La violence verbale contre les femmes

Les linguistes de Babbel analysent différentes manifestations de violence verbale

La violence n'est pas seulement physique : en réalité, certains mots et expressions de notre vie quotidienne, que ce soit dans la rue, à la maison, au travail ou sur les réseaux sociaux, peuvent frapper les femmes tout aussi durement que des coups. L'intimidation, l'humiliation et le blâme sont autant de formes de violence qui portent atteinte à l'estime de soi des femmes. Mais plus encore, les mots ont également le pouvoir de renforcer certains préjugés et de justifier ou banaliser un comportement agressif. C’est ainsi que des manières de parler, ancrées dans divers contextes culturels, deviennent des manières de penser.

« Le langage constitue un filtre important, à travers lequel nous percevons le monde. Il influe inévitablement sur nos relations avec les autres ainsi que sur nos jugements. Le pouvoir de la parole est énorme. Et malheureusement, beaucoup d'expressions de la vie courante alimentent et confirment le préjugé inconscient selon lequel les hommes sont intellectuellement, physiquement et moralement supérieurs aux femmes », commente Sophie Vignoles, experte et responsable didactique de Babbel.

Identifier la violence sexiste dans le langage

Discrimination au travail

Les preuves du sexisme au travail ne manquent pas, comme le prouvent diverses expressions sexistes couramment utilisées dans le monde de l'entreprise. Certaines dénigrent les compétences des femmes ou véhiculent clairement une discrimination de genre (« Ce poste ne convient pas à une femme »), tandis que d’autres proclament que le rôle des femmes devrait se cantonner à la cuisine (« Retourne à tes fourneaux ! ») ou devant le miroir (« Sois belle et tais-toi »). En outre, et à en croire certaines expressions familières, les femmes ne peuvent obtenir de hauts postes qu'en utilisant leur corps (« Pour décrocher ce poste, elle a dû coucher »). Lorsqu'une femme de caractère force l’admiration, elle est comparée à un homme (« C’est une femme qui a des couilles »). Au bureau, les femmes peuvent se faire taxer de frustrées et d’hystériques (« Ma collègue est de mauvaise humeur aujourd’hui, elle doit avoir ses règles ! »).

L’amour-possession

Certaines expressions telles que « Si tu n'es pas avec moi, tu ne peux être avec personne » et « Pourquoi n'as-tu pas répondu au téléphone tout de suite ? » peuvent être perçues comme des manifestations d'amour et d'inquiétude, mais en réalité, elles révèlent la volonté d'exercer un contrôle sur l'autre. À cet égard, une phrase comme « Je te défends de sortir habillée comme ça » a le mérite d’être explicite.

Les menaces

L’une des raisons pour lesquelles de nombreuses femmes restent dans des situations de violence ou évitent de dénoncer leur agresseur est la crainte pour leur propre vie ou pour celles de leurs proches. En cause : les pressions qu’elles subissent, à travers des menaces ou des chantages tels que « Si tu me quittes, je me tuerai », ou « Si tu le dis à quelqu'un, je te tuerai », ou encore « Si tu essaies de revoir X (ami/collègue), tu vas voir ce qui va t’arriver ».

Atteintes à l’estime de soi

Souvent, les femmes qui vivent dans une situation de violence ont du mal à s'en sortir, car l'agresseur les humilie au point de détruire la force et l'estime de soi dont elles ont besoin pour parvenir à quitter leur conjoint, au moyen d’expressions telles que « La ferme, tout le monde se fout de ce que tu dis », « Personne ne te croira » ou « Tu es folle, ça ne s'est jamais passé, c’est toi qui as tout inventé ».

Discrimination de genre : la part des médias

Confusion fréquente entre « féminicide » et « meurtre/homicide »

Les médias utilisent souvent ces deux termes à mauvais escient, car ce ne sont pas des synonymes. Un féminicide est un crime patriarcal. Il s’agit d’un acte d’oppression qui vise à perpétuer la soumission des femmes et à détruire l'identité de la victime.

