Les raisons de vouloir donner une éducation bilingue à son enfant sont nombreuses : parce que l’on vit dans un environnement international, pour offrir à sa progéniture plus de chances dans le futur, parce que les parents viennent de pays différents et que l’on veut donner à son enfant accès aux deux cultures… En plus de l’enrichissement culturel, apprendre à parler plus d’une langue présente des avantages cognitifs. Les bilingues sont plus efficaces lorsqu’ils effectuent des tâches qui requièrent une attention sélective particulière comme se concentrer, ignorer les stimuli superflus dans certaines situations ou faire basculer son attention lors de la résolution de problèmes.
La théorie actuelle est la suivante : parler deux langues exige une plus grande attention sélective afin de minimiser les interférences entre les langues et d’assurer une utilisation adaptée de chacune. Or, cette attention linguistique sélective stimule également le développement d’autres fonctions exécutives du cerveau.
À la lumière de ces informations, la plupart d’entre nous s’accorde à dire qu’une éducation bilingue est une bonne chose. Mais regardons les choses en face : élever un enfant n’est pas une mince affaire. Entre les joies et les difficultés du quotidien, les avis de la famille, des amis et des enseignants, le doute finit par s’installer :
« Ton enfant va finir par confondre les deux langues. Ce n’est pas une bonne idée. »
« J’ai entendu dire que si tu élèves ta fille avec deux langues, elle va être submergée et ne commencera à parler que bien plus tard. »
« Votre enfant a déjà des difficultés à l’école, vous ne lui facilitez pas la tâche en lui imposant deux langues. »
Petit à petit, votre « Oui, je veux absolument une éducation bilingue pour mon enfant » se transforme en « Après tout, je ne suis pas sûr que ce soit vraiment une bonne idée… ».
Quant à nous, nous pensons qu’une éducation bilingue vaut vraiment la peine, mais ne voulons pas en rajouter une couche à la pile de conseils non sollicités de votre entourage. C’est pour cela que nous souhaitons ici exposer des faits avérés plutôt que de simples opinions. Voici quelques études qui brisent certains mythes au sujet de l’éducation bilingue.
1er mythe : « Tes enfants ne commenceront à parler que plus tard parce qu’ils seront submergés. »
Si l’on part de l’idée qu’un enfant normalement développé n’est pas capable d’apprendre deux langues en même temps, on peut s’attendre à ce que les enfants bilingues ne commencent à parler que plus tard par rapport aux monolingues. Mais d’après plusieurs études, cela ne semble pas être le cas lors des premières étapes de l’apprentissage du langage.
Une étude de K. Oller parue dans le Journal of Child Language en 1997 a permis de montrer qu’un groupe de 73 enfants apprenant l’anglais et l’espagnol à Miami ont commencé à gazouiller en même temps que les enfants monolingues.
De plus, trois études différentes de F. Genessee (2003), J.L. Patterson et B.Z. Pearson (2004) et L.A. Petitto (2001) ont montré que les enfants bilingues prononcent leurs premiers mots en même temps que les enfants monolingues, dans le langage des signes également.
Concernant le vocabulaire, celui des enfants bilingues est moins étendu si l’on considère chaque langue séparément. En revanche, les études prenant en considération les deux langues, comme celle de L. Bedore en 2005 (en anglais), montrent au contraire que les enfants bilingues possèdent autant de vocabulaire, si ce n’est plus.
Par ailleurs, J. Paradis et F. Genesee ont observé des enfants apprenant l’anglais et le français et constaté que ceux-ci commençaient à combiner les mots en même temps que les enfants monolingues, soit entre 1 an et demi et 2 ans.
Toutes ces recherches suggèrent que les enfants ont des capacités d’assimilation linguistique supérieures à ce que nous pensons, et que l’apprentissage simultané de deux langues n’a pas d’impact négatif sur ces enfants ; leur développement n’est pas ralenti et ils connaissent au moins autant de mots qu’un enfant monolingue.
2ème mythe : « Apprendre deux langues en même temps embrouille l’esprit. »
Certains parents craignent que leurs enfants ne réalisent pas qu’ils s’expriment dans deux langues et finissent par s’embrouiller l’esprit. Le risque serait de mélanger les idiomes ou de ne pas savoir dans lequel s’adresser à son interlocuteur. Là encore, il n’y a aucune preuve pour confirmer cette hypothèse, même en ce qui concerne les premiers temps de l’apprentissage.
