Au fait, qui a inventé les gros mots ?

Mais qui a inventé les gros mots ? Les gros mots, c’est pas bien… mais on les aime quand même. Pourquoi au juste ? Voici une tentative d’explication.

Au fait, qui a inventé les gros mots ? Personne ne semble avoir la réponse  mais tout le monde est d’accord là-dessus : les gros mots, c’est pas bien… mais on les aime quand même.

Mais qui a inventé les gros mots ?

Qu’on soit riche ou pauvre, jeune ou vieux, défenseur de la belle langue ou blasphémateur incorrigible, personne ne peut s’empêcher, lorsque l’orteil rencontre inopinément le pied de la table, de lâcher un petit « mer…credi ! ». Les gros mots appartiennent presque exclusivement à la tradition orale, et en cela à tout le monde – en d’autres termes, ils sont parfaitement démocratiques. Alors cessons un instant de jouer les saintes-nitouches, enfilons nos blouses blanches et décortiquons le sujet en véritables scientifiques.

Attention, cet article peut contenir des propos choquants. Âmes sensibles, s’abstenir !

Qu’est-ce qu’un gros mot ?

Gros mots et tabou

Si nous sommes bien incapables de vous dire qui a inventé les gros mots, on s’entend néanmoins sur ce slogan : « Les gros mots, c’est tabou, on en viendra tous à bout ! ».

Les gros mots sont tabous, justement parce qu’ils naissent des interdits qui règnent dans l’espace collectif. En proférant un gros mot, on franchit les frontières du langage verbal normé en usage dans la société. De là vient la charge provocatrice qui fait accéder un mot au titre de « gros ». Le gros mot est avant tout une transgression langagière, un saut hors du champ du politiquement correct qui lui-même varie en fonction des pays. Certains sujets (la mort, la maladie, les excréments) sont mis au ban de presque toutes les sociétés : ce sont des choses dont on ne parle pas à table. Le sexe fait également largement partie du royaume des interdits, et c’est précisément pour ça qu’il constitue une source d’inspiration intarissable dans le monde entier : du fameux fuck anglo-saxon au fanculo italien en passant par notre con national, le sexe est le meilleur ami des amateurs de jurons.

Spécificités culturelles

Mais il existe également des gros mots qui reflètent de façon significative les particularités d’une société. Les Allemands – et tout spécialement les Allemands de l’Est –, fameux inventeurs de la F.K.K. (Freikörper Kultur, « Culture du Corps Libre »), n’ont pas les mêmes réticences envers la nudité que les Français. Du coup, peu de leurs jurons sont classés X. Ceux-ci sont d’ailleurs employés avec tant de parcimonie qu’ils ont gardé toute leur charge explosive – ce qui n’est plus tellement le cas de « con » et autres « sal@&# », trop éculés pour choquer encore.

Résultat : peu importe qui a inventé les gros mots, chez nous, on classerait presque le mot « baiser » dans le vocabulaire courant ; au contraire, dites ficken à un Allemand et vous le ferez bondir au plafond – ou vous prendrez une tarte dans la figure. Les jurons germaniques ont un côté plus terre-à-terre et reviennent volontiers aux basiques de la phase anale : Kacke, Mist et bien sûr Scheiße sont autant de désignations possibles de la matière fécale, et leur emploi est tout aussi banal que celui de « putain » de l’autre côté du Rhin. Quant aux Italiens, ils sont passés maîtres dans l’art du blasphème et cuisinent volontiers la Madone à toutes les sauces, comme en réaction à l’omniprésence de l’Église.

Une question de contexte

Tous les gros mots ne sont pas automatiquement vulgaires. Le blasphème en est d’ailleurs une parfaite démonstration. Prononcés durant le sermon dominical, un « Dieu » ou « Jésus » aura tout à fait sa place. Mais une fois franchies les portes de l’église, ces noms peuvent prendre des airs de menaces, comme par exemple cette expression canadienne assez épique : « Criss de calice de tabarnak d’osti de sacrement ! » – que nous préférons nous abstenir de traduire ici. Nous ne voudrions pas finir par brûler en enfer.

Ce point se vérifie aussi avec des insultes qui ne gagnent leur pouvoir d’agression que dans un certain cadre. Pensons aux termes qui se réfèrent à des tendances politiques et détournés en insultes, comme « coco » et autres « fasciste » ou, plus innocemment, aux noms d’oiseaux du type « tête de moineau ! » . Le niveau de grossièreté d’un mot peut donc varier en fonction du contexte.

La vulgarité, l’ingrédient secret

Malgré tout, la vulgarité contribue souvent à conférer à un terme sa valeur transgressive, comme une poudre magique qui ferait exploser les limites du langage oral normé et policé. On ne choquera personne en insultant quelqu’un de « tête d’organe reproducteur » ou en se plaignant de cette « maison close en matière fécale ». Remplacez en revanche ces mots par leurs équivalents en langue #@&%, l’effet est garanti ! C’est d’ailleurs une des premières leçons de langage qu’apprennent les enfants, lorsqu’ils observent avec délectation la mine déconfite de leur entourage après avoir lâché leur premier « caca ! » à table… Je vous laisse tenter vous-même l’expérience lors du prochain repas familial.

Qui a inventé les gros mots : de l’utilité des jurons

Mille millions de mille sabords !

N’importe quelle image du capitaine Haddock en train de jurer illustre à merveille la fonction première du gros mot : celle de se soulager, de se libérer d’un sentiment de frustration, de rage ou de choc lorsque celui-ci est trop violent pour être contenu. Souvent, les gros mots jaillissent de notre bouche de façon impulsive ; on peut alors parler de catharsis par le langage : les gros mots ou insultes aident à canaliser une émotion trop forte en l’extériorisant grâce à l’expression orale. Il existe d’ailleurs des études scientifiques qui démontrent que les mots vulgaires aident à mieux supporter la douleur.

Exclure…

Les gros mots ne sont pas absolument nécessaires pour vexer quelqu’un, mais y contribuent fortement ! L’insulte a le pouvoir de concentrer dans quelques lettres toute l’agressivité du locuteur : au lieu d’une déclaration de haine argumentée en trois points, un simple « Vas te faire f*** ! » et l’affaire est pliée. Zidane aurait-il perdu la tête si Materazzi s’était contenté de lui lancer un « Pousse-toi de mon chemin ! » ?

Note : Lorsque vous insultez quelqu’un sans que celui-ci puisse vous entendre (le conducteur juste devant vous, l’équipe de foot adverse, votre belle-mère), cela relève de la catharsis, soit du point précédent.

… ou inclure

Les gros mots ne sont pas exclusivement réservés aux ennemis. Ils peuvent parfois contribuer à renforcer le sentiment d’adhésion dans une communauté. Les groupes ont en effet tendance à développer un jargon qui leur est propre et qui participe à la construction de leur identité. Or, les gros mots font souvent partie intégrante de ce type de langage : ils permettent de lier les membres du groupe entre eux. La valeur de l’insulte se retrouve pour ainsi dire inversée : au lieu d’une attaque, elle devient une marque de complicité, d’appartenance, comme lorsqu’on se salue par un « Hey gros ! » ou autre petit mot doux.

Figure de style

« Les animaux font des crottes, alors que l’homme sème la merde. » – Pierre Desproges

N’importe quel comique pourra vous le confirmer : les gros mots sont de puissants instruments, facilement utilisables comme levier afin de provoquer des réactions fortes. La vulgarité sert alors à renforcer l’aspect émotionnel et provocateur d’une phrase sinon banale. Par exemple, un « Merde ! » bien placé peut devenir l’ingrédient magique qui déclenche le fou rire. La grossièreté de l’insulte est généralement un facteur d’exagération qui donne à la phrase un effet beaucoup plus percutant qu’un innocent « Zut ! » ou « Saperlipopette ! », un peu trop vieillots.

Les gros mots sont-ils des mots ordinaires ?

Des scientifiques se sont penchés sur les implications neurologiques des gros mots afin de mieux comprendre la force émotionnelle qui leur est liée. Le chercheur N. Isenberg, dans une étude menée en 1999, a découvert que le complexe amygdalien, c’est-à-dire la partie cérébrale reliée aux émotions et aux stimuli sensoriels, témoignait d’une activité particulièrement développée lorsque le cerveau était confronté à un gros mot. Au contraire, le langage formel est rattaché à la partie gauche du cerveau, soit à l’aire de Broca, soit à l’aire de Wernicke.

Cette différence dans le traitement du langage formel et du langage vulgaire est particulièrement frappante chez les aphasiques. L’aphasie désigne un trouble de la parole dû à la lésion des aires cérébrales responsables du langage. La gravité de cette pathologie dépend de la zone touchée. Dans le pire des cas, la maladie entraîne une incapacité complète de formuler des mots – exception faite des gros mots. Une expérience a été menée par les chercheurs Diana Van Lancker et Jeffrey Cummings en 1999 sur un patient frappé d’aphasie globale. Elle a montré que si celui-ci avait perdu l’usage de la langue, il parvenait encore à prononcer les mots « well, yeah, yes, no, goddammit » et… « shit » dans les situations appropriées. En revanche, le patient se montrait incapable de lire le mot « shit » écrit sur un papier. Cette expérience montre que le cerveau réserve une place bien particulière aux gros mots.

Alors, qui a inventé les gros mots ?

Mais pas uniquement le cerveau ! Les gros mots tiennent aussi un rôle spécial dans nos relations sociales. Alors si quelqu’un vous traite de c@&# de m@#&, au lieu de vous sentir blessé, gardez à l’esprit que l’insulte est toujours une reconnaissance, positive ou négative, de l’existence d’autrui et de son appartenance à la même société. Et si vous éprouvez le besoin de vous soulager ou de témoigner à votre interlocuteur la même reconnaissance, n’hésitez plus à donner la réplique ! Peu importe qui a inventé les gros mots : tout le monde s’en sert.

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Katrin Sperling

Katrin (Kat) Sperling est née et a grandi à Potsdam, en Allemagne. Après le lycée, elle est partie vivre à Toronto, au Canada. N'ayant toujours pas reçu de lettre de Poudlard à son vingtième anniversaire elle a dû se résigner à faire face à la réalité en commençant des études en linguistique à l'université de Berlin. Heureusement pour elle, les langues aussi sont magiques et elle se réjouit aujourd'hui d'écrire des articles sur l'apprentissage des langues pour le magazine Babbel.

Katrin (Kat) Sperling est née et a grandi à Potsdam, en Allemagne. Après le lycée, elle est partie vivre à Toronto, au Canada. N'ayant toujours pas reçu de lettre de Poudlard à son vingtième anniversaire elle a dû se résigner à faire face à la réalité en commençant des études en linguistique à l'université de Berlin. Heureusement pour elle, les langues aussi sont magiques et elle se réjouit aujourd'hui d'écrire des articles sur l'apprentissage des langues pour le magazine Babbel.