Quant il s’agit de parler avec les mains, même si la réputation des Italiens éclipse parfois la nôtre à l’étranger, nous autres Brésiliens savons que nous n’avons rien à envier à nos cousins européens. Nous maîtrisons parfaitement l’art de nous faire comprendre avec les mains – du moins entre nous.
D’où vient notre habitude de parler avec les mains ?
Se peut-il que cette caractéristique nous ait justement été léguée par les immigrés italiens, arrivés au Brésil par vagues successives à partir des années 1870 ? Ou bien est-ce un héritage de nos racines africaines et portugaises, profondément ancrées dans l’histoire de notre civilisation ? Difficile de trancher. Mais une chose est sûre : les Brésiliens adorent parler avec les mains et ont développé une forme de langage corporel à la fois complexe et compréhensible.
Originaire de São Paulo mais habitant depuis quelques années à Berlin, j’ai pu me livrer à maintes occasions à des observations sur mon pays d’origine depuis une perspective décalée, celle d’une expatriée vivant dans un pays dont la culture, d’après mon expérience, est en bien des points aux antipodes de celle de mon pays de naissance. Et quand je parle d’observer, il faut le comprendre au sens littéral. Vivre à l’étranger, entourée de personnes venues des quatre coins du monde (France, Angleterre, Espagne, Allemagne, Iran…) m’a inculqué l’art de la comparaison, mais a aussi radicalement remis en question mon rapport à l’identité brésilienne. Je me retrouve désormais complètement dans cette formule de Jose Saramago : « Il faut sortir de l’île pour voir l’île. »
Parler avec les mains, un héritage national
C’est justement en quittant mon île que j’ai réalisé – ou plutôt, on m’a fait remarquer – ceci : dès que je commence à parler, je me mets à gesticuler. Après avoir plusieurs fois senti se poser sur moi des regards soupçonneux et m’être retrouvée dans des situations ridicules à cause de quiproquos hilarants, j’ai fini par conclure que la communication non verbale fait décidément partie de l’héritage national du Brésil. La curiosité suscitée ici par mes gesticulations incessantes m’a incitée à me pencher de plus près sur le problème. Quelle est donc cette force irrésistible qui nous force à dégainer les mains dès que nous entrouvrons la bouche ?
Cette habitude n’est pas l’apanage exclusif des Brésiliens ; toutes les communautés, à travers le temps et l’espace, ont disposé et disposent d’une gestuelle propre. Il est donc parfaitement normal qu’un signe connoté positivement d’un côté de la planète soit perçu comme une terrible offense par quelqu’un venu d’ailleurs.
Les gestes nous aident à communiquer…
Il semble pourtant que le langage parlé et le langage corporel ont une fonction commune, celle de nous aider à réfléchir. Dans le cadre d’une étude (en anglais) menée par l’université de l’Illinois à Urbana, des chercheurs ont fait passer à une cinquantaine d’étudiants plusieurs tests axés sur l’acquisition de vocabulaire, ou plus généralement liés à la mémoire verbale, c’est-à-dire la capacité à conserver, modifier et contextualiser des termes mentalement. Entre chaque test, on montrait aux étudiants des dessins animés de Tom et Jerry ; ils devaient ensuite décrire ce qu’ils avaient vu.
On a constaté que les étudiants dont la mémoire verbale était moins développée mais qui possédaient tout de même un vocabulaire fourni, avaient tendance à recourir plus facilement à des gestes afin d’appuyer leur description. L’étude suggère que, lorsque la mémoire de travail fait défaut, les gestes viennent appuyer les processus cognitifs. Ils permettent en quelque sorte de remettre de l’ordre dans le désordre qui envahit nos cerveaux lorsque nous voulons exprimer quelque chose. Par ailleurs, si l’on pense à la mentalité collective d’un pays comme le Brésil, influencé par tant de langues et de cultures, on comprend mieux l’importance cruciale qu’a le langage corporel. Ceux-ci ont probablement été, à une époque, un moyen de faciliter et renforcer la communication en réduisant les ambiguïtés qui pouvaient naître de la diversité des origines.
… et à ressentir de l’empathie envers autrui
Une autre étude (en anglais) met en lumière l’hypothèse selon laquelle les gestes influencent notre faculté d’empathie. Peut-être le langage corporel contribue-t-il quelque part à la réputation des Brésiliens, renommés pour être des gens particulièrement avenants et accueillants ? La vidéo ci-dessus présente un échantillon du langage non-verbal brésilien, quelques gestes typiques dont les étrangers ont bien du mal à deviner le sens.
Quant aux Brésiliens, peu importe le nombre de langues que vous maîtrisez ; vous ne pourrez jamais complètement vous débarrasser de votre attitude, qui risque toujours de vous trahir – et notamment vos mains baladeuses !