Depuis l’été 2021, la nouvelle carte nationale d’identité est plus petite et pratique. Elle est surtout bilingue ! Pour la première fois, les Français auront une carte d’identité en français et en anglais. Surname, given names, nationality, date of birth… Un changement symbolique dans la présentation du document qui pourrait paraître anecdotique. Et pourtant, le gouvernement semble peu à peu rompre avec sa longue tradition de monolinguisme. « À chacun son métier », pensait-on autrefois. Les hommes politiques français font de la politique en français. Les langues étrangères ? Pendant longtemps, elles restent réservées aux traducteurs et interprètes, intermédiaires incontournables des réunions internationales. Mais les choses ont changé. Comment les langues étrangères ont-elles fini par devenir essentielles aux nouvelles générations politiques ?
Emmanuel Macron, le premier président français qui parle anglais ?
Un président français qui parle anglais ? Pour celles et ceux qui se souviennent de la colère de Jacques Chirac à Jérusalem, la situation peut prêter à sourire. En adressant son « Sorry for the time » à Hilary Clinton en visite à Paris sous la pluie, Nicolas Sarkozy confond le temps qui passe (time en anglais) avec celui qu’il fait quand on regarde par la fenêtre (weather). À l’inverse, Emmanuel Macron est apprécié, en France comme à l’étranger, pour ses efforts en anglais. Sa prononciation est claire et son vocabulaire plutôt étendu. S’il ne cache pas son origine française, l’accent anglais d’Emmanuel Macron n’est pas trop prononcé. À mi-chemin entre l’accent britannique et l’accent américain, il est qualifié de Mid-Atlantic accent.
Pour autant, soyons honnêtes. Le multilinguisme sur la scène politique française n’est pas si nouveau que cela. Jacques Chirac parlait russe dans sa jeunesse et aurait même réalisé sa propre traduction d’Eugène Onéguine, roman phare du poète Pouchkine. Quant à Charles de Gaulle, s’il s’exprimait très mal en anglais, il parlait allemand. Lors de ses grands voyages officiels à l’étranger, il avait même pour habitude d’apprendre quelques mots par cœur (souvent phonétiquement) pour s’adresser dans la langue du pays. De Laurent Fabius à Dominique de Villepin en passant par Christine Lagarde, on peut trouver des exemples d’hommes et de femmes politiques qui parlent anglais.
Ce qui change avec les nouvelles générations politiques, c’est cette approche décomplexée. La pratique des langues étrangères, en particulier de l’anglais, est plus répandue et se fait ouvertement. Les Français savaient-ils que Christine Lagarde parlait anglais avant qu’elle ne devienne directrice du FMI en 2011 puis présidente de la BCE ? Les compétences linguistiques de la femme politique étaient restées discrètes lors de ses années passées au ministère du Commerce Extérieur, au ministère de l’Agriculture puis au ministère de l’Économie. Sûrement parce qu’il n’était pas nécessaire de l’afficher pour de telles fonctions. Pourtant, pour Emmanuel Macron, communiquer en anglais était déjà pertinent lorsqu’il était ministre de l’Économie. Emmanuel Macron n’est peut-être pas le premier président français à parler anglais. Mais il est le premier à être suffisamment à l’aise pour le montrer avant même son investiture.
Pourquoi la politique française se met-elle à l’heure anglaise ?
D’ailleurs, la politique française se met-elle vraiment à l’heure anglaise ? Avec qui cherche-t-on vraiment à communiquer ? Londres, Washington ou simplement le reste du monde ? Et est-ce toute la politique française qui se met à parler anglais ? Qui sont ces nouvelles générations politiques à l’aise avec les langues étrangères ?
Pour la plupart, ces hommes et femmes politiques qui maîtrisent l’anglais ont la trentaine ou la quarantaine. Plus rares sont ceux de la cinquantaine à afficher leurs compétences linguistiques. C’est le cas de Yannick Jadot. Pour comprendre comment l’anglais s’est imposé aux nouvelles générations politiques, il faut s’intéresser à la société française dans son ensemble. Car avant de progresser dans le paysage politique, l’anglais a d’abord progressé dans la société française.
Le renouvellement générationnel de la classe politique, ce n’est pas seulement des politiciens plus jeunes. Il s’agit avant tout d’une génération plus habituée à voyager à l’étranger et à consommer la culture en VO. Aujourd’hui, nombreuses sont les personnes à se lancer en politique suite à une reconversion professionnelle. La politique en tant que telle n’est donc pas leur spécialité de toujours. Certains sont des cadres haut placés du secteur tertiaire qui ont fait carrière… avant d’accéder à des responsabilités politiques, parfois parmi les plus prestigieuses du pays. C’est le cas d’Emmanuel Macron. Parler anglais quand on est homme politique, plus encore à la tête d’un pays, c’est parler la langue universelle du business et de la modernité pour mieux séduire.
La pratique de l’anglais avec les nouvelles générations politiques s’accompagne d’ailleurs d’un autre phénomène, parfois critiqué : les anglicismes. Start-up nation, impacter, implémenter, faire sens, déceptif… L’usage du franglais se généralise. Seule exception au pays de « la » Covid : le mot confinement (et ses variants déconfinement, confiner et déconfiner) a été préféré au mot lockdown. Ce n’est pas le cas en Italie, par exemple.
Quelles autres langues étrangères pour les nouvelles générations politiques ?
Hors de l’anglais, point de salut ? La plupart du temps, les hommes et femmes politiques qui parlent une langue étrangère autre que l’anglais affichent fièrement une double culture. C’est le cas de Manuel Valls et d’Anne Hidalgo (de son vrai nom Ana María Hidalgo Aleu), qui parlent tous les deux couramment espagnol. Parfois, il s’agit de circonstances professionnelles. Laurent Wauquiez, qui a travaillé plusieurs mois à l’ambassade de France au Caire, a avancé plusieurs fois avoir des notions d’arabe.
Après l’anglais, on pourrait penser que l’allemand serait la deuxième langue étrangère maîtrisée en politique française. Et c’est d’ailleurs plutôt vrai. Mais contrairement à l’anglais, l’allemand ne possède pas cette dynamique internationale. Elle parle à un pays – une poignée, si on ajoute l’Autriche et la Suisse – mais pas au monde entier.
Parmi les hommes politiques français qui parlent allemand, la plupart ont plus de 60 voire 70 ans : Dominique Bussereau, Jean-Marc Ayrault, Michel Barnier, Dominique Strauss-Kahn… Parmi les germanophiles et germanophones les plus jeunes, on trouve Bruno Le Maire et Édouard Philippe. Le premier possède une licence d’allemand, le second a passé son bac à Bonn. À l’époque, le père d’Édouard Philippe était proviseur du lycée français de la capitale de la RFA. Citons aussi Fleur Pellerin, qui parle couramment allemand (elle a eu son Abitur à 16 ans) en plus de l’anglais et de ses notions de japonais et de coréen.
À quoi ressemble la situation à l’étranger ? Si Vladimir Poutine parle allemand, ayant travaillé comme officier du KGB en Allemagne de l’est, il préfère utiliser des interprètes. De même, Angela Merkel parle russe. Elle a grandi et étudié en RDA, à une époque où l’apprentissage du russe comme langue étrangère restait la norme. Et pourtant, elle ne l’emploie jamais avec son homologue russe. Pourquoi ne pas pratiquer une langue étrangère que l’on maîtrise ? Pour les anciennes générations politiques, parler une langue étrangère représente toujours un risque. C’est se mettre en danger et risquer les malentendus et les mauvaises interprétations – voire se montrer ridicule, vulnérable et fragile. Ce risque existe toujours mais il est accepté. Les nouvelles générations politiques n’ont plus peur de parler anglais. Plus qu’un changement de langues, c’est un changement de vision et d’approche de la communication qui est à l’œuvre.