À l’occasion d’Halloween, