La nuit vient de tomber sur la vallée. La cité est plongée dans l’obscurité. Au sommet de la pyramide, à l’intérieur du temple, le prêtre incise la poitrine du prisonnier de guerre pour y faire danser les flammes. Demain, le soleil brillera plus fort que jamais. Il a la peau bleue, parsemée de plumes de colibri. Dans sa main, il tient un sceptre en forme de serpent. Tous les 52 ans, il exige un sacrifice humain pour éviter la mort du soleil. En langue aztèque, il s’appelle Huītzilōpōchtli.
Dans la mythologie aztèque, Huītzilōpōchtli est le dieu de la Guerre et du Soleil. C’est lui aussi qui ordonna à son peuple de construire une cité là où ils rencontreront un aigle, ailes déployées, posé sur un figuier de Barbarie, un serpent dans le bec. Le 26 juillet 1325, la prophétie se réalise dans un marécage tout sauf accueillant. Tenochtitlan, futur Mexico, est fondé. Aujourd’hui, l’image est figée à jamais au centre du drapeau mexicain.
La Mésoamérique, une mosaïque civilisationnelle
Mayas, Aztèques, Olmèques, Zapotèques, Huaxtèques… En Mésoamérique (actuels Mexique, Guatemala, Belize et une partie du Salvador, du Honduras et du Nicaragua), les civilisations précolombiennes sont d’une grande diversité : elles reflètent différentes époques, croyances et régions. Par exemple, les Olmèques couvrent une ère de 2000 ans (de 2500 à 500 av. J.-C.) principalement dans les États du Chiapas et d’Oaxaca.
L’Empire des Aztèques a quant à lui dominé la partie centrale du Mexique sur une période plus courte de trois siècles (de 1200 jusqu’à l’arrivée des conquistadors). De la resplendissante cité de Tenochtitlan subsistent les vestiges du Templo Mayor près de la cathédrale métropolitaine de Mexico. Quant à la civilisation maya, à l’origine des impressionnantes pyramides de Tikal (et d’une panique collective le 21 décembre 2012), elle aura rayonné pendant plus de quatre millénaires, de 2600 av. J.-C. jusqu’au début du XVIe siècle, quand la Nouvelle-Espagne est proclamée.
Avec les pratiques agricoles et les codes architecturaux, la langue est l’un des critères utilisés pour différencier les civilisations précolombiennes. Parmi les nombreuses langues amérindiennes, intéressons-nous plus particulièrement aux langues mayas et aux langues aztèques !
Les langues mayas au Mexique
La « langue maya » n’existe… pas : il existe en fait 29 langues mayas différentes ! Les principales sont le quiché (1 à 2 millions de locuteurs), le q’eqchi’, le tzotzil, le mam, le cakchiquel (500 000 locuteurs chacune) et le tzeltal (400 000 locuteurs). Elles dériveraient toutes du proto-maya, dont l’existence supposée remonte à 4000 ans. Aujourd’hui, ces langues s’écrivent à l’aide de l’alphabet latin. Mais à l’origine elles utilisaient des dessins et des symboles. Un peu comme les hiéroglyphes de l’Égypte antique. On retrouve l’écriture maya traditionnelle sur les temples et les pyramides des sites archéologiques. Les quatre codex restants, feuillets rédigés sur du papier d’amate, sont précieusement conservés à Mexico, Madrid, Paris et Dresde.
Contre toute attente, les langues mayas ont plutôt bien résisté à l’hégémonie de l’espagnol. Bien mieux que la plupart des langues amérindiennes des États-Unis et du Canada face à l’anglais et au français. À part une poignée comme le navajo, la plupart d’entre elles ne comptent plus que quelques centaines ou dizaines de locuteurs !
Pendant longtemps, les populations autochtones ont pourtant été dénigrées et stigmatisées au Mexique. Perçue comme archaïque et non civilisée, la culture maya a dû attendre les dernières décennies pour être valorisée et protégée. En partie grâce à la renaissance touristique de sites archéologiques comme ceux de Chichén Itzá, Uxmal ou Palenque.
Aujourd’hui, sur les 5 à 6 millions de locuteurs mayas recensés au Mexique, environ 1 million sont des locuteurs dits exclusifs — c’est-à-dire parlant uniquement une langue maya — et ne parlant donc pas espagnol !
La langue du serpent à plumes
Le nahuatl est une langue uto-aztèque. 1,5 million de Nahuas la parlent, ce qui représente près de 80 % du nombre total de locuteurs de cette famille linguistique. Avant l’arrivée des Hispaniques en Amérique du Nord, il s’agissait d’une des principales langues du continent. Son influence commerciale et diplomatique était telle qu’il est possible de la comparer à celle de l’anglais aujourd’hui.
Là où d’autres langues et dialectes étaient pratiqués, le nahuatl servait de langue véhiculaire. Puis, comme toute autre langue, le nahuatl a évolué. Cinq siècles après la conquête espagnole, cette macro-langue comprend quatre variétés régionales avec des différences de grammaire, de vocabulaire et de prononciation :
— le nahuatl central, concentré autour des États de Puebla, Tlaxcala et Guerrero ;
— le nahuatl oriental, concentré à Veracruz et Tabasco ;
— le nahuatl occidental, concentré dans les États de Michoacán et Colima ;
— le nahuatl huastèque, concentré dans les États de San Luis Potosí et Hidalgo.
On pourrait penser que la diffusion de la langue de Cervantès a contribué à la disparition du náhuatl. Mais ce n’est pas tout à fait le cas au début de la conquête. Au contraire ! En déplaçant les indigènes dans des régions où ils n’étaient jamais allés, les missionnaires espagnols ont étendu la zone d’influence du nahuatl.
Plus encore, la langue des Aztèques a eu un impact notable sur des langues du monde entier. À commencer par le mot chocolat qui vient du nahuatl chocolātl ! Sjokolade en norvégien, çikolata en turc, çokollatë en albanais, шоколад (« chocolade ») en russe, sôcôla en vietnamien… Quelle langue n’a pas adopté cette racine aztèque ? Les Aztèques nommaient ainsi une boisson élaborée à partir de poudre de cacao et que l’on pourrait traduire littéralement par « eau amère ». Ils la buvaient avec du piment et lui attribuaient des vertus aphrodisiaques. L’Empereur pouvait en consommer plusieurs dizaines de fois par jour !
Le nahuatl a exporté un large lexique gastronomique avec d’autres mots comme āhuacatl qui a donné avocat, cacahuatl qui a donné cacao, tlālcacahuatl qui a donné cacahuète ou encore tomatl qui a donné tomate.
N’oublions pas que le Nouveau Monde était aussi un nouveau monde… de saveurs ! Certains animaux sauvages doivent aussi leur appellation au nahuatl. C’est le cas de l’ocelot, ocelotl signifiant « jaguar » en náhuatl, et du coyote (de coyotl). Le mot aztèque lui-même vient d’Aztlan, une île de la mythologie aztèque. Il en va de même de l’étymologie des noms de pays Mexique et Guatemala, issus de Mēxihco et Coactlmoctl-lan. Ils signifieraient respectivement « nombril de la lune » et « pays de l’oiseau qui mange des serpents ». Si l’art de la guerre n’était pas étranger aux Aztèques, apparemment celui de la poésie non plus !