“Ah ! Tu habites à Berlin ! Mais alors, tu parles bien allemand ?” Et bien NON, et voilà pourquoi.
Ça fait maintenant un an et demi que j’habite à Berlin. J’aime cette ville multiculturelle et les rencontres que j’y fais, toujours variées et enrichissantes. Mais je suis aussi régulièrement confrontée à cette question : « Tu habites à Berlin ! Tu parles couramment allemand alors ? » À chaque fois, mon sentiment est le même : je suis confuse, gênée, honteuse, agacée. Cette question, toujours présentée comme une évidence, me met mal à l’aise. Il faut dire qu’il y a de quoi ! Un an et demi que je procrastine. Un an et demi que je baragouine un allemand minable qui me permet tout juste de faire le minimum (et par minimum, j’entends commander une pinte et demander la note au restaurant). Un an et demi que je sais combien l’allemand faciliterait mon quotidien. Un an et demi que je repousse cette évidence à coups d’excuses tordues remplies de mauvaise foi bien française, et dont voici les 6 plus célèbres. Je suis d’ailleurs sûre que vous vous reconnaîtrez au moins dans une ou deux d’entre elles…
1re excuse : la plus culottée
Tu sais, à Berlin, ça ne me sert à rien : personne ne parle allemand.
Ça, c’est l’exemple le plus osé en terme de mauvaise foi : quel toupet ! On entend souvent dire que Berlin n’est pas l’Allemagne. Et c’est vrai que Berlin est une ville vraiment spéciale, marquée par une diversité culturelle et linguistique extraordinaire. Mais Berlin reste malgré tout la capitale de l’Allemagne. La langue du quotidien, c’est l’allemand, aucun doute là-dessus. Même si, dans certains milieux, la conversation glisse facilement vers l’anglais, les discussions se déroulent naturellement et spontanément en allemand. Alors dès que la conversation quitte le niveau ultra-basique que je maîtrise (« Eine Currywurst, bitte ») pour monter d’un cran linguistique, je suis plutôt paniquée – voire mortifiée. Par exemple lorsque, au lieu d’un simple : « Par où est Tempelhof, s’il vous plaît ? », on me demande : « Excusez-moi, pourriez-vous, je vous prie, m’indiquer dans quelle direction se trouve cette immense étendue qui était autrefois un aéroport aujourd’hui fermé et dont j’ai malencontreusement oublié le nom ? » (si si je vous assure, ça peut arriver). Ou bien, dernier fait en date, cette adorable mamie qui, au lieu de simplement me demander : « Excusez-moi mademoiselle, pourriez-vous m’aider à traverser la rue ? », a formulé sa requête de manière tellement précautionneuse que je n’ai pas compris un traître mot et suis restée les bras ballants jusqu’à ce que quelqu’un d’autre vole à son secours. J’aurais pourtant adoré lui rendre moi-même ce service ! Mais non… je suis restée plantée là, avec ma honte et mes trois mots d’allemand. Même dans un environnement où l’on trouve toujours le moyen de se débrouiller, ne pas parler la langue locale signifie passer quotidiennement à côté d’un tas de choses et donc vivre en permanence dans la frustration. Ce sentiment serait pourtant facile à chasser. Il suffirait simplement d’être capable de comprendre ce qu’on nous demande !
2e excuse : la plus odieuse
Avec ma modeste rétribution mensuelle, je ne peux pas me permettre d’apprendre une langue.
« Mon abonnement Netflix ? Et alors ?! Bien sûr, j’ai une nouvelle paire de sneakers ! Mais ça n’a rien à voir ! Enfin un peu, mais pas vraiment… » L’idée selon laquelle il faut forcément dépenser une fortune pour apprendre une langue n’est heureusement (et c’est dommage pour notre deuxième excuse) plus d’actualité. Aujourd’hui, avec une application comme Babbel, apprendre l’allemand me coûterait 5 euros par mois – et je n’aurais même pas besoin d’y sacrifier mes soirées ! 15 minutes, soit mon trajet de métro quotidien, suffisent pour une leçon. Pas de cours particuliers ou en groupe, ni de professeur craie en main. Je suis libre d’apprendre ce que je veux, quand je veux, où je veux ! Équation mathématique : en sachant que les croissants sont mon péché mignon et qu’ils coûtent ici environ 1,50 euros, si je me retiens suffisamment pour en acheter uniquement un jour sur deux, en combien de temps aurai-je réuni la somme nécessaire pour un cours d’allemand ? Cerise sur le gâteau, je pourrais aussi perdre 3 kilos. Légère et bilingue, mon Moi idéal pourrait-il devenir réalité ?
3e excuse : la plus lâche
De toute façon, j’ai toujours été nulle en langues à l’école.
