Langues singulières d’Europe : les langues baltes, sœurs uniques

Que sait-on des pays baltes, ces trois petits pays européens qu’on confond facilement ? Ils sont presque identiques, non ? Non, justement ! La preuve avec leurs langues que l’on vous propose de découvrir.
Les langues baltes sont parlées en Lithuanie et en Lettonie, dont Riga est la capitale

Rares sont ceux à pouvoir situer l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie dans le bon ordre sur une carte. Vous voulez une astuce ? Les pays baltes sont classés par ordre alphabétique du nord au sud ! Quelle est la capitale de la Lettonie ? Riga ou Vilnius ? Il y a un seul « i » dans Riga, comme dans Lettonie. Il y en a deux dans Vilnius, comme dans Lituanie.

Malgré ces moyens mnémotechniques, les pays baltes sont faciles à confondre pour un Français. Au fond, sont-ils si différents les uns des autres ? , répondraient les Lettons. Taip, diraient les Lituaniens. Et quoi de mieux que les langues pour rendre compte de ces différences ?

Lorsque l’URSS éclate, les pays baltes s’engouffrent dans une expérience nouvelle. Celle de l’indépendance et du renouveau de leurs spécificités culturelles après plusieurs décennies d’assimilation au géant russe. Alors que Riga célèbre sa fête nationale le 18 novembre, date de sa première autonomie en 1918 (Latvijas republikas proklamēšana diena, jour de la proclamation de la République de Lettonie), intéressons-nous à l’originalité des langues baltes !

Les langues baltes, dernières survivantes d’une famille presque éteinte

L’histoire des langues baltes ressemble à une malédiction linguistique. En l’espace de deux siècles, six langues de cette petite famille du nord-est de l’Europe meurent tour à tour.

Il faut dire qu’elles sont parlées par un nombre restreint de locuteurs et que les invasions successives des voisins menacent leur avenir. Le skalvien, le sélonien et le sémigalien ont été les premières à disparaître, toutes au cours du XVIe siècle.

Puis vient le tour du couronien et du sudovien au XVIIe siècle. Quant au vieux-prussien, il s’éteint au début du XVIIIe siècle. Avec lui, c’est l’ensemble des langues baltes occidentales qui s’éteint.

Aujourd’hui, le letton et le lituanien sont les deux seules langues baltes restantes, exception faite de leurs dialectes respectifs. Le latgalien est un dialecte du letton parlé au sud-est du pays tandis que le samogitien est un dialecte de l’ouest de la Lituanie.

Ces langues et dialectes font tous partie du sous-groupe des langues baltes orientales. L’ensemble des langues baltes occidentales a disparu en même temps que le vieux-prussien. Le lituanien est parlé par environ 3 millions de personnes tandis que le letton compte près de 2 millions de locuteurs.

Pays baltes, langues baltes ?

Seulement deux langues baltes ? Il y a pourtant bien trois pays baltes. Quelle langue parle-t-on en Estonie, dans ce cas ? Sans grande surprise, on y parle estonien… qui n’est pas une langue balte, mais une langue ouralienne, apparentée au finnois et au hongrois.

Le concept de « langues baltes » que nous développerons ici correspond à une réalité linguistique (et non géographique) dont l’estonien est exclu.

L’impossible classement des langues baltes

L’appartenance des langues baltes à la famille des langues indo-européennes est une certitude. Il n’y a aucun débat à ce sujet. Pour le reste, il n’existe que des hypothèses. On suppose que les deux langues dérivent d’un ancêtre commun, le proto-balto-slave qui serait lui-même issu du proto-indo-européen.

Certains linguistes considèrent les langues baltes comme des langues slaves à part entière en raison de nombreux points communs. L’absence d’articles définis et indéfinis est l’un d’entre eux. Par exemple, pilsēta en letton et miestas en lituanien peuvent vouloir dire une ville ou la ville en fonction du contexte.

Par ailleurs, les langues baltes sont aussi des langues à déclinaisons. Et comme pour les langues slaves, il existe une distinction entre deux aspects de verbes en fonction de l’état de l’action : répétée ou en cours (imperfectif) ou unique ou terminée (perfectif). Du côté de la prononciation, en revanche, les différences sont nombreuses.

À l’oral, les langues slaves sont facilement reconnaissables à leur aspect chuintant. C’est le cas des lettres Ж, Ш, Щ, Ч en russe. On retrouve les mêmes sons en biélorusse, en ukrainien ou encore en polonais. Beaucoup moins en letton ou en lituanien !

Avec ses nombreuses terminaisons en -as, le lituanien ressemblerait presque au grec ou à l’espagnol. En réalité, les sons et le vocabulaire des langues baltes a peu en commun avec les langues slaves. C’est presque une raison suffisante pour les exclure définitivement de cette famille, étant donné les grandes similarités lexicales qui caractérisent les langues qui la composent.

L’étymologie reste d’ailleurs une science bien impuissante pour expliquer l’origine des langues baltes. Prenons le mot français lait. En lituanien, il se dit pienas et en letton piens. Une racine commune qui ne se retrouve dans aucune autre langue indo-européenne. Même le mot russe молоко (moloko) est moins extravagant ! Reconnaissons la ressemblance, même éloignée, avec l’anglais milk ou le néerlandais melk.

Pour dire mer, Lettons et Lituaniens utilisent le même mot jūra qui non seulement n’a aucun lien de parenté avec une quelconque autre langue, mais qui en plus pourrait être interprété à tort comme une chaîne de montagnes par les francophones ! Et puis parfois, sans prévenir, les langues baltes surprennent avec un mot comme saulé qui signifie… soleil !

Ces quelques illustrations suffisent presque à comprendre pourquoi, après tant d’années d’études, les linguistes sont encore et toujours divisés sur la question du classement des langues baltes.

Letton et lituanien : des influences différentes

Une chose est sûre : le letton et le lituanien appartiennent à la même famille. Mais cela ne veut pas dire que les langues baltes sont identiques. La situation est bien différente de celle du serbe et du bosnien ou du bulgare et du macédonien, parfois considérés comme une seule et même langue.

Concrètement, le lituanien est plus archaïque que le letton. Les linguistes considèrent qu’il s’agit de la langue européenne la plus proche du sanskrit, une langue d’Inde qui est, avec le latin et le grec, l’un des ancêtres des langues indo-européennes.

Les similitudes avec les langues slaves sont aussi plus nombreuses que pour le letton. Par exemple, miestas, le mot lituanien pour ville cité plus haut, ressemble étrangement au russe место (miesta), qui signifie « lieu, endroit ».

En réalité, les influences slaves étaient déjà présentes en Lituanie bien avant l’ère soviétique. En 1569, le grand-duché de Lituanie s’associe au royaume de Pologne pour former la République des Deux Nations. Puis, la Lituanie est rattachée à l’Empire russe à la fin du XVIIIe siècle. Elle n’a obtenu sa réelle indépendance qu’en 1991 !

L’héritage du letton est nettement différent. La Lettonie a connu une longue colonisation germanique. D’abord par la domination des chevaliers Teutoniques du XIIIe au XVIe siècle puis par celle du Royaume de Suède.

Les emprunts aux langues nordiques sont encore visibles dans le letton d’aujourd’hui. Souvenez-vous du des Lettons. Allemands et Suédois — et tous les Scandinaves — disent oui de la même façon. L’histoire des pays baltes est presque un résumé de celle du vieux continent, faite de rapprochements des peuples et de leurs langues !

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