtuels et les logiciels spécialisés exigent une forte implication de l’apprenant. Il est obligatoire de se concentrer si l’on veut réellement progresser.
Enfin, les cours et leçons dématérialisés sont faciles à transmettre. Cette possibilité d’échange entre les gens est la bienvenue puisqu’elle permet de transmettre facilement les savoirs. En matière de contenus, les choses sont variées et accessibles.
« Les smartphones peuvent jouer un rôle important dans l’apprentissage des savoirs fondamentaux »
Face à l’analphabétisme, peut-on conclure que les technologies mobiles représentent la « solution miracle » ?
D.A : Non. Notre expérience et nos études montrent qu’aucun outil ne peut être perçu comme une panacée. Du point de vue de l’enseignement et de l’apprentissage, les technologies et les applications ne sont que des outils tandis que l’accompagnement, l’encadrement et la pédagogie sont absolument primordiaux. Il est également absolument nécessaire de concevoir des outils d’évaluation afin de suivre les progrès et les résultats de l’apprentissage pour comprendre les facteurs qui influent sur l’amélioration des compétences, s’agissant des savoirs fondamentaux.
Aujourd’hui, quelles sont les technologies les plus à même de favoriser l’alphabétisation ?
D.A : Dans les pays riches comme dans les pays pauvres, les smartphones sont de plus en plus présents. Même les familles modestes qui vivent dans des pays en voie de développement possèdent aujourd’hui un téléphone. Je pense que les smartphones peuvent jouer un rôle important dans l’apprentissage des savoirs fondamentaux, notamment s’agissant de la lecture et de l’écriture.
D’ailleurs, nous nous sommes sérieusement penchés sur la question et nous avons publié un rapport qui montre à quel point les individus, notamment les femmes, utilisent leur téléphone comme un portail de texte. Les résultats montrent notamment que dans les pays où le taux d’analphabétisme est élevé et où le texte physique est rare, un grand nombre de personnes lisent des ouvrages complets et des récits sur des appareils à petit écran.