Illustration par Sveta Sobolev
Faut-il apprendre une seconde langue à un enfant dès son plus jeune âge ? L’usage et apprentissage d’une langue étrangère à un enfant font partie de ces sujets sur lesquels les avis divergent. Pour certains, le multilinguisme est une chance et le cerveau infantile est parfaitement apte à le digérer. D’autres préconisent au contraire de se concentrer sur l’apprentissage d’une langue unique, pour éviter à l’enfant toute confusion.
Pour savoir si votre enfant est vraiment capable d’apprendre l’anglais, l’espagnol ou toute autre langue étrangère, nous avons voulu faire le point sur ces questions : Les enfants ont-ils réellement plus de facilité à apprendre les langues ? À quel âge peut-on commencer à apprendre une langue à un enfant ?
Apprendre une langue à un enfant : mythes et réalités
✅ Vrai : le cerveau d’un enfant est plus apte à apprendre des langues
Commençons par une bonne nouvelle : parler plusieurs langues à un enfant n’est absolument pas néfaste à son développement. Au contraire, de nombreux spécialistes affirment qu’il est tout à fait possible d’apprendre une langue à un enfant, car son cerveau est encore en construction. C’est ce qu’on appelle la « plasticité cérébrale », étroitement liée à la théorie des cinq âges du cerveau.
Selon cette théorie, le deuxième âge de notre cerveau correspond à la période allant de la naissance jusqu’à l’âge de 12 ans. C’est le moment où le cerveau est le plus malléable, durant lequel un nombre extraordinaire de connexions s’établissent. L’apprentissage et l’environnement dans lequel l’enfant grandit influencent énormément son développement. Le cerveau infantile serait ainsi capable d’enregistrer et de reproduire bien plus de sons – et par conséquent les sonorités des langues – que celui de l’adulte. En grandissant, l’être humain s’habitue aux sonorités d’une langue spécifique, « imprimées » dans son cerveau, et perd de fait sa capacité à capter les subtilités des sonorités étrangères. Ce n’est pas le cas de l’enfant – qui a donc beaucoup plus de chances de devenir bilingue entre 0 et 12 ans qu’à tout autre moment de sa vie.
« Grandir c’est se spécialiser », note d’ailleurs la linguiste et éducatrice Céline Alvarez sur son site. « L’adulte n’est pas moins intelligent, il est spécialisé : spécialisé dans sa langue, dans sa culture, dans sa pensée, dans ses comportements sociaux, etc. Et vivre avec l’enfant, c’est participer à sa spécialisation. Nos façons de parler, de réagir, ce que nous faisons avec lui ou devant lui, va littéralement participent au câblage de son cerveau. » Et ce « câblage » n’est pas affecté par le nombre de langues parlées.
✅ Vrai : pour un enfant, apprendre une ou deux langues ne fait aucune différence
Les étapes à suivre pour apprendre une langue à un enfant sont-elles différentes selon qu’il est confronté à une ou plusieurs langues ? Pour Barbara Abdelilah-Bauer, auteur de Le défi des enfants bilingues, les stades de l’apprentissage du langage dans la toute petite enfance sont les mêmes avec une ou deux langues :
1) Vocalises
2) Babillages
3) Premiers mots
4) Acquisition progressive de vocabulaire
Ainsi, un enfant dont le père est francophone et la mère germanophone ne mettra pas plus de temps à acquérir du vocabulaire que celui dont les deux parents parlent la même langue. Son vocabulaire sera simplement partagé entre ces deux langues. Et grandissant, il distinguera progressivement ces deux langages, puis les séparera.
De fait, apprendre une langue à un enfant serait tout à fait instinctif. Autrement dit, un enfant aura beaucoup moins de difficulté à assimiler les mots qu’un adulte. Il n’hésitera par exemple pas entre dire « je veux » ou « je voudrais ». Il répétera, imitera, s’appropriera la langue avec une confiance que l’adulte, sans cesse en train de s’interroger, aura plus de difficulté à retrouver.
✅ Vrai : on peut apprendre une langue à n’importe quel âge
Comme nous venons de le voir, un enfant est un être qui se construit et donc s’adapte en permanence à son environnement – que celui-ci soit constitué d’une ou plusieurs langues. C’est avant tout une question de nécessité. Un enfant tout juste arrivé en France peut ainsi s’approprier très vite le français à l’école, tout simplement parce qu’il en a besoin au quotidien. Mais cet apprentissage « naturel » étant fondé sur la nécessité de communiquer, un enfant oubliera une langue aussi vite qu’il l’a apprise s’il n’est pas en contact régulier avec elle, voire en « immersion ».
« Plus l’enfant est jeune, plus vite il va apprendre une deuxième langue… et plus vite il peut l’oublier s’il n’a plus de contact avec elle », prévient ainsi Barbara Abdelilah-Bauer. Un an au contact d’un·e baby-sitter originaire d’Istanbul ne fera donc pas de votre enfant un turcophone. En revanche, les sons qu’il aura entendus pourraient rester ancrés dans son cerveau – lui permettant à l’âge adulte d’apprendre le turc bien plus rapidement qu’une personne qui n’aurait eu aucun contact avec la langue turque durant son enfance. Une étude canadienne publiée en 2014 notait ainsi que le cerveau continue de réagir aux sonorités d’une langue étrangère entendue et pratiquée dans l’enfance, même oubliée.
Cependant, il faut relativiser cette facilité à apprendre une langue à l’âge adulte. Énormément d’autres facteurs jouent dans l’apprentissage d’une langue : degré d’immersion dans la langue pendant l’enfance, motivation de l’adulte à l’apprendre, contexte professionnel, moyens déployés, nécessité, etc.
En définitive, la plupart des spécialistes s’accordent à dire qu’un enfant possède un cerveau capable d’apprendre une langue beaucoup plus facilement que celui d’un adulte. Cependant, un adulte rationalisera son apprentissage, dont il sait quel est le but. Il apprendra de façon moins instinctive, mais compensera par sa motivation, par sa curiosité, par son organisation, ou par le déploiement de mille et une techniques d’apprentissage d’une langue vivante. D’autant que le troisième âge du cerveau s’étend jusqu’à 65 ans en moyenne ! Ce n’est donc pas parce qu’on a plus de 40 ans qu’on ne peut plus devenir bilingue et polyglotte.