Affirmer que les langues sont bénéfiques à la carrière semble relever du bon sens, et c’est d’ailleurs ce que pense 57% de la population active française1. Toutes les entreprises, privées ou publiques, nationales ou multinationales, sont confrontées à des degrés divers à la question du multilinguisme. Qu’il s’agisse d’une épicerie faisant venir ses produits de Turquie, d’une entreprise de construction cherchant à s’implanter en Argentine, d’une radio envoyant des reporters au Moyen-Orient, une entreprise doit obligatoirement intégrer la diversité des langues et des cultures comme un facteur essentiel dans le déploiement de son activité.
L’anglais au travail : quelques chiffres
Selon une étude menée par l’Ined2, sur 8900 chercheurs interrogés, 1/3 d’entre eux éprouve des difficultés à s’exprimer en anglais, alors que 9 sur 10 reconnaissent l’emprise de cette langue sur leur discipline et que 2/3 en font un usage quotidien. Si ces chiffres portent spécifiquement sur le domaine de la recherche, la constatation peut s’étendre à l’ensemble du monde du travail. L’Insee estimait en 2006 qu’environ 25% des salariés étaient amenés à employer des langues étrangères au travail, l’anglais dans 89% des cas3. C’est d’ailleurs en écho à ce phénomène qu’a été promulguée la loi Toubon en 1994, destinée à protéger la langue française face aux risques liés à un emploi abusif de l’anglais au travail.
Langues et carrière
Pourtant, le contexte actuel change forcément la donne. D’une part, la numérisation des échanges et l’avènement d’Internet – qui joue un rôle toujours croissant dans le développement économique mondial – et d’autre part, la fondation et l’élargissement de l’Union européenne – qui facilite la mobilité professionnelle, puisque tous les citoyens européens peuvent désormais travailler dans n’importe quel pays de la communauté sans visa de travail – ont banalisé le phénomène d’expatriation. Si les Français restent encore timides en la matière comparé à d’autres pays, le ministère des affaires étrangères estimait tout de même à 1,68 million le nombre d’expatriés en 2014, en Europe ou ailleurs dans le monde. Or, maîtriser, en plus de sa langue maternelle, au moins les bases de la langue locale, est presque une nécessité afin de s’intégrer au marché du travail sur place. Dans certains cas, on peut même considérer que connaître plusieurs langues est un élément encore plus décisif, dans un parcours professionnel, que les études elles-mêmes. Prenons l’exemple d’une entreprise comme ARTE qui s’est d’abord construite sur son identité bilingue et qui a employé dès le départ, et encore aujourd’hui, les profils les plus divers, mais partageant généralement cette caractéristique de parler couramment français et allemand.
Les langues étrangères, une chance à saisir
La connaissance de plusieurs langues étrangères est un atout décisif. Elle témoigne d’une ouverture d’esprit, d’une familiarité avec des cultures différentes, qualités intuitivement perçues comme la garantie d’une bonne intégration au sein d’une équipe. Sans oublier que bien souvent, la maîtrise et l’usage de plusieurs langues au travail sont logiquement liés à un salaire plus élevé à poste égal.
Par ailleurs, les langues étrangères ont indéniablement un avantage pratique puisqu’elles donnent accès à des postes à responsabilité, incluant notamment le rôle décisif d’intermédiaire entre plusieurs parties. En 2003, alors que la France était encore le premier partenaire commercial de l’Allemagne, on évaluait à 40 000 le nombre de postes de cadres parlant allemand non pourvus4. Autrement dit, la concurrence est relativement faible et il est aisé, quand on s’emploie à acquérir la maîtrise d’une ou plusieurs langues étrangères, de faire la différence avec ses concurrents.
Globish ou multilinguisme ?
À l’ère de la mondialisation, la facilitation des échanges internationaux multiplie les débouchés au niveau individuel mais aussi au niveau de l’entreprise. En 2016 par exemple, 16% des exportations totales françaises se faisaient en Allemagne. L’Italie représente également un marché important, et était classée deuxième partenaire commercial de la France en 2014 par le ministère des affaires étrangères. Dans ce contexte, l’anglais fait souvent figure de langue universelle, un rôle qui lui vaut le surnom de « globish ». Pourtant il ne peut se suffire à lui-même. Si l’anglais ouvre assurément l’accès à des marchés étrangers, le monde commercial lui-même n’est pas au-dessus des cultures et traditions, et il est ainsi essentiel de s’adapter à celles-ci si l’on veut s’implanter à l’étranger. L’anglais est donc un outil de communication pratique, mais insuffisant lorsqu’on souhaite exporter son activité dans un pays étranger, ce qui signifie automatiquement la prise en compte d’un cadre culturel spécifique. C’est par exemple l’expérience qu’a faite l’entreprise Renault lorsqu’elle s’est implantée au Brésil. La connaissance de la culture nationale, la collaboration poussée avec des personnes locales et l’apprentissage du portugais par les salariés français ont joué un rôle essentiel dans ce processus.
Plus, c’est mieux !
Il existe des études démontrant que la méconnaissance des cultures étrangères conduit souvent à des échecs lors d’une signature de contrat. Si les chiffres, souvent alarmistes, sont à prendre avec précaution (à citer notamment le rapport « When to Ally and when to Acquire » qui estime que 40% à 50% des fusions-acquisitions échouent en raison de l’incompatibilité des cultures5), il n’est pas exagéré d’affirmer que la connaissance de la langue locale, pour une entreprise qui cherche à s’implanter ailleurs, est une clé essentielle, et un atout qu’il faut impérativement valoriser. Ainsi, en réponse à la question de départ, on peut affirmer que l’anglais est nécessaire, mais pas suffisant.
Beaucoup d’arguments tendent à prouver que la bonne gestion du multilinguisme au sein d’une société renforce la compétitivité de celle-ci et sa performance à l’échelle internationale. Or, comme on l’a vu plus haut, la concurrence reste faible dans ce domaine. À vous de faire la différence !
(1) Étude Babbel (2016)
(2) Données publiées par le Ministère de la Culture et de la communication, reprises d’une étude de l’Ined (2008)
(3) Informatisation et changements organisationnels, Insee (rapport réactualisé en 2006)
(4) L’enseignement des langues étrangères en France, rapport Legendre (2003-2004)
(5) When to Ally and when to Acquire, Dyer, J.H., Kale, P. and Singh, H., Harvard Buisness Review (juin-août 2004)