En Europe, le grec ancien et le latin sont enterrés depuis des siècles. En tant que langues vivantes, en tout cas. Elles ont donné naissance à d’autres langues, notamment le grec moderne, l’italien, l’espagnol, le français, et cætera. Malgré ce statut de langues mortes, elles sont encore proposées à l’apprentissage en option dans les collèges de France et de nombreux autres pays – malgré une popularité déclinante. Tandis que l’intérêt pour l’anglais, l’espagnol ou le chinois est aujourd’hui indéniable, y a-t-il a contrario une utilité à apprendre les langues mortes ? A priori, aucune, non ?
Les langues mortes, c’est quoi ?
Il est toujours bon de rappeler les choses simples. On désigne par langues mortes les langues qui cessent d’exister de facto car elles n’ont plus aucun locuteur natif. On les oppose logiquement aux langues vivantes. Les langues mortes les plus connues en Occident sont grosso modo le grec ancien et le latin pour les influences qu’elles ont eues et continuent d’avoir sur notre culture. Ce sont celles qui nous intéressent tout particulièrement dans la suite de cet article. Mais nous aurions pu en citer beaucoup d’autres, telles que l’égyptien ancien, le gaulois, le vieux norrois ou encore le vieux slave.
À quoi bon apprendre une langue morte de nos jours ?
Les initiés le savent : aujourd’hui, il est essentiel d’apprendre à parler anglais. De cet impérieux besoin d’apprendre naît l’intérêt pour apprendre d’autres langues vivantes. Mais quid du latin et du grec ancien ? Est-ce une perte de temps d’apprendre une langue morte de nos jours ? Que nenni ! Voici 6 raisons d’apprendre le grec ou le latin aujourd’hui.
α. Pour mieux comprendre le français
Pour les francophones, apprendre le grec ou le latin permet a minima de mieux connaître sa propre langue maternelle. On peut alors comprendre l’origine de nombreux mots, le sens caché de ses racines. C’est l’étymologie. Par exemple, le mot grec bios (pour vie en français) a donné « biographie », « biologie », « biodiversité » et même « antibiotique ». En latin, le mot extra (pour au-delà) nous a légué les mots tels qu’« extraordinaire », « extraterrestre » ou « extraverti ». Son antonyme se retrouve lui encore dans les mots « intraverti » ou « intranet » par exemple.
β. Pour apprendre une langue néo-latine
Pourquoi le français, l’italien, l’espagnol et le portugais se ressemblent-ils autant ? Car ils dérivent tous du latin. Le latin, c’est le nec plus ultra pour apprendre plus rapidement une langue néo-latine. Y compris le roumain ! Si on l’oublie souvent, c’est pourtant la langue néo-latine qui est restée la plus proche du latin.
γ. Pour apprendre une langue d’une autre famille
Grâce aux langues mortes, vous pourrez même apprendre plus facilement une langue d’une famille plus large : les langues indo-européennes. Elles regroupent notamment les langues latines, germaniques et slaves. Le grec ancien est évidemment utile pour apprendre le grec moderne. Mais également le russe ou le bulgare, l’alphabet cyrillique possédant de nombreux points communs avec l’alphabet grec. Par ailleurs, en apprenant le latin on se familiarise avec les déclinaisons, ce qui représente un avantage considérable lorsqu’on apprend l’allemand ou encore le russe. Parmi les langues néo-latines, seul le roumain a conservé ce système sous une forme largement simplifiée.
δ. Pour apprendre toute autre chose
Si les sciences vous intéressent, les langues mortes vous donneront un accès privilégié à certaines connaissances. De plus, elles facilitent grandement l’étude de la médecine, des mathématiques et du droit. Elles sont également utiles si vous aimez la mythologie grecque ou romaine, ou si vous souhaitez simplement étoffer votre culture générale.
ε. Pour s’intéresser à l’histoire
Pour un francophone, apprendre le latin c’est s’intéresser à ses origines et son patrimoine linguistique et culturel. L’importance de la culture, c’est d’ailleurs ce qui justifie l’apprentissage du grec ancien en France, dont la langue nationale ne dérive pas directement. Pourtant, l’héritage grec est bien présent sur le plan culturel et politique.
ζ. Pour le simple plaisir d’apprendre
La société actuelle adule l’anglais, langue internationale par excellence et omniprésente. On se refuse parfois à déterrer les langues mortes, au profit des langues « utiles ». Mais est-ce une raison suffisante pour ne pas prendre le temps d’enrichir ses connaissances ? Avoir ne serait-ce que quelques bases de latin ou grec ancien aujourd’hui, c’est aussi prendre du recul sur le monde actuel. S’offrir le droit d’oser penser différemment. Porter le titre de latiniste ou d’helléniste, c’est prendre de la hauteur face au consensus social dans lequel tout le monde baigne plus ou moins consciemment.
La sensibilisation aux langues mortes : un combat bien vivant
Loin d’être une simple question historique, la défense des langues mortes est un enjeu bien actuel. Toutes les deux semaines, une langue meurt. 2 000 langues sont ainsi menacées de disparition. La mort d’une langue partage de nombreux points communs avec celle d’un être humain. Elle est naturelle et inévitable – presque banale, pourrait-on dire. Elle a pourtant toujours quelque chose de tragique, quel que soit son âge ou son vécu. La mort d’une langue, c’est la mort d’une vision du monde, d’une culture, et par extension d’une part de notre humanité. L’apprentissage du grec et du latin est donc une condition sine qua non à la préservation de notre patrimoine. C’est d’ailleurs l’objectif d’initiatives de sauvegarde des langues telles que le Living Tongues Institute for Endangered Languages, The Rosetta Project et Aikuma.
In fine, souhaitons encore de beaux jours à l’apprentissage des langues mortes ! Dire que les langues mortes sont sans intérêt revient à dire qu’il est inutile d’être cultivés, de connaître notre passé, de savoir d’où nous venons et où nous allons… et a fortiori d’apprendre des langues vivantes. Qui oserait dire ça ? Certainement pas nous !