Quel manque flagrant de confiance en soi ! Mais ne serait-ce pas aussi la vilaine origine de cette procrastination acharnée ? Nous avons tous le souvenir d’un professeur de langue qui nous a ridiculisé devant toute la classe, causant ainsi un traumatisme profond. Le mien s’appelait Monsieur Chailloux. Il avait des sourcils broussailleux et une voix aussi sexy que celle de Grand-Mère Feuillage dans Pocahontas. Sa fâcheuse habitude de nous appeler par notre nom de famille n’arrangeait pas les choses. « Franconnet ! Auriez-vous des difficultés à comprendre la différence entre le datif et l’accusatif ? » Ben, comment dire… Oui. Ce n’est pas la règle la plus évidente lorsqu’on est francophone. Mais bonne nouvelle ! Notre cerveau évolue avec l’âge. Le problème, c’est qu’on ne s’en rend pas compte puisque, préoccupations du quotidien obligent, nous réservons moins de temps à l’apprentissage à l’âge adulte. Or on a au contraire tout intérêt à éviter de s’embourber le cerveau en apprenant de nouvelles choses en faisant faire un peu de gymnastique à ses neurones. Aujourd’hui, j’ai davantage de discipline, je me concentre plus facilement et surtout, j’adapte mon apprentissage à mon style de vie. Fini le par cœur et la récitation des règles de conjugaison. Je sais de quoi j’ai besoin et surtout, je peux choisir moi-même les thématiques de mes cours. Soyons honnête : pouvoir parler du nouveau film de Terrence Malick, de la dernière recette végétarienne au cerfeuil tubéreux ou de mon date Tinder du moment me motive infiniment plus que ces vieilles listes de vocabulaire à l’ancienne (le combiné : das Mobilteil ; l’annuaire : das Telefonbuch…). Alors cessons de rejeter la faute sur nos professeurs du siècle passé qui ont pu un jour titiller notre ego et jouons-la XXIe siècle. Notre cerveau ne pourra que s’en réjouir !
4e excuse : la plus égoïste
J’ai un accent à couper au couteau, personne ne veut avoir à subir ça.
Détrompez-vous ! On dirait bien que personne ne vous a encore dévoilé ce précieux secret, atout suprême des voyageurs et des expat’. Je vais vous faire une confidence. Approchez-vous un peu, plus près… Voilà, comme ça… La vérité, et vous pouvez me croire sur parole, c’est que, où que vous alliez, l’accent français passe au pire pour exotique, au mieux (et le plus souvent), pour ultra sexy. « So cute! Lovely! » et autre doux qualificatifs fusent dès qu’on ouvre la bouche. Ne me demandez pas pourquoi, acceptez-le simplement comme un fait empiriquement prouvé. J’ai voyagé dans des pays anglophones, germanophones, hispanophones ainsi que sur le continent asiatique, et à chaque fois, j’ai reçu des compliments sur mon fort accent français. J’ai donc décidé de prendre la chose à mon avantage et j’avoue que je force même parfois légèrement le trait afin d’attendrir mon interlocuteur (et de négocier un rabais, par exemple).
Mais face à ce constat, j’ai aussi dû jeter à la poubelle cette énième excuse, aussi fausse qu’égoïste… Votre accent constitue votre touche personnelle et jamais il ne vous empêchera de vous faire comprendre ! Au contraire, il est souvent un bon prétexte pour engager la conversation. Alors, prêt à vous lancer ?
5e excuse : la plus paresseuse
Pourquoi s’embêter à apprendre une langue quand Google nous traduit tout ?
Ami Google, si tu me lis, tu peux te glorifier de m’avoir rendue aussi paresseuse que stupide. Il est clair qu’à ce train-là, je vais bientôt pousser le bouchon jusqu’à trouver des excuses pour carrément arrêter de penser. Soyons sérieux une minute : on parle ici de communiquer dans une autre langue. En me décidant enfin à apprendre l’allemand, je sais pertinemment que je multiplie les occasions de nouer des liens avec de nouvelles personnes, de tenir des conversations sur des sujets inédits, de découvrir des points de vue différents du mien, ancrés dans une autre culture… Et en toute honnêteté, chaque fois que je me mets à discuter inopinément avec quelqu’un dans les allées de Görlitzer Park ou au comptoir d’un café à Mitte, je suis envahie par un immense sentiment de satisfaction et de fierté qui me fait gonfler la poitrine et relever le menton. Avez-vous déjà vécu cette expérience ? Pendant vos vacances peut-être ? Lorsque vous rassemblez vos forces pour vous adresser à un habitant du quartier dans sa langue maternelle afin de lui demander votre chemin et qu’il vous donne au passage un conseil qui change complètement vos plans et rend la journée inoubliable ? Ça peut arriver, si seulement on s’en donne les moyens ! Mais ce n’est certainement pas avec Monsieur Google que ça se produirait.
6e excuse : la plus douteuse (et celle qui fait bondir les linguistes)
Mais à quoi ça sert d’apprendre une nouvelle langue ? Dans dix ans, tout le monde parlera anglais. Toutes les autres langues sont en train de disparaître.
Au-delà du fait que l’estimation de temps me semble un chouia exagérée, cette vision de décliniste ne résiste pas à l’épreuve des faits. Jamais les langues n’ont eu autant la cote qu’aujourd’hui ! Et je ne parle pas que de celle(s) vous permettant de commercer mondialement (en gros, le globish). Non, je vous parle de toutes les langues du monde, nationales, régionales, locales, des dialectes et des patois. Loin de disparaître sous l’hégémonie supposée de l’anglais, elles sont protégées et encouragées par des organisations gouvernementales (l’UNESCO entre autres), des universités, des écoles (par exemple les écoles Diwan en France, qui enseignent en breton), des associations et surtout, par des millions de personnes qui les font vivre au quotidien en les parlant, tout simplement. Plutôt que d’abdiquer, pourquoi ne pas rejoindre ces défenseurs de la diversité linguistique, richesse intellectuelle d’une valeur inestimable ?
Verdict ? La cour a jugé tous ces arguments irrecevables. La mauvaise foi a atteint son paroxysme. Finie la procrastination, fini le manque de confiance en soi, finies les fausses excuses. J’ai essayé de me convaincre que je n’avais ni envie ni besoin d’apprendre une langue. Mais au fond, je sais parfaitement que je n’ai que de bonnes raisons de m’y mettre. C’est décidé, je me lance ! Et vous ?
Jetzt geht’s los!