Mathieu Avanzi : « On pratique de moins en moins les langues régionales en France »

Comment sont nées les langues régionales en France ? Sont-elles réellement pratiquées ? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré l’enseignant-chercheur Mathieu Avanzi.
État des lieux des langues régionales en France avec Mathieu Avanzi

Mathieu Avanzi est chargé de recherche à l’université catholique de Louvain (Belgique). Ses travaux portent sur la géographie linguistique du français et ses rapports avec les langues régionales. 

Mathieu Avanzi, pouvez-vous nous dire quand les langues régionales ont fait leur apparition en France ?

Mathieu Avanzi : Pour comprendre pourquoi il existe différentes langues régionales en France, il faut remonter à la conquête de Jules César menée en 50 avant notre ère. À l’époque, la Gaule est principalement habitée par des Gaulois et des Celtes qui vivent au sein de différentes tribus. Ils parlent des dialectes celtiques dont les racines linguistiques sont communes. Au moment de la guerre des Gaules menée par Jules César, ces peuples celtes ont progressivement adopté la langue de l’envahisseur, à savoir le latin. 

Cette pratique du latin s’est transformée au fil des années. Elle s’est adaptée aux langues déjà en vigueur puis a été influencée par l’invasion des peuples germains tels que les Francs ou les Burgondes. Ce latin a donc évolué, donnant naissance à de nombreuses langues régionales.

La France a-t-elle toujours abrité différentes langues régionales ?

Mathieu Avanzi : Déjà au XVe siècle, le territoire français se trouve être morcelé en différentes zones linguistiques, avec des langues régionales plus ou moins différenciées. Il subsiste aussi des zones géographiques qui ont toujours été hermétiques à l’influence du latin, par exemple le breton ou le basque. 

S’agissant du basque, c’est un exemple tout à fait fascinant puisque cette langue était déjà pratiquée avant l’arrivée des Gaulois. Étonnamment, le basque n’a pas été « écrasé » par le latin, comme si cette langue était imperméable à l’environnement extérieur. Contrairement à toutes les autres langues pratiquées en France, ce n’est pas une langue issue de la grande famille des langues indo-européennes.

En France, combien dénombre-t-on de langues régionales ? Et combien sont encore réellement parlées ?

Mathieu Avanzi : Il est très difficile de répondre à cette question car elle dépend de beaucoup de critères. Tout dépend si l’on prend en compte le nombre de locuteurs, si l’on prend en considération les familles de langues ou leurs sous-familles, si l’on examine l’usage réel et la pratique qui en est faite, etc. Si vraiment je devais donner un chiffre, je dirais qu’il existe une dizaine de langues régionales en France.

Parmi les langues régionales les plus connues et les plus pratiquées encore aujourd’hui, citons le breton, le corse, l’alsacien, le picard et l’occitan. Il faut préciser que l’occitan abrite une multitude de dialectes et qu’il couvre une grande zone géographique : le sud de la France, le nord de l’Espagne et une partie de l’Italie. Il est vraiment très difficile de connaître le nombre de locuteurs mais on peut considérer que ces 5 langues régionales sont aujourd’hui celles qui sont les plus pratiquées en France.

Y a-t-il des régions de France où les langues régionales sont particulièrement présentes ?

Mathieu Avanzi : Une langue régionale est toujours le produit d’une culture propre et d’une géographie particulière. On peut également considérer qu’une langue régionale est souvent la manifestation d’une volonté de distinction face au pouvoir central. Il est d’ailleurs intéressant d’observer que ce sont les régions les plus éloignées de Paris – à savoir la capitale politique, culturelle et institutionnelle – qui abritent le plus grand nombre de langues régionales.

Lorsque le français est devenu la langue officielle de la cour, des élites et de la bourgeoisie, très vite, il a évincé les dialectes proches de Paris tels que l’orléanais ou le perche. A contrario, on trouvera beaucoup de langues régionales dans le sud de la France, dans le Nord ainsi que dans toutes les zones ultrapériphériques à l’Île-de-France.

« Une langue régionale est souvent la manifestation d’une volonté de distinction face au pouvoir central » 

Comment évolue la pratique des langues régionales en France ?

Mathieu Avanzi : Globalement, je pense qu’on pratique de moins en moins les langues régionales en France. Cela s’explique par des raisons socio-économiques : les gens n’éprouvent tout simplement pas la nécessité de les parler. De fait, la première raison d’être d’une langue est de pouvoir échanger et communiquer avec le plus grand nombre. La langue française qui est devenue la langue standard est toute désignée pour cela.

D’autre part, les langues régionales se transmettent principalement au sein d’une famille. Ce sont très souvent les parents ou les grands-parents qui enseignent la langue à leurs enfants ou petits-enfants. Les parents d’aujourd’hui sont moins enclins à transmettre une langue régionale parce qu’ils la maîtrisent moins bien et parce qu’ils n’en ressentent pas l’utilité pour leurs enfants. Il faut également préciser qu’une certaine « pression » a été exercée ces dernières années vis-à-vis de ceux qui pratiquaient encore leur langue régionale. Pour reprendre l’exemple du picard, on sait que pendant des générations, on punissait les enfants qui privilégiaient trop le picard à l’école. Et aujourd’hui, les jeunes apprennent davantage les langues comme l’anglais, l’espagnol ou l’allemand, ce qui freine leur intérêt pour les langues locales.

Mathieu Avanzi, quelle analyse faites-vous de l’opinion publique au sujet de la pratique des langues régionales ? 

Mathieu Avanzi : Je dirais qu’il existe deux grandes tendances autour des langues régionales : celle qui souhaite les préserver à tout prix et celle qui s’en désintéresse totalement et préfère se contenter du français. S’agissant de ceux qui revendiquent leur langue régionale, ils sont particulièrement présents en Occitanie où il existe une vraie volonté d’asseoir une forme d’indépendance régionale. On l’a très bien vu avec ce qu’il s’est passé en Catalogne. Ces personnes qui sont très régionalistes ne sont pas très nombreuses et c’est vrai que leur discours peut parfois paraître radical.

« Les Français  n’ont plus la nécessité des langues régionales » 

Les langues régionales influencent-elles la langue française ? De même, la langue française influence-t-elle les langues régionales ?

Mathieu Avanzi : Pendant longtemps, les langues régionales ont été parlées en opposition avec le français. Les gens parlaient soit le français, soit leur langue régionale mais ils ne mariaient pas les deux. Cela a progressivement évolué grâce aux emprunts faits dans les deux sens. Aujourd’hui, les langues régionales empruntent des termes au français, de même que le français emprunte des termes aux langues régionales.

Le picard emprunte par exemple beaucoup au français pour combler ses lacunes en termes de vocabulaire et de lexique. Pour autant, une langue régionale prend toujours soin d’opérer une distinction avec la langue standard.

D’après vous, quel est l’avenir des langues régionales ? Vont-elles disparaître ou au contraire se réimposer dans les années qui viennent ?

Mathieu Avanzi : Il est très difficile de se prononcer sur la question. Je ne pense pas qu’un jour les Français se mettront à pratiquer exclusivement leurs langues régionales car ils n’en ont pas la nécessité. Certaines langues régionales ont d’ailleurs totalement disparu. L’apprentissage d’une langue régionale est relativement marginal, à cause d’une pratique faible et un usage vraiment trop ponctuel. Je pense que les langues régionales sont trop perdues pour qu’elles reviennent pleinement.

Cela dit, c’est vrai que l’on observe un retour au local et à un sentiment d’appartenance régionale. Or, affirmer son appartenance à une région c’est aussi maîtriser les codes linguistiques et culturels de cette région. Il est donc vraiment difficile de savoir de quoi sera fait l’avenir. D’ailleurs, dans les années 50, beaucoup de linguistes pensaient que les langues régionales n’allaient plus être pratiquées à la fin du XXe siècle. Le fait est qu’elles le sont toujours…

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