Les souffrances d’un jeune bilingue

Soyons honnête, on envie tous un peu les bilingues. Le but de cet article est de vous mettre du baume au cœur… Vous verrez qu’après tout, ce n’est pas toujours rose d’être bilingue !

Le fait que j’envie profondément les bilingues n’a jamais été un mystère pour ceux qui me connaissent : lorsque ma prof d’anglais m’interrogeait sur les verbes irréguliers, lorsque je m’échinais à épeler correctement « Qu’est-ce que » (encore aujourd’hui, ça me pose des problèmes), et, plus récemment, lorsque je me suis retrouvée devant la caméra à devoir prononcer des mots imprononçables… Chaque fois, le même désespoir me saisit, la même question lancinante me hante : « Pourquoi ne suis-je pas bilingue ? »

Il est vrai que les circonstances n’étaient pas particulièrement favorables : Italienne née en Italie de parents italiens… les occasions ne se sont jamais bousculées au portillon. Bien sûr, j’ai appris comme tout le monde les langues étrangères, à l’école, au collège, à l’université… mais ce n’est pas la même chose.

Encore aujourd’hui, la notion de plurilinguisme ne fait pas l’unanimité : certains soutiennent que seuls les enfants ayant grandi depuis leur naissance avec deux langues ou plus peuvent être considérés comme bilingues. Selon d’autres, cela peut simplement vouloir dire que l’on maîtrise parfaitement plusieurs idiomes, peu importe l’âge auquel on les a appris.
Mais dans le flou qui persiste malgré les nombreuses études sur le sujet, une chose semble certaine : plus on vieilli, plus on passe d’un apprentissage intuitif à un apprentissage déductif. Autrement dit, plus on est jeune, plus l’apprentissage d’une langue est naturel et aisé.

Même si aujourd’hui, je peux moi aussi me targuer de parler deux langues étrangères plus ou moins couramment, mon respect envers les personnes bilingues reste intact. Quand j’étais petite, je les classais encore parmi les créatures mythiques, à côté des licornes et des centaures. Mais en grandissant, la curiosité a pris le pas sur la méfiance, et j’ai commencé à les assaillir de ces questions déjà entendues mille fois :
« – Tu penses en quelle langue ?
– Dans quelle langue tu dis des gros mots ?
– Dans quelle langue tu rêves ?
– Dans quelle langue tu aurais envie, là tout de suite, de m’envoyer au diable ?
»

Etc.

Vous imaginez ma désillusion lorsque j’ai réalisé qu’il n’était pas toujours si simple d’être bilingue… Mais quels sont ces désavantages, au juste ? Je laisse maintenant la parole à cinq bilingues désireux de compassion.

« Je ne sais jamais dans quelle langue me disputer »

L’allemand me vient plus naturellement, mais ma mère, américaine, exigeait qu’on parle anglais ensemble. Quand on se disputait, elle prétendait ne pas me comprendre, ou parlait tellement vite et avec un accent si prononcé que j’étais incapable de la suivre. Parfois même, elle m’interrompait en plein milieu de la dispute pour me corriger ! Mais son arme ultime, le coup bas par excellence, c’était lorsqu’elle utilisait sciemment des mots que je ne connaissais pas. Évidemment, elle finissait toujours par me clouer le bec… Imaginez un peu la frustration !

« Je traduis des mots qui n’existent pas »

Chaque langue possède des mots intraduisibles, soit qui n’ont absolument aucun équivalent dans les autres langues, soit qui perdent leur force et deviennent banals lorsqu’ils sont traduits. Cela m’est déjà arrivé, en regardant le ciel, de m’exclamer « Regarde, il pleut des chats et des chiens ! », ou bien de dire naïvement, à propos d’une chose facile à faire, que c’était un vrai « morceau de tarte ».

« Je suis toujours l’étranger de service »

En tant que bilingue, ça ne s’arrête jamais : les Français te parlent toujours de ton accent allemand, les Allemands de ton accent français. Quand tes amis allemands discutent de la Nouvelle Vague, tout le monde se tourne vers toi comme si tu étais l’experte par excellence, alors que la dernière fois que tu es allé au cinéma, on passait encore des films muets… Et vice versa, si la discussion porte sur la dialectique hégélienne ou l’influence de la théorie économique marxiste sur l’organisation mondiale… Bref, pas besoin de vous faire un dessin.

« Je dois sans cesse répondre aux mêmes questions stupides »

« – Tu penses en quelle langue ?
– Dans quelle langue tu dis des gros mots ?
– Dans quelle langue tu rêves ?
»

… Tout le monde me traite comme une expérimentation génétique, un cobaye de la science. On veut m’entendre dire des choses dans une langue ou l’autre, traduire des films en simultané… On me demande si je me mélange les pinceaux, on pense que connaître deux langues signifie savoir parler un peu l’une, un peu l’autre, mais aucune des deux parfaitement. Puis on en conclue (à ma place) que certes, je suis polyglotte, mais que je ne saurais jamais maîtriser aucune langue à la perfection… Et moi dans tout ça ?!

« Je ne sais jamais quelle équipe supporter »

Être bilingue ne signifie pas seulement parler deux langues, mais aussi appartenir à deux cultures, faire l’équilibriste entre deux pays auxquels on se sent attaché. Jusque-là, rien de très grave. Mais le même problème revient tous les quatre ans, au moment de la Coupe du Monde de football… Alors là, bonjour les crises de schizophrénie !

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