Il n’y a pas UN accent québécois mais bien plusieurs. Apprenez les secrets de leurs origines et leur prononciation avec Babbel !
Accent québécois : le français dans la Belle Province
Commençons par une anecdote amusante : lorsque je me suis installée dans la ville de Québec pour mes études universitaires, je disais souvent que je venais de la région de Thetford Mines. Sauf que ma manière de prononcer « Thetford » (« TeTfeurDE ») faisait rigoler une de mes camarades de classe. Mais je n’y pouvais rien : c’est comme ça que les Thetfordois prononcent le nom de leur ville !
C’est de cette façon que j’ai réalisé pour la première fois que j’avais un accent… même si je n’étais pas capable d’expliquer en quoi il se distinguait des autres accents québécois. Hé oui ! Tout comme les différents accents français (parisien, ch’ti, provençal, etc.), il n’y a pas un accent québécois mais bien plusieurs selon les régions. Mais quelles sont leurs caractéristiques ? Comment les distinguer ? C’est ce que je vous propose de découvrir.
D’où vient l’accent québécois ?
Pour mieux comprendre la diversité de l’accent québécois, il faut remonter aux origines. Dans mon article sur les bons conseils à suivre lors d’un voyage au Québec, j’avais souligné l’importance de ne pas imiter l’accent québécois. Pourquoi? Parce que le français québécois « comprend davantage de sonorités que le français de France. » Prenons en exemple la façon dont les Québécois prononcent les voyelles nasales /UN/ et /IN/ :
« Le [ẽ] de brin se prononce en étirant les lèvres sur les côtés en sourire […] tout en faisant résonner le son dans le nez, tandis que le [D] de brun se prononce comme le son de “seul” ou “beurre” en faisant résonner le son dans le nez (genre essayez de faire sortir le son de votre nez). Lionel Meney vous expliquerait tout simplement que /AN/ s’articule plus en avant dans la bouche en québécois, /IN/ la bouche plus fermée et /UN/ la bouche plus ouverte en québécois qu’en français. »
Pourquoi l’accent québécois est-il différent de l’accent français ? Le linguiste Jean-Denis Gendron explique l’évolution de ces accents dans son ouvrage D’où vient l’accent des Québécois ? Et celui des Parisiens ? En effet, alors que ces accents se ressemblaient à l’époque de la Nouvelle-France, la Révolution de 1789 va cependant marquer la « révolution phonétique » du français parisien :
« Le “bel usage”, celui de la cour et des salons, mais aussi le plus répandu, bien qu’avec des variantes, dans la population, est discrédité au profit du “grand usage”, celui de l’élite bourgeoise. Avant, l’élite disait “sus la table”, “note maison”, “sarge” et “fret”. Après, elle dit “sur la table”, “notre maison”, “serge” et “froid”. Ce qui était considéré comme chic est désormais vu comme plouc. »
Comme l’explique M. Gendron dans l’entrevue ci-dessous, les Parisiens ont alors privilégié une prononciation plus articulée des mots.
Quant au Québec, coupé de la France depuis la Conquête de 1759-1760, il conservera l’ancien accent français. Et ses régions géographiques plus éloignées ont, de leur côté, développé des sous-accents. Mais quelles sont les différences entre ces sous-accents ? Plusieurs experts ont étudié la question de la diversité de l’accent québécois.
Accent québécois : cartographier les prononciations
André Thibault, professeur à la Sorbonne et expert « des variations des accents dans la francophonie mondiale », a pris part aux enquêtes menées par le site web Français de nos régions, lancé par son collègue Mathieu Avanzi. Grâce à ces enquêtes, il a déterminé la manière dont les francophones prononcent certains mots. Par exemple, les gens de la ville de Québec et ceux de Montréal ont chacun une façon différente de prononcer le mot « arrête » :
« La plupart des Québécois savent que les habitants de la ville de Québec prononcent ce mot avec une voyelle brève (celle, par exemple, du mot dette) alors que les Montréalais réalisent dans ce mot une voyelle longue (celle que les Canadiens francophones articulent dans le mot fête). »
Le mot « baleine » peut également déterminer la région du locuteur :
« Au Québec, deux prononciations sont connues : celle de la grande région de Montréal, mais également de tout l’ouest du Québec : (ba-lin-ne), où le son “in” est bien marqué comme dans le mot “reine”, et celle de l’est du Québec (ba-lène), où le son “è” est plus marqué, comme dans le mot “peine”. Des études en linguistiques démontrent que le changement de prononciation se fait autour de la région de Trois-Rivières […]. »
Combien existe-t-il d’accents québécois, au juste ?
