Le 23 juin 1959 s’éteignait Boris Vian, alors âgé de 39 ans. Celui qui fut tour à tour écrivain, chanteur, poète, journaliste, parolier, peintre, traducteur, ingénieur, dramaturge, auteur-compositeur-interprète, ainsi que critique littéraire et musical a beau être assez peu connu hors de l’Hexagone, il occupe pourtant une place particulière dans l’histoire intellectuelle française. Le fait que son œuvre littéraire n’ait pas rencontré un grand succès de son vivant n’y change rien.
C’est avec la réédition de L’écume des jours en 1964 que Boris Vian devient un mythe pour une partie de la jeunesse française. Échec critique et commercial lors de sa parution, L’écume des jours remporte un franc succès auprès de la jeunesse de mai 1968. Régulièrement étudié au collège et au lycée, le livre a été cité comme faisant partie des cent meilleurs livres du XXe siècle dans le cadre d’une enquête menée par le journal Le Monde et la Fnac, en 1999.
À l’occasion du soixantième anniversaire de la disparition de Boris Vian, fêté en juin dernier, nous avons voulu revenir sur l’œuvre littéraire de ce polymathe* de génie et nous interroger sur une question : les difficultés de traduction ne seraient-elles pas à l’origine du manque de notoriété de Boris Vian hors des frontières de l’Hexagone ? Est-on obligé d’apprendre le français pour avoir la chance de savourer le génie de Boris Vian ? Comment traduire Boris Vian ?
*La polymathie désigne l’érudition approfondie d’une grande quantité de sujets différents, notamment liés aux arts et aux sciences.
En anglais, L’écume des jours est d’humeur indigo
En 1969, une jeune étudiante à Harvard, Nina Bernstein (qui deviendra par la suite l’une des plus grandes journalistes du New York Times) écrivait, dans le journal de l’université The Harvard Crimson, une critique de L’écume des jours :
« Il est peu probable que les romans de Boris Vian deviennent particulièrement populaires [aux États-Unis] : ils sont très français, et ils pâtissent de la traduction. »
Elle avait raison : les livres de Boris Vian ne se sont jamais particulièrement bien vendus outre-Atlantique et ce, malgré plusieurs éditions, traductions, nouvelles traductions, nouvelles opérations de promotions après l’adaptation cinématographique de L’écume des jours par Michel Gondry en 2013.
Le titre, d’abord, pose problème : faut-il littéralement traduire « L’écume des jours » par The Froth of Days comme cela a d’abord été le cas ? Faut-il plutôt parler de Froth on the Daydream pour mieux restituer le propos du livre, au risque de gâcher la poésie et la beauté du titre d’origine ? L’intituler plutôt Foam of the Daze — « mousse de la stupéfaction » en français — ou opter pour un tout autre titre ? C’est la solution choisie par les derniers traducteurs de l’œuvre de Boris Vian et les distributeurs du film de Michel Gondry aux États-Unis, qui ont ainsi choisi de le nommer… Mood Indigo (« Humeur Indigo » en français), en référence à la chanson de Duke Ellington.
En Allemagne aussi, le débat s’instaura entre traducteurs, ces derniers hésitants entre Der Schaum der Tage (« la mousse des jours »), plus compréhensible du public allemand, ou Die Gischt der Tage (pour « l’écume des jours »), traduction littérale, mais plus obscure pour la psyché allemande.
De la difficulté à traduire les jeux de mots de Boris Vian d’une langue à l’autre
Les jeux de mots sont une composante essentielle de l’œuvre littéraire de Boris Vian. Or, traduire un jeu de mots est probablement ce qu’il y a de plus difficile en traduction : comment restituer à la fois l’esprit, l’humour et la composante sonore d’un jeu de mots ? Dans L’écume des jours, le philosophe Jean-Sol Patre devient Jean-Pulse Heartre en anglais – prononciation phonétique de « Jean-Paul Sartre » qui délaisse complètement le calembour d’origine.
L’univers « vianesque » est pourtant construit sur ces mots qu’il invente, qu’il transforme, qu’il contracte ou qu’il étire, puisant son inspiration dans l’argot, le vieux français, ou encore le jargon administratif ou technique. Qu’il s’agisse de « l’essence d’orchidée bidistillée », des « antiquitaires », des « pompeurs » ou des « sarcastifleurs », ces inventions littéraires donnent un aspect poétique, quasi magique, à ce qu’il décrit.
Discuter de Boris Vian avec un partenaire linguistique
Mais alors, comment restituer ces inventions littéraires dans une langue étrangère ? Lorsqu’on apprend une langue, on se focalise avant tout sur la langue parlée : celle qui permet de communiquer avec d’autres êtres humains. C’est d’ailleurs pour cette raison que la méthode Babbel offre une approche intuitive, orientée vers une efficacité maximale pour permettre à l’apprenant d’être autonome le plus rapidement possible.
Or, aucune méthode d’apprentissage des langues ne vous permettra de rentrer complètement dans l’univers de Boris Vian. C’est précisément la raison pour laquelle Boris Vian est aussi formidable pour apprendre le français ou une langue étrangère : si vous arrivez à trouver un partenaire avec qui apprendre ou pratiquer une langue vivante, proposez d’étudier Boris Vian pour l’aider à améliorer son français. Vous verrez que vous pourrez passer des heures à essayer de comprendre un jeu de mots, un trait d’humour, ou débattre d’un choix de traduction en comparant une édition française et une édition en langue anglaise, par exemple.
Le titre anglais choisi pour traduire L’arrache-cœur (Heartsnatcher) permet-il de saisir la référence à l’œuvre de Salinger, The Catcher in the Rye, traduit en français sous le titre de… L’Attrape-cœurs ? Pourquoi avoir utilisé le terme « shall » plutôt que « will » pour traduire J’irai cracher sur vos tombes (I Shall Spit on Your Graves) ?
Le Pianocktail et autres inventions
Parmi toutes les inventions littéraires de Boris Vian, certaines sont limpides… lorsqu’on les transpose du français à l’anglais. Prenons l’exemple du pianocktail, l’invention la plus célèbre de Boris Vian. Le pianocktail est ce piano imaginaire qui permet de produire un cocktail lorsqu’on joue une mélodie. Le cocktail offrant un mélange de saveurs rappelant les sensations éprouvées à l’écoute de la musique jouée sur le piano.
Comment bien traduire cette invention ? En allemand, on utiliserait volontiers le mot Klavier tandis qu’on parle en italien de Pianoforte pour parler du piano. « Klaviertail » ou « pianofortail » ne semblant pas être des mariages très heureux, la traduction italienne a ainsi choisi de traduire cette invention en… pianococktail. À quel point l’absence de contraction entre les mots « piano » et « cocktail » enlève-t-elle de la poésie au néologisme d’origine ? Pourquoi Boris Vian, lui-même, a-t-il choisi de parler de pianocktail plutôt que de « pianococktail » ? Pourquoi ne pas avoir respecté cette élision ? Si vous êtes en train d’apprendre l’italien avec Babbel, vous avez peut-être la réponse.
Un tube plutôt qu’un saucisson
Concluons enfin avec un apport méconnu de Boris Vian à la langue française : l’utilisation du mot « tube » pour désigner un succès musical. En effet, la plupart des langues utilisent le mot Hit (ou Хит — prononcé « Khit » — en russe). Malgré l’expression anglophone « Hit song », la langue française est la seule langue à parler de « tube » – et c’est à Boris Vian qu’elle le doit !
Jusque dans les années 1950, l’industrie musicale française utilisait alors volontiers le mot… « saucisson » pour parler des succès de variétés. Alors directeur artistique chez Philips, Boris Vian était scandalisé de l’utilisation de ce mot. C’est en référence au format cylindrique utilisé à l’époque pour enregistrer et diffuser de la musique que Boris Vian aurait commencé à substituer le mot « tube » au mot « saucisson », avant d’intégrer le mot dans son livre En avant la zizique.
Peut-être ne s’agit-il que d’une légende urbaine ; mais l’histoire vaut son pesant vianesque !