Le créole réunionnais, une langue minoritaire ? Pensez donc : on dénombre plus de cent langues créoles différentes dans le monde !
Contrairement à une idée finalement encore largement répandue, il n’existe pas une mais des langues créoles. Si les créoles anglophones restent majoritaires (une langue créole sur trois est basée sur l’anglais), les langues créoles « francophones » arrivent en deuxième position. Elles seraient ainsi parlées par plus de 10 millions de locuteurs – autant que le suédois, c’est dire !
Véritable réalité linguistique, l’usage quotidien des langues créoles se concentre majoritairement dans les Antilles, notamment sur l’île d’Haïti où le créole local est parlé et compris par 7 millions de locuteurs. Mais quelle est la langue créole la plus parlée en France ? Le créole antillais, popularisé musicalement dans les années 90 ? Faux : la langue créole la plus parlée en France est le créole réunionnais ! Riche d’influences, le créole réunionnais est en effet parlé par plus 600 000 locuteurs, soit la langue régionale la plus utilisée dans les départements d’outre-mer. Et c’est lui que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui !
Où parle-t-on créole dans le monde ?
En regroupant les départements d’outre-mer des Antilles et de l’océan Indien, on compte une petite dizaine de créoles pour plusieurs millions de locuteurs. Mais des territoires autonomes sont également créolophones. C’est le cas d’Haïti, dont la langue créole est la plus parlée au monde. Avec environ 7 millions de locuteurs, il a le même poids démographique que le bulgare !
Parmi les autres langues créoles les plus répandues, on trouve donc celui de la Réunion, la Guadeloupe ou encore la Martinique avec quelques centaines de milliers de locuteurs chacun. Chacune de ces îles dispose en fait d’une langue créole distincte. Si les créoles martiniquais et guadeloupéens comptent de nombreuses ressemblances, le créole réunionnais est très différent. Influencé par des idiomes aussi variés que le malgache, le portugais, le tamoul, le normand et bien sûr le français, le créole réunionnais est un véritable témoin de la diversité de son territoire.
Bienvenue à la Réunion ! Koman i lé ?
À 10 000 kilomètres de Paris, il existe une île où les mots « grisaille » et « stress » n’évoquent rien à personne, et où « métro, boulot, dodo » est invariablement remplacé par soleil i pouak è dodo (« cagnard et bière ») ! Bienvenue sur l’île de la Réunion, véritable paradis sur Terre pour les adeptes de nature grandiose, les amateurs de plats épicés… et les fondus de linguistique. Car la Réunion est une terre de métissage et de mixité – une terre de réunion, tout simplement !
Cette mixité, on la retrouve évidemment dans l’usage du créole réunionnais : deuxième richesse de l’île, le créole réunionnais jouit d’un statut protégé. Langue régionale depuis 2014, le créole réunionnais est désormais enseigné à l’école au même titre que le français, la langue officielle.
Sa diversité démographique, la Réunion la doit à ses très nombreuses racines : des kaf et kafrines venus d’Afrique aux malbars venus d’Inde et dont les temples hindouistes côtoient les mosquées des zarabs… Sans oublier les zoreils, ces métropolitains qui se sont laissés tenter par la douceur de vivre de l’île de Bourbon. Zoreil, je l’ai moi-même été pendant quelques années de mon enfance. En quittant mon Nord natal, j’ai débarqué sur une île certes moins peuplée que Lille, mais incroyablement fascinante. En refouillant dans les souvenirs de mon passé, j’ai pu reconstruire ce petit lexique du créole réunionnais :
– Oté !