Pas si perdus que ça
B. Maneva et F. Genesee ont observé, dans une étude de 2002, que les gazouillements d’un enfant élevé avec deux langues varient selon qu’il interagit avec sa mère anglophone ou son père francophone. Les enfants plus âgés sont capables d’utiliser leurs langues de façon appropriée, même avec une personne qu’il viennent tout juste de rencontrer. Ceci a été testé lors d’une expérimentation de L. Comeau, F. Genesee et M. Mendelson, publiée dans le journal First Language en 2010 (en anglais). Lors de ce test, on a regroupé des enfants bilingues de deux à trois ans avec des adultes ne parlant qu’une des deux langues. Dès que l’interlocuteur adulte indiquait d’une manière quelconque qu’il ne comprenait pas, ne serait-ce qu’avec un « Quoi ? », l’enfant passait immédiatement à l’autre langue.
Code switching : bien ou mal ?
On remarque que les enfants bilingues changent parfois de langue au cours d’une même conversation, une pratique connue sous le nom de code switching ou code mixing (qui signifie en français l’alternance de code linguistique). En réalité, cela n’arrive que très rarement. Dans une étude de 1995, F. Genesee s’est rendu compte que des enfants bilingues de Montréal, vers l’âge de deux ans, ne mélangeaient les langues que 3% du temps en moyenne dans un même énoncé. Ces résultats ont plus tard été confirmés par une étude indépendante de D. Sauve et F. Genesee en 2000, qui montre que l’alternance des langues se produit environ 4% du temps.
Ainsi, dans 96% des cas, il n’y a pas de code mixing. Les 4% restant ne sont d’ailleurs pas nécessairement un problème. Si l’alternance des langues était autrefois perçue d’un œil critique, elle est à présent considérée comme une pratique normale et naturelle chez les personnes parlant plusieurs langues. Dans une entreprise internationale comme Babbel, les gens passent constamment d’une langue à l’autre, sans pour autant avoir l’air perdus ou submergés.
Le code mixing peut même être perçu comme un indicateur prouvant que les enfants sont bien conscients des spécificités grammaticales de chaque langue. Dans les études citées précédemment, on observe que les enfants n’enfreignent jamais les règles de syntaxe de la langue qu’ils utilisent. Ils ne construisent par exemple pas de phrases telles que « I le like », ce qui serait grammaticalement faux en anglais, mais pas en français. Cela démontre que les enfants connaissent les règles grammaticales dans les deux langues et les appréhendent indépendamment l’une de l’autre, au lieu d’appliquer les règles du français à l’anglais et vice versa.
3ème mythe : « Si ton enfant a des difficultés, une deuxième langue ne fera que lui compliquer la tâche. »
Si votre enfant a des difficultés scolaires, il est normal d’avoir peur de le submerger. Cela ne signifie pourtant pas que vous devez le sous-estimer.
Enfants avec des difficultés scolaires
L’étude de F. Genesee de 1976 montre que les enfants scolarisés dans des circuits franco-anglais et présentant des difficultés ne sont pas moins bons que les enfants ayant les mêmes difficultés et scolarisés dans des circuits exclusivement anglophones. Les premiers possèdent au contraire l’avantage d’avoir un meilleur niveau en français, et leur niveau de compréhension orale dans leur deuxième langue est même comparable à celui d’enfants qui ne présentent aucune difficulté d’apprentissage.
Enfants sujets à la dysphasie
La dysphasie désigne un développement anormal du langage chez l’enfant, mais dont les causes ne sont pas liées à un développement général lent, à des anomalies de l’appareil phonatoire, à des troubles du spectre autistique ou à la surdité. Dans une étude de 2003 consacrée à ce problème (en anglais), J. Paradies a comparé des enfants bilingues et monolingues, âgés de sept à huit ans et atteints de dysphasie. On s’est aperçu que les forces et faiblesses linguistiques des enfants bilingues étaient équivalentes à celles des enfants monolingues. Ainsi, les premiers ne semblent pas plus affectés par une éventuelle surcharge.
Enfants atteints de troubles du développement global
Les enfants bilingues atteints de trisomie 21 ou de troubles du spectre autistique ont des capacités linguistiques équivalentes à celles d’enfants monolingues présentant les mêmes troubles.
Ces résultats ont été confirmés par plusieurs études, dont celle de E.K. Bird en 2005 et de C. Hambly et E. Fombonne en 2012 (en anglais).
Prendre la bonne décision
Il faut préciser que la majorité des études citées dans cet article ont été conduites auprès d’enfants vivant à Montréal, au Canada, soit dans des circonstances particulièrement favorables, puisque les langues française et anglaise y sont omniprésentes. De telles conditions sont rares, et le rapport des enfants au bilinguisme peut varier d’un cas à l’autre.
Il est donc important de suivre avec attention la réaction de ses enfants afin de s’assurer qu’une éducation bilingue est réellement adaptée. Nous espérons cependant que cet article aura apaisé certaines réticences quant au fait de donner à vos enfants une éducation bilingue. Car au final, il s’avère que le bilinguisme, dans la majeure partie des cas, est plutôt un avantage qu’un handicap.