Crime passionnel et portrait du bourreau

Les « crimes passionnels » sont souvent relatés comme des histoires d’amour qui finissent mal, des « coups de folie » dus à « un excès d’amour » ou justifiés par les « tourments de la jalousie ». En outre, le meurtrier est souvent présenté comme une personne respectée, bien sous tous rapports, comme pour mieux éveiller l'empathie à son égard : « Sportif, pratiquant et employé parfait : le portrait de X ». La vie du bourreau est alors largement détaillée, à travers une série de reportages ou de récits racontant son passé, sa vie privée ou ses relations sociales.

Internet et la chasse aux clics

Sur les médias sociaux, les organismes de presse n’hésitent pas à recourir au « clickbaiting » (pièges à clics) et aux titres racoleurs sur les affaires de meurtre et de violence pour avoir plus de clics. Ainsi, il n’est pas rare de lire : « Et voilà où ça l’a menée d’avoir trop insisté »; ou encore : « Elle a eu un mot de trop, et il en est arrivé là ».

Mise en cause de la victime

Le comportement ou les vêtements de la femme sont souvent invoqués pour justifier le crime. « Elle l'a provoqué », « Elle portait peut-être une tenue trop moulante ? » ou encore « Elle avait trop bu », pour ne citer que quelques exemples.

La musique n’adoucit pas toujours les mœurs

Parce que l’air est souvent entraînant et facile à retenir, on se surprend parfois à fredonner des horreurs. Les exemples ne manquent pas :

Tube « Blurred Lines » - Robin Thicke avec T.I. et Pharrell

Les paroles évoquent une scène du point de vue d’un homme, où une femme ferait sa « timide
» en rêvant d’une scène de sexe. « Ok bon, il y était presque, il a essayé de t’apprivoiser. Mais t’es un animal chérie, c'est dans ta nature. Laisse-moi simplement te libérer. Et c’est pour ça que je vais choisir une gentille fille. Je sais que tu le veux », répètent ainsi les paroles.

« Je ne dirai rien » - Black M

À travers ce titre, le chanteur souligne que les femmes sont vénales et manipulatrices. Et si elles refusent de vous donner leur numéro, alors elles méritent forcément d’être insultées. « Hélas, la seule raison pour laquelle on t’écoute sont tes obus. Sinon t’as pas un 06 j’crois que j’ai l’coup de foudre. Eeeuh non ! Bon ok vas te faire foutre ».

« Under my Thumb » - Rolling Stones

Le titre raconte la lutte de pouvoir dans un couple. D’abord soumis, l’homme réussit ensuite à mettre sa bien-aimée sous sa coupe, alors qu’elle le dominait au début. Mick Jagger compare ici la femme à un animal de compagnie bien obéissant. « Avec moi, le changement est venu. Elle est sous ma coupe ». Bien que ce titre ait fait polémique, il a pourtant remporté un grand succès à sa sortie.

Le sexisme s’invite aussi dans les chansons populaires françaises…

Michel Sardou n’y échappe pas par exemple. Dans son remix de la chanson « Femmes des années 80 » en 2010, les femmes n’ont plus les mêmes revendications. Elles sont PDG d’entreprises, se maquillent rapidement et ne prennent plus le temps de lire un magazine. Les paroles indiquent qu’avec leurs jobs de rêve, les femmes ont remisé l’amour au placard. La chanson ajoute qu’elles s’en rendront compte trop tard quand la peur de vieillir les rattrapera « Faudrait du temps elles n’en ont pas, elles y reviendront évidemment, avec le premier cheveu blanc ».

L'extraordinaire pouvoir des mots

En sensibilisant sur ce problème de discrimination verbale, Babbel souligne la possibilité de transformer le language tout en favorisant une communication positive.

Un changement de paradigme important est intervenu : dans la société, les femmes ne sont plus des victimes, mais bien des survivantes. En effet, en qualifiant de victimes celles qui ont survécu à la violence, on les fige dans ce rôle, entraînant ainsi leur exclusion de la société. Celles qui ont réussi à surmonter toute forme de violence de genre ne sont plus des victimes, mais des survivantes, et même des gagnantes. Elles représentent à la fois le problème et constituent une partie de la solution. Donc, les mots peuvent aussi transformer le monde, ces mots qui donnent du pouvoir aux femmes, ces mots capables de promouvoir l'égalité.

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