Inclusivité, progrès, curiosité, humilité, découverte et ouverture d’esprit : voici quelques-unes des valeurs qui font la fierté de Babbel et de nos experts. Ce sont ces valeurs qui nous donnent chaque jour plus d’énergie pour vous transmettre notre passion pour les langues et les cultures, et vous permettre de devenir qui vous souhaitez devenir, sans jugement ni distinction.
Bien plus qu’une simple posture commerciale, ces valeurs sont nos piliers. Au même titre que vos passions, votre culture, votre milieu d’origine ou votre langue, votre accent est une marque de fabrique, un élément important de votre identité que rien ni personne ne doit pouvoir vous empêcher d’arborer fièrement.
Afin que cette fierté ne puisse jamais être remise en question par qui que ce soit, nous avons fait le choix dans l’article qui suit de vous parler d’un simple mot. Un mot rarement utilisé, peu connu et pourtant lourd de sens : le mot « glottophobie ».
Qu’est-ce que la glottophobie ?
Le mot glottophobie est un néologisme créé par le linguiste français Philippe Blanchet. Le terme repose sur l’association de deux racines grecques. D’une part, γλῶττα (glotta), la langue en grec ancien, que l’on retrouve aussi dans polyglotte par exemple. D’autre part, le suffixe -phobie qui vient de φόβος (phobos), la peur.
Si la structure du mot peut faire peur, c’est également le cas de la réalité qu’il définit. La glottophobie désigne une discrimination linguistique, c’est-à-dire le fait d’exclure un individu ou une population pour une appropriation de la langue qui s’éloigne des normes. Elle ne doit pas être confondue avec la notion de glossophobie, synonyme de logophobie, qui renvoie à la peur de parler en public. La glottophobie repose elle sur une idéologie du langage qui n’accepte qu’une forme correcte, considérée supérieure. Les autres façons de parler, en particulier lorsqu’elles font intervenir des accents, sont alors jugées inférieures et sont source de honte.
L’étymologie grecque du terme glottophobie peut sembler ironique puisque βάρϐαρος (barbaros), qui qualifiait les personnes qui ne parlaient pas le grec ancien, a donné le mot barbare en français. Un exemple concret de glottophobie qui montre que si le terme est récent, la discrimination qu’elle nomme n’a pas d’âge. On trouve une autre illustration dans la Bible, avec l’épisode du schibboleth, mot que seuls les Guiléadites savaient prononcer correctement. Ils soumettaient leurs ennemis à un test de prononciation. Si le son « schi » était prononcé « si », l’erreur était alors interprétée comme une preuve de leur origine étrangère et la personne était égorgée !
Discrimination par l’accent
Rien qu’en français, les accents sont nombreux. Accent du Nord, accent alsacien, accent corse, accent de Toulouse ou encore de Marseille… sans parler de l’accent belge, suisse ou québécois. Au-delà des régions, un accent peut aussi trahir l’appartenance à une communauté ou à une classe sociale, comme l’accent aristocratique ou l’accent des banlieues. Les glottophobes ont rarement conscience de la portée de leurs moqueries et remarques ironiques. Rejeter un accent, c’est rejeter une origine, sociale ou géographique. Comme toute discrimination, les conséquences peuvent être dramatiques.
Mais la glottophobie va plus loin que le seul mépris de voyelles mal prononcées, de consonnes déformées ou de hein parasites à la fin des phrases. Dire de l’allemand que c’est une langue moche, c’est aussi une forme de glottophobie. Plus que la phobie d’un accent, la glottophobie peut alors être le rejet d’une langue étrangère ou extérieure à une communauté.
La glottophobie, une discrimination universelle ?
La glottophobie ne connaît malheureusement pas de frontières. Le concept est d’origine française, mais la réalité est universelle. En Iran, le guilaki est dénigré face au persan tandis que le copte a disparu d’Égypte suite aux pressions exercées par l’arabe. Et si la situation s’est aujourd’hui améliorée, le tamoul a longtemps été réprimé au Sri Lanka pour ne valoriser que le cinghalais.
De même pour le biélorusse sous l’URSS, qui était considéré comme un dialecte du russe et non comme une langue slave à part entière. À Minsk, la reconnaissance de la langue nationale ne s’est faite que récemment. On peut également évoquer la politique glottophobe menée pendant plusieurs décennies par le Royaume-Uni via l’incitation de la pratique de l’anglais au détriment des langues celtiques en Irlande, en Écosse et au Pays de Galles. Sans parler du mépris des Français à l’époque coloniale pour la prononciation des Camerounais ou des Algériens.
Au regard de l’Histoire, on constate d’ailleurs que les guerres et autres conflits ethniques sont bien souvent propices à l’expression de la glottophobie. La haine de la culture devient la haine de la langue. En 1937, la présence de nombreux Haïtiens dans les champs de canne à sucre de République dominicaine donna lieu à un massacre ethnique souvent oublié. Les travailleurs francophones incapables de prononcer correctement le mot perejil (persil en espagnol) étaient alors démasqués et massacrés à la machette. Un Schibboleth des temps modernes qui fit plusieurs dizaines de milliers de victimes !
En Bosnie-Herzégovine, on ne dit parler bosnien que depuis la rupture avec la Serbie. En Monténégro, le monténégrin est né avec l’indépendance du pays. Dans les faits, serbe, monténégrin et bosnien sont une seule et même langue. Quant au déclin du yiddish depuis 1945, il est étroitement lié au sort réservé aux Juifs d’Europe centrale durant la Seconde Guerre mondiale. Plus récemment, en Chine, la répression des Ouïghours passe également par la répression de leur langue, apparentée au turc et à l’ouzbek et sans aucun lien avec le mandarin.
« Parlez-vous français ? »
En filigrane, la question de la glottophobie pose une question plus large : que signifient des expressions telles que « parler anglais », « parler espagnol » ou « parler français » ? Dans le cas du français, ce sont les aléas de l’Histoire qui l’ont imposée comme langue nationale de l’Hexagone. Mais il aurait pu en être autrement, tout comme le castillan est devenu « l’espagnol » au détriment du catalan. Ou le vénitien ou le napolitain devenir la langue nationale de l’Italie à la place de parler toscan.
Comme ces quelques exemples le soulignent — il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet — la glottophobie cache une domination linguistique, souvent inconsciente et discriminante. Comme toute discrimination, la glottophobie est une injustice. La dénoncer, c’est instaurer un contexte plus favorable à l’apprentissage des langues pour faire des glottophobes d’hier… les polyglottes de demain !