À première écoute, on pourrait croire qu’il existe seulement deux sous-accents québécois. La réponse est pourtant beaucoup plus complexe ! L’auteur du Québec Culture Blog a ainsi répertorié plus de trente accents canadiens-français différents. Au Québec, on dénombre une quinzaine d’accents, dont ceux des îles de la Madeleine, du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Beauce.
Les accents des îles de la Madeleine
Situé en plein cœur du golfe du Saint-Laurent, l’archipel des îles de la Madeleine revendique de fortes racines acadiennes. En effet, lors de la déportation des Acadiens de 1755, plusieurs d’entre eux ont trouvé refuge sur ces îles. Mais les Acadiens ne sont pas les seuls à avoir influencé l’accent madelinot. L’auteur de Québec Culture Blog décrit cet accent comme un mélange d’anciens mots québécois, de sons basques, d’accents acadiens et d’influences anglo-celtes. Et chaque village a son propre accent québécois !
Dans le reportage présenté ci-dessous, l’animateur de radio Pierre Aucoin explique les différentes façons de prononcer le mot « camion » :
« à Grande Entrée, on dit un treuck. C’est grasseyer de la gorge. À Pointe-Aux-Loups, ça devient un truc. À Fatima, Étang Du Nord, Cap-Aux-Meules même (l’île centrale), c’est un camiard, t’sais, on est un peu plus juste. À Havre-Aubert, c’est un truck. Et à Bassin, c’est un trruck. Et à Havre-Aux-Maisons, c’est un si’ou. »
L’accent du Saguenay–Lac-Saint-Jean
La région du Saguenay–Lac-Saint-Jean est d’abord connue pour ses baleines, qu’on peut observer à Tadoussac. Mais ce qui distingue les Saguenéens et les Jeannois sont leurs expressions, qui diffèrent des autres formes de québécois.
Parmi les exemples les plus frappants, l’expression « faire simple » fait référence à une personne « qui fait des pitreries pour faire rire ou déranger ». Et on ne peut passer à côté de « là là », une interjection « typique de la région utilisée en fin de phrase qui accentue l’expression de la phrase. » Les publicités présentées ci-dessous, diffusées en 1993, utilisaient ces deux expressions. Prêtez bien l’oreille!
L’accent de la Beauce
Au sud du fleuve Saint-Laurent, « à 30 minutes des ponts de Québec », nous retrouvons la Beauce, une région longeant la rivière Chaudière. Aux débuts de la colonisation, les Beaucerons devaient se rendre aux marchés de la ville de Québec en traversant des terrains marécageux. Leurs jambes, couvertes de boue, leur ont valu le surnom de « jarrets noirs ».
Mais les Beaucerons sont aussi très reconnaissables de par leur accent québécois spécifique, notamment marqué par la façon d’utiliser le son « dj ». Par exemple, au lieu de dire « hibou », le beauceron dira « djiboux ». On remarquera aussi une tendance à aspirer les « h », parfois si fort qu’on peut penser que la personne manque tout à coup de souffle. Ainsi, « Ginette » se susurre Hinette, « Saint-Georges », se dit Saint-Horges et « Angélique » devient Anhélique. »
Nous l’avons vu – ou plutôt entendu – l’accent québécois peut se prononcer de multiples manières, et il aurait été difficile de toutes les lister dans un seul article. Qui sait quel accent québécois vous rencontrerez lorsque vous visiterez ces belles régions !
Illustrations de Marine Ropton