Il y a deux façons de découvrir le monde. On peut voyager pour voir des monuments et admirer le paysage. Ou on peut voyager pour ressentir de nouvelles émotions, s’enrichir d’une culture différente, faire l’expérience de la vie ailleurs… bref, sortir de sa zone de confort. Alors, le voyage n’a plus rien à voir avec un lieu. L’expérience devient plus importante que l’endroit. Et pour cela, rien de mieux que parler la langue du pays !
Je ne conçois pas ma vie sans voyages. Ma vie tourne autour du voyage et des langues. Certains de mes périples m’ont marqué plus que d’autres. Un road trip de Naples à Bari, une expédition en Transylvanie, un aller-retour en Transsibérien en hiver… Quel point commun unit toutes ces aventures ? S’enthousiasmer en italien, entamer une conversation en roumain, consolider son russe autour d’une tasse de thé : bref, ne pas avoir sa langue dans sa poche ! Parler la langue du pays sans retenue a toujours décuplé mes impressions de voyages. Parler avec des fautes parfois, parler avec hésitation souvent, mais parler quoiqu’il arrive. Et rendre ainsi son voyage unique et mémorable. Peut-on vraiment tomber amoureux d’un pays, de sa culture, et surtout de sa langue ? J’en étais convaincu, j’en suis maintenant l’exemple vivant. Mais laissez-moi vous raconter ma propre expérience.
Comment je suis tombé amoureux de la langue turque ? Tout a commencé il y a quelques années, lorsque je suis parti pour la première fois à Istanbul – un voyage que j’attendais depuis longtemps. Les bazars colorés, les colonies de minarets sur les collines, les pêcheurs du Bosphore, les verres de thé noir sur les terrasses ombragées… Partout, les coups de cœur se sont multipliés.
J’avais bien sûr appris quelques rudiments de turc pour faciliter la communication dès mon arrivée. Je me promenais un peu au hasard dans les ruelles de cette ville fascinante quand la vitrine d’un épicier turc retint mon attention. Ou plutôt celle de mon estomac, à vrai dire. Et ma langue n’a pas tardé à se délier. Le jeune homme derrière le comptoir ne parle pas un mot d’anglais et se met à me poser des questions en turc tandis qu’il me sert quelques baklavas. Rassemblant mes faibles connaissances de la langue turque, je lui réponds :
« Je suis Français. (Ben fransızım)
— Paris, c’est magnifique ! (Paris çok güzel!)
— Istanbul, c’est magnifique ! (İstanbul çok güzel!)
*marque une pause de quelques secondes pour livrer laborieusement cette phrase en kit*
— Moi ici 5 jours. Istanbul, c’est grand ! (Ben burada 5 gün. İstanbul büyük!)
— Oui. C’est petit Paris ? (Evet. Paris küçük?)
— Non. Paris, c’est grand. (Hayır. Paris büyük.) »
Je souris bêtement, ayant épuisé pratiquement toutes mes ressources. Quelle frustration de ne pas pouvoir approfondir la discussion par manque de vocabulaire ! Pourtant, je ne suis pas ressorti abattu mais motivé de cet échange. C’est comme si les baklavas avaient pris une autre saveur grâce à ces quelques mots. Un an plus tard, j’étais de retour en Turquie. Cette fois, sur la Côte égéenne et avec un niveau de turc plus avancé.
La nuit est déjà tombée quand mon train arrive en gare de Denizli, quelque 600 km au sud d’Istanbul. Sur le quai, deux étudiants turcs m’attendent avec une pancarte où il est inscrit en français « Bienvenue Arnaud ». Je souris. C’est chez eux que je serai hébergé ce soir. Pour la première fois, j’ai décidé de tester le couchsurfing, qui permet de découvrir le monde en étant accueilli chez l’habitant. La légendaire hospitalité des Turcs n’est pas qu’un mythe, je m’en rends vite compte. Nous écoutons de la musique sur le balcon de leur appartement cosy avec vue sur les montagnes au loin. Ils sont fiers de me montrer qu’ils connaissent Zaz et Indila. Moi, je leur parle de ma passion récente pour Mabel Matiz et Yusuf Güney, qui m’ont aidé à apprendre leur langue.
Après mon magnifique premier séjour à Istanbul, je me suis en effet découvert une fascination profonde pour la chantante langue turque. J’en suis même tombé amoureux ! Si bien que ce soir, nous échangeons quelques phrases en turc tandis que je leur enseigne un peu de français. À force de clips musicaux, de sourires et d’ayrans (une boisson lactée salée), la barrière de la langue va bien finir par céder. Et en effet, elle cède. Nous mangeons, dansons, chantons et parlons jusqu’au bout de la nuit. Je suis chez eux et je me sens chez moi. À cet instant, je n’en ai pas encore conscience mais quelque chose de nouveau vient de germer en moi. Il ne faudra pas plus de quelques mois pour assister à l’éclosion.
Le lendemain, nous partons ensemble à Pamukkale, qui, je le sais désormais, veut dire « château de coton » en turc. Sur le trajet qui nous mène jusqu’à Hiérapolis, sublime cité antique, nous continuons donc à parler turc. Mes connaissances restent limitées mais je me sens de plus en plus proche de la culture du pays. Je viens de vivre une expérience intense et merveilleuse. Et je suis sûr que le turc y est pour quelque chose !
Très – trop ? – vite, je dois pourtant laisser mes hôtes et continuer ma route. Une fois encore, la nuit est déjà tombée quand mon train arrive à Izmir. Le voyage a été une succession de paysages baignés de soleil, de mosquées majestueuses et de villages pleins de vie. Par moment, la voix du haut-parleur qui annonce un arrêt me coupe de ma rêverie. Mon nouvel hôte m’attend à la gare. Lui aussi est un jeune étudiant, en linguistique qui plus est : il parle turc, anglais et français. Quel heureux hasard ! Nous discutons toute la soirée en passant d’une langue à l’autre. Notre conversation nous ramène immanquablement vers notre passion commune : les langues. Malheureusement le lendemain, après une courte visite d’Izmir, vient déjà le temps du départ. À peine parti de Turquie, je suis déjà nostalgique. Çok üzgünüm!
Aujourd’hui encore, je ne peux m’empêcher de repenser à ce séjour avec une certaine nostalgie. Il fut le premier de ce genre à me faire réellement ressentir les bienfaits des langues en voyage. Je ne suis pas seulement tombé amoureux de la Turquie. Je suis aussi, et peut-être même avant tout, tombé amoureux de sa langue et de son peuple. Deux mois plus tard, je traversais la Transylvanie en train, mobilisant à la moindre occasion mes notions de roumain. Deux autres mois plus tard, je pris une décision importante sur la base de ces expériences. Celle de quitter mon travail de bureau pour prendre la route et me consacrer pleinement à ma passion. En Turquie je suis tombé amoureux de la langue, de toutes les langues même, et cette étincelle ne m’a jamais quitté. Depuis un an et demi, désormais reconverti en nomade digital/rédacteur/traducteur, je parcours la planète à la recherche de nouvelles sensations. Les langues et les voyages : la voilà ma passion, la voilà ma vie.