C’est LE mot à connaître en créole réunionnais. Trois petites lettres infiniment expressives, qui peuvent servir à saluer quelqu’un (on dit aussi bonzour) ou à exprimer son étonnement. Par exemple Oté ! Volcan la pété !, ce qui signifie « Ça alors ! Le Piton de la Fournaise est entré en éruption ! »
– Zoizo, zéf, zarab et autres zoreils
Le créole réunionnais est une langue particulièrement intuitive ; il est donc très facile d’y prendre goût. Il s’apprend très naturellement, surtout quand on est enfant. Ainsi, tous les mots qui commencent par une voyelle et qui donnent lieu à une liaison au pluriel ont tendance à commencer par un z. C’est le cas de zoizo (oiseau), zéf (œuf) ou encore zarab et zoreil, évoqués plus haut.
D’où vient ce terme de zoreil ? Je n’ai personnellement jamais eu d’explication formelle. Plusieurs théories existent néanmoins… mais aucune n’est vérifiée. Le sobriquet zoreil pourrait évoquer le réflexe des métropolitains d’avancer l’oreille avec la main lorsqu’ils ne comprennent pas leurs interlocuteurs créoles. À moins que ce ne soit une référence à la peau plus claire des zoreils, et leur fâcheuse tendance à attraper des coups de soleil sur cette partie du corps lorsque soleil i pouak ?
– Caf, boug et autres « -re »
La disparition des terminaisons en « -re » est une autre construction lexicale que l’on retrouve fréquemment dans le créole réunionnais. Kaf vient ainsi du mot français « cafre », la Cafrerie désignant une région colonisée d’Afrique. De la même façon,un boug désignera une personne lambda (on retrouve la structure du mot « bougre »).
– Réunion et élision
Autre caractéristique fréquente du créole réunionnais : la fusion plutôt que l’élision ! Comme pour les liaisons citées plus haut (zoizo, zoreils, etc), l’élision est systématiquement supprimée, au bénéfice d’un seul et unique mot. Par exemple, « l’école » s’écrira lékol ; et pour « sac d’école », on dira plutôt sak lékol. Mais le mot le plus connu dans cette catégorie est le fameux ladilafé. Favori des commérages, le mot est simplement construit sur la structure « il a dit ça, il a fait ça », c’est-à-dire « il l’a dit, il l’a fait ». Donc ladilafé, logique !
– Des questions ?
Pour poser une question en créole réunionnais, il convient très souvent d’ajouter sa (« ça ») au mot interrogatif. Kansa ? (« quand ça ? »), ousa ? (« où ça ? »), kisa ? (« qui ça ? »), etc. Ousanousava (« où ça nous s’en va ? », autrement dit « où allons-nous ? ») est d’ailleurs le nom d’un groupe de musique réunionnais.
Poursuivons avec quelques autres expressions utiles. Bébét bondié désigne une coccinelle, ce que l’on comprend facilement lorsqu’on connaît déjà le terme français « bête à bon Dieu ». Moins prévisible et plus surprenant, bonbon lafess veut dire suppositoire. Et avant de nous dire au revoir (n’artrouv), finissons avec l’une des expressions les plus importantes lorsqu’on apprend une langue : savoir dire je t’aime. Mi aim a ou !
Illustrations de Louise Plantin
Au fait, qu’est-ce qu’une langue créole ?
Les langues créoles sont nées pour la plupart entre le XVIe et le XVIIIe siècle ; leur existence est indissociable de l’histoire de l’esclavage en Occident. À l’origine, elle permettait la communication entre les esclaves – le mot « créole » viendrait d’ailleurs du portugais crioulo, terme utilisé pour désigner les esclaves au Brésil.
Symbole de métissage culturel, un créole est une langue hybride qui dérive de l’exposition à plusieurs langues. Reconnues tardivement pour leurs spécificités linguistiques à part entière, les langues créoles restent pour la plupart des langues parlées plutôt qu’écrites. D’autant que ce phénomène linguistique est loin de ne concerner que le français. Partout où les puissances colonialistes ont tenté d’imposer leur culture, le créole a pris la forme d’une résistance linguistique : créole anglais au Belize, créole portugais au Cap-Vert, créole allemand en Namibie, créole espagnol aux Philippines, créole arabe au Kenya et même créole malais au Sri Lanka !