Oui, les Américains aiment la France. Fini le French bashing ! Cocorico, la France est de nouveau tendance.
Pour s’en convaincre, il suffit de faire le tour des magazines lifestyle américains. « 10 manières de s’habiller comme une Française cet automne », « 7 habitudes beauté d’une Française à adopter », « 8 secrets beauté que seules les Françaises connaissent »… sans oublier les conseils avisés du magazine The Cut et sa French to-do-list !
Vous n’êtes pas très mode ? Ça tombe bien, nous ne sommes pas là pour vous abreuver de conseils beauté. Intéressons-nous plutôt aux raisons pour lesquelles les Américains aiment la France avec autant de passion. Vous savez, ce fameux je ne sais quoi que la providence (à ne pas confondre avec la Provence) est supposée avoir transmis à tous les Français de Deauville à Cannes ; ce chic naturel immortalisé par la baguette, le béret et la marinière, les trois accessoires incontournables du parfait parisien dans l’imaginaire collectif américain.
Vous n’allez peut-être pas nous croire, mais figurez-vous que l’histoire de la francophilie américaine est pourtant bien antérieure à la naissance d’Internet … et n’a (presque) rien à voir avec la mode et les conseils beauté. Alors depuis quand les Américains aiment-ils la France ?
Pourquoi donc les Américains aiment-ils la France ?
« La France occupe une place à part aux États-Unis. Aucun autre pays n’est aussi passionnément aimé, aucun n’est plus vigoureusement critiqué et condamné. Il semble que ces deux sentiments soient toujours éprouvés à l’excès, que l’illusion ou la déception profonde dominent à tour de rôle. »
– André Siegfried, académicien français
Dans le livre Pourquoi la France ? Laura Lee Downs et Stéphane Gerson ont demandé à plusieurs historiens américains de raconter comment ils sont tombés amoureux de la France. On y apprend notamment que bien avant l’essor du tourisme de masse, au milieu du XXe siècle, la France était principalement visitée par les classes aisées américaines. Parmi eux : Thomas Jefferson.
Avant de devenir le troisième président des tout jeunes États-Unis d’Amérique, Thomas Jefferson a vécu 5 ans à Paris, de 1784 à 1789, et a été l’un des premiers à en vanter les vertus. Il entretient alors une correspondance régulière avec Abigail Adams, la femme de son prédécesseur John Adams. Voici ce qu’il écrit dans une lettre à la future First Lady :
« Ici on chante, on danse, on rit et on s’amuse. Lorsque notre Roi [le Royaume de France étant alors engagé dans la guerre d’indépendance des États-Unis] sort, ils se jettent à terre pour baiser le sol qu’il a foulé ; et ils s’embrassent aussi les uns les autres, […] ils ont autant de joie en une année que les Anglais en dix ans. »
– Thomas Jefferson, Correspondances Diplomatiques
Nombreux sont ceux à avoir suivi les pas de Jefferson à Paris. À la fin du XVIIIe siècle, la Ville Lumière se peuple de scientifiques, de médecins, d’hommes d’affaires, de journalistes et d’étudiants en art, tous à la recherche de nouvelles expériences et de nouveaux savoirs. Écrivains et artistes s’y succèdent par vagues, en particulier à l’aube des grands conflits dans lesquels les États-Unis s’impliquent.
Dans les années 30, les universités américaines vont jusqu’à proposer des programmes d’études en France, dont l’objectif pédagogique officiel est « de créer une élite francophile aux États-Unis – et de réduire la suprématie intellectuelle allemande. » Rien que ça.
Paris, capitale culturelle du monde occidental
La France a bien sûr beaucoup évolué depuis et a sans doute perdu un peu de son rayonnement outre-Atlantique. Et pourtant aujourd’hui encore, les Américains aiment la France. Les raisons qui les attirent à Paris sont indémodables : la défense du bon goût, une certaine résistance face à la course à la modernité, l’appel du plaisir et de la liberté, sans oublier la forme de reconnaissance sociale indéniable que représente encore le simple fait d’avoir les moyens de visiter la France.
Auteur de Le voyage à Paris : les Américains à l’école de la France, 1830-1900, l’historien David McCullough a développé une théorie intéressante dans une interview accordée à CNN en 2011. Selon lui, c’est principalement par désillusion que l’élite américaine est venue étudier en France au XIXe siècle.
« Ils rêvaient de la France, ils désiraient la France, et ils n’avaient pas peur d’y aller parce qu’ils étaient désenchantés par leur propre pays. Ils sont partis pour découvrir si les Français avaient autant de talent qu’on le prétendait, et pour acquérir l’entraînement et l’expérience qu’ils ne pouvaient obtenir ici. Il n’y avait à l’époque pas de musées où admirer des œuvres célèbres. Il n’y avait pas une seule école d’architecture dans tous les États-Unis. C’était les années 1830. »
– David McCullough
Alors que le tourisme international devient de plus en plus accessible à la classe moyenne américaine et que la culture se mondialise, Laura Downs et Stéphane Gerson constatent que la France conserve une place de choix dans l’imaginaire culturel américain et continue d’être perçue comme « la terre promise d’une authentique révolution » dans l’Amérique post-68.
La ville de l’Amour, vraiment ?
Bon. Toutes ces explications sont parfaitement rationnelles, mais n’expliquent pas vraiment pourquoi les Américains aiment la France à ce point. D’où vient vraiment ce fantasme pictural, quasi-cinématographique, des amants enlacés au bord de la Seine ? Comment expliquer que les Occidentaux considèrent que l’accent français est le plus sexy ? Une chose est sûre : le titre de City of Lurve (Ville de l’Amouuur) ne se résume pas au simple amour du Jambon-beurre.
À première vue, le responsable serait plutôt à rechercher du côté d’Hollywood. En 1923, l’agence hollywoodienne International Kinema Research a demandé à trois photographes parisiens de prendre des photos de scènes typiquement parisiennes, dans le but de créer des décors réalistes pour de futurs films. Les photos collectées, mettant en scène des parisiens minces, chics et à la pointe de la mode, n’étaient pas toutes forcément représentatives du pays mais constituaient d’excellentes sources d’inspiration. L’agence désirait ainsi obtenir des décors réalistes et cohérents. Parmi ses exigences, l’agence désirait par exemple immortaliser « un beau jardin qu’un homme riche serait susceptible d’avoir », ainsi qu’un « boudoir à la française, élégamment meublé. »
À en croire ce témoignage, ce n’est pas que les Américains aiment la France, mais plutôt qu’ils aiment le mythe de l’amour à la française. Des films comme Un Américain à Paris, À bout de souffle, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain ou n’importe quel long-métrage mettant en scène Brigitte Bardot ont énormément contribué à fabriquer l’image glamour de la France.
Les Américains aiment la France : un amour exotique
Le cinéma ne fait néanmoins pas tout. Selon Laura Downs et Stéphane Gerson, les Américains n’aiment pas vraiment la France, mais une représentation très exotique du pays. La raisons principale ? La plupart des Américains n’ont jamais rencontré… de Français.
En effet, parmi les nombreux Européens ayant migré aux États-Unis aux XIXe et XXe siècles, très peu étaient originaires de l’Hexagone. De fait, la majorité des Américains ne possède aucun ancêtre français, aucune référence, aucune trace de cette culture dans son entourage.
« L’une des conséquences de cette absence a été que l’imaginaire américain a représenté la France tout entière comme une élite de culture bourgeoise ; comme si la Nation française était constituée uniquement d’individus bien habillés, dînant tous les soirs chez Maxim’s. L’image de la France flotte donc plus librement dans l’imagination américaine, tel un écran sur lequel on peut facilement projeter toutes les fantaisies, positives ou négatives. »
– Laura Downs & Stéphane Gerson
Bien que cette image subsiste aujourd’hui, elle est aussi souvent réfutée. La France est tout simplement un pays contrasté, à l’instar des États-Unis. C’est un pays composé d’une multitude d’individus différents et non pas uniquement de femmes blanches, fortunées et minces à qui le trench-coat sied à merveille.
« Soyons francs : cette passion collective est plutôt gênante » écrit Lynn Yaeger dans Vogue. « Combien de temps avez-vous perdu à vous ébahir devant le fait que tout petit Français de 6 ans sait faire un nœud de cravate ? »
« Aussi longtemps que l’on continuera à imaginer la France comme une photographie de Robert Doisneau, on continuera à ignorer l’existence de la vraie population française d’aujourd’hui », renchérit Chelsea Fagan dans Refinery 29. « Nous ne reconnaissons pas l’existence des femmes de couleur, des femmes qui ne peuvent pas se payer des robes de couturiers ou de toutes celles qui ne rentrent pas dans un jean slim taille 36. »
Ce stéréotype est tellement ancré que, lors de leur premier séjour en France, certains visiteurs éprouvent un choc psychologique appelé le « syndrome de Paris », qui ferait environ 20 victimes chaque année. Sans blague !
Le plus drôle dans toute cette histoire ? Il semblerait bien que la fascination fonctionne dans les deux sens. De nos jours, à Paris, trendy est plus ou moins synonyme de New York. Par contre, on n’a pour l’instant rapporté aucun cas de « Syndrome de Brooklyn ».