« Les langues ouraliennes viennent de l’Oural »… vrai ! Il n’y avait pas de piège, c’est une affirmation plutôt évidente. Mais elles ne sont pas toutes concentrées dans cette région montagneuse de Russie frontalière de la Sibérie et qui délimite l’Europe et l’Asie. On trouve des langues ouraliennes en Europe centrale, de l’est et du nord ainsi que dans certaines zones d’Asie. Démêlons le vrai du faux sur cette famille de langues méconnue en 5 idées reçues !
❌ « En Russie, on ne parle que russe »
Il est vrai que la pratique de l’anglais n’est pas très répandue en Russie. Le plus grand pays du monde est classé 48e par EF First pour ses compétences en anglais. Mais dire qu’on ne parle que russe en Russie, c’est un affront à la diversité ethnique de cet immense pays. Le russe est la langue que partagent et qui unit les 150 millions de Russes. En tant que langue slave, il s’agit d’une langue indo-européenne. Mais on trouve aussi des langues minoritaires. En particulier des langues ouraliennes. Après tout, les langues ouraliennes viennent de l’Oural et l’Oural, c’est bien en Russie.
Quelles sont ces langues ouraliennes parlées en Russie ? On pourrait presque les rapprocher des minorités linguistiques formées par le corse, le breton ou le basque en France. Presque, car… les langues ouraliennes sont bien plus que des langues régionales pour les Russes. Elles bénéficient souvent d’un statut spécial alors que les langues régionales de France sont de moins en moins pratiquées.
D’ailleurs, il existe une distinction en russe entre русский (russki, russe par l’ethnie) et россиский (rassiski, russe par la nationalité). Si le statut des langues ouraliennes est pris tant au sérieux en Russie, c’est parce que ces langues sont pratiquées par des ethnies différentes. Dans la majorité des cas, ce sont les langues des Républiques autonomes. Par ordre d’importance, les 5 principales sont le mari de la République des Maris (510 000 locuteurs), les langues mordves (erzya et mokcha) de la République de Mordovie (400 000 locuteurs), l’oudmourte de la République d’Oudmourtie (340 000 locuteurs), le komi de la République des Komis (220 000 locuteurs) et le carélien (40 000 locuteurs) de la République de Carélie.
❌ « En Finlande, on parle finlandais »
En Finlande, on parle (essentiellement) finnois. Pourquoi la langue de la Finlande n’est-elle pas le finlandais ? Parce que l’adjectif finlandais désigne la nationalité. Le mot finnois, à l’inverse, est utilisé pour désigner l’ethnie. C’est la même nuance qui existe entre les termes россиский et русский. On parle du peuple finnois, de la culture finnoise et de la langue finnoise. Tous les Finlandais ne sont donc pas nécessairement Finnois.
✅ « La Finlande est un pays multilingue »
En 2018, le pays des Mille Lacs arrivait 7e au classement mondial des compétences en anglais d’Education First. Mais si la Finlande est un exemple parfait de pays multilingue, ce n’est pas seulement pour sa maîtrise de la langue de Shakespeare. Le finnois est la langue maternelle d’environ 9 habitants sur 10, soit 5 millions de Finlandais. Le suédois dispose aussi d’une forte présence avec près de 300 000 locuteurs. Soit l’équivalent de la population de Tampere, la deuxième ville du pays ! La langue de Strindberg dispose du statut de langue officielle en Finlande, au même titre que le finnois. Quant à la Laponie, terre de légendes du Grand Nord, environ 30 000 Samis, peuple autochtone, y parlent encore une des langues sames qui appartiennent aussi aux langues ouraliennes.
Depuis 1995, la langue des signes finnoise est également reconnue comme langue officielle ! La Finlande fut le premier pays d’Europe à octroyer ce statut à la langue des signes. Aujourd’hui, seuls trois autres pays européens ont intégré ce langage à leur constitution : le Portugal, l’Autriche et la Hongrie.
✅ ❌ « Le finnois et le hongrois sont des langues sœurs »
Tout dépend de ce qu’on appelle des langues sœurs. Le finnois et le hongrois appartiennent bien à la même famille linguistique. Ce sont deux langues ouraliennes. Plus encore, elles font partie des langues finno-ougriennes. Cependant, le finnois appartient à la sous-catégorie des langues fenniques (le « finno » de finno-ougriennes) tandis que le hongrois est rattaché aux ougriennes. Dire que le finnois et le hongrois sont des langues sœurs n’est donc pas entièrement faux. Mais ce faisant, on oublie de tenir compte des spécificités de ces sous-familles. Pour donner un autre exemple, il est aussi vrai de dire que le français et le hindi sont des langues sœurs. Il s’agit bien de deux langues indo-européennes. Mais elles restent tout de même très éloignées l’une de l’autre ! Plus précisément le hindi renvoie au « indo » d’Indo-européennes et le français à la partie européenne. Le français est une langue sœur de l’espagnol (les langues romanes), là où le hindi serait plutôt une langue sœur de l’ourdou, une langue indo-aryenne parlée au Pakistan.
Alors quelles sont les langues sœurs du hongrois ? Il en reste peu. Avec 13 millions de locuteurs natifs, le hongrois est de loin la principale langue ougrienne. Les autres langues ougriennes répertoriées sont le mansi et le khanty, parlées… en Sibérie, à 5 000 kilomètres de Budapest ! Ne cumulant que 10 000 locuteurs, ces deux petites langues de Russie sont sérieusement menacées d’extinction dans les décennies à venir. Le hongrois deviendrait alors la seule langue ougrienne survivante. On suppose que les langues ougriennes actuelles dérivent du proto-ougrien, une langue archaïque et oubliée dont on ne sait pas grand-chose si ce n’est qu’elle aurait existé entre le IIIe et le Ier millénaire avant J-C.
✅ « L’estonien est une exception parmi les pays baltes »
L’estonien est une langue totalement différente du letton et du lituanien. Ces dernières sont les seules langues baltes restantes. Quant à l’estonien, il s’agit d’une langue fennique. Comme le finnois ! Depuis son indépendance de l’URSS, l’Estonie essaie de se rapprocher de la Finlande, dont elle est très proche culturellement. Tout comme Helsinki, Tallinn, 90 kilomètres plus au sud, est d’ailleurs l’une des capitales les plus modernes et connectées d’Europe.
Finlandais et Estoniens peuvent-ils facilement se comprendre ? Jusqu’au XVIe siècle, sûrement. Mais lorsque l’évêque finlandais Mikael Agricola traduit le Nouveau Testament dans les années 1540, il normalise la langue par la même occasion. Et c’est là qu’estonien et finnois prennent des directions différentes. Néanmoins, malgré les différences actuelles, il existe encore de nombreuses similarités lexicales et grammaticales. Du point de vue des déclinaisons par exemple, les deux langues peuvent se targuer d’avoir l’un des systèmes les plus complexes au monde avec 14 cas pour l’estonien et 15 pour le finnois. De quoi complexer le russe et l’allemand ! Soulignons aussi que les influences germaniques sont plus nombreuses en estonien, en raison de la présence historique de Germano-Baltes.