Si vous avez déjà voyagé en Italie ou en Argentine, ça n’a pas pu vous échapper : les habitants de ces deux pays parlent souvent avec les mains. Une habitude que le peuple argentin aurait prise entre 1857 et 1940, période pendant laquelle près de 3 millions de « Tanos » (surnom donné aux immigrants italiens de l’époque) posaient leurs valises au pays du tango et des gauchos.
La chercheuse italienne en psychologie Isabella Poggi (université Rome 3), dans son livre Le parole del corpo, a ainsi recensé près de 250 gestes utilisés à la fois par les Italiens et les Argentins. Tous ont en commun d’avoir d’exprimer très précisément certains messages : « si tu savais », « riche », « peureux », etc. Un véritable langage auxiliaire ! Mais quel est le rôle de la gestuelle dans la pratique d’une langue ? Appuyer certaines paroles ? Dire certaines choses qu’il est impossible de signifier avec des mots ? Insister sur certains détails ?
Ces trente dernières années, de plus en plus d’études se sont penchées sur la relation entre l’apprentissage du langage, les gestes et la cognition, mettant en avant une symbiose observable dès les premiers stades de l’acquisition du langage. Pourrait-on s’appuyer sur leurs conclusions pour apprendre plus facilement les langues étrangères ?
La gestuelle ne sert en effet pas seulement à aider à se faire comprendre : elle joue un rôle essentiel dans la production de notre parole. C’est l’une des raisons pour laquelle nous gesticulons lorsque nous parlons au téléphone, de même que les personnes atteintes aveugles de naissance font des gestes lorsqu’ils parlent.
Dans cet article, nous commencerons par vous parler de toutes ces études de façon synthétique, avant de vous donner quelques clés pour vous aider à apprendre une langue… grâce aux gestes !
Les gestes coverbaux
La typologie du geste la plus utilisée est celle de David McNeill (1992), professeur de linguistique et de psychologie à l’université de Chicago. Dans son livre Hand & Mind – What Gestures Reveal about Thought (1992), basé sur une décennie de recherches, il avance l’hypothèse selon laquelle les gestes ne servent pas seulement de « béquilles » à la parole : ils influenceraient profondément la formation même de la pensée.
Les quatre gestes coverbaux de McNeill
Sa typologie des quatre gestes accompagnant la parole (dits « gestes coverbaux ») est restée célèbre :
- Les gestes coverbaux « iconiques » servent à illustrer ce dont on vient de parler : on rapproche les mains ouvertes pour dire que c’est petit, on les éloigne pour dire que c’est grand.
- Les gestes coverbaux « métaphoriques » représentent des concepts. Ainsi, mimer le fait de taper sur un clavier d’ordinateur peut signifier l’action de travailler.
- Les gestes coverbaux « déictiques abstraits et concrets » servent à pointer quelque chose. Ils sont culturellement très différents : ainsi, en Occident, on n’hésitera pas à pointer quelqu’un du doigt pour le désigner. Au Japon, il faudra éviter cela à tout prix, et plutôt désigner une personne en tendant vers elle une main ouverte.
- Enfin, les « battements » rythment la parole et servent à appuyer les éléments importants, en pointant de l’index le plafond en criant « Dieu ! » par exemple.
Les quatre gestes coverbaux trouvés par les autres chercheurs
La typologie de McNeill a été enrichie depuis par les travaux d’autres chercheurs, qui ont répertorié quatre autres types de gestes coverbaux :
- Les emblèmes sont des gestes codifiés propres à une certaine culture. Tendez votre main, la paume vers le haut ; joignez le bout des cinq doigts ensemble ; agitez votre main en avant et en arrière. Bravo ! Vous parlez presque italien !
- Le butterworth est un geste de « recherche lexicale ». Lorsqu’on est Français, il s’agit du fait d’agiter les mains en faisant des moulinets lorsqu’on cherche ses mots, par exemple. Mais un Chinois ou un Japonais fera un geste tout à fait différent !
- Le geste coverbal interactif est un geste qu’on adresse à son interlocuteur pour gérer l’interaction : ouvrir la bouche en disant « ouvre la bouche ! » à son enfant, par exemple.
- Enfin, le geste coverbal avorté est, comme son nom l’indique, un geste esquissé, mais arrêté en cours de route.
Les gestes coverbaux aident à organiser mentalement une information afin de mettre des mots sur notre pensée. C’est eux qu’on utilise pour apprendre une langue grâce aux gestes. Ils servent également à trouver ou retrouver du lexique, ainsi qu’à faciliter la compréhension, par notre interlocuteur, de certaines informations.
Apprendre facilement une langue étrangère en s’aidant des gestes
S’il est naturel de faire des gestes pour essayer de mieux se faire comprendre, les sciences de la pédagogie ont également étudié leur impact sur la mémorisation. C’est particulièrement utile quand on apprend une langue, et vous allez comprendre pourquoi !
Apprendre du vocabulaire plus facilement en utilisant des gestes
Dans le parcours d’apprentissage d’une langue étrangère à des enfants, les enseignants utilisent souvent (et plus spontanément qu’avec des adultes) leur corps pour illustrer des mots de vocabulaire. Or, répéter ce même geste en face d’un enfant lui permet souvent de se rappeler plus facilement du mot recherché.
Une chercheuse de l’Université de Provence-Aix-Marseille a mené une étude sur l’effet des gestes sur la mémorisation à long terme (sur cinq semaines). Deux groupes de dix enfants devaient apprendre huit mots d’anglais pendant quatre semaines. Un groupe apprenait les mots en regardant des images illustratives, tandis que le second groupe apprenait les mêmes mots en regardant l’enseignant faire des gestes illustratifs. Et vous l’aurez deviné : le second groupe a mémorisé un nombre « significativement » supérieur de mots.
Apprendre une langue en associant des gestes aux mots
Pour l’instant, toutes ces recherches en sont encore à leurs prémisses, et ces pistes attendent d’être confirmées à plus grande échelle. Néanmoins, rien ne vous empêche d’utiliser dès à présent les premières conclusions et utiliser les gestes que vous faites déjà inconsciemment pour vous faciliter l’apprentissage de votre nouvelle langue.
Quels sont les gestes à effectuer ? Pour quels mots de vocabulaire ? Comment faire ? Voici quelques pistes :
- « Faire un geste » n’implique pas seulement les mains. Vos pieds, vos jambes, vos bras, votre torse ou votre cou peuvent être mis à contribution.
- Un même geste peut servir à apprendre plusieurs mots de vocabulaire, à condition que ces mots aient des sens très différents : jour, huit, café, livre, plante, associés à un poing fermé, par exemple.
- Vous ne savez pas quel geste utiliser ou inventer. Inspirez-vous de ceux qu’utilise la langue des signes ! Le « Gestuno », qui est l’équivalent de l’esperanto pour la langue des signes, comprend 1500 gestes.
- Appropriez-vous la typologie des huit gestes coverbaux. En la comprenant, vous serez en mesure de « classer » les différents gestes que vous utilisez, ce qui pourrait vous permettre d’associer plus aisément certains gestes à certains mots. En utilisant des gestes « iconiques » uniquement pour les mots servant à décrire quelque chose (grand, petit, gros, mince,…), ou les gestes « métaphoriques » pour le vocabulaire de la vie quotidienne (travail, maison, etc.).
- Vous pouvez également associer des phrases entières à certains gestes, notamment en utilisant deux parties symétriques de votre corps. Cette technique marche merveilleusement bien avec des citations ! Exemple : toucher votre oreille gauche pour retenir « Qui prend son temps n’en manque jamais » et votre oreille droite pour retenir cette citation de Boulgakov dans sa version originale.
- Pensez à utiliser des gestes que vous faites naturellement souvent, et réutilisez-les aussi souvent que possible. Chaque être humain possède une façon différente de mémoriser les choses : peut-être serez-vous capables d’associer vingt mots différents à un seul et même geste, lorsque d’autres personnes devront se contenter d’un seul mot par geste.
En définitive, utiliser les gestes pour mieux apprendre une langue est une technique certes originale, et pourtant déjà largement utilisée par les professeurs du monde entier — plus ou moins consciemment. Une aubaine pour celles et ceux qui apprennent une langue en autodidacte, avec Babbel par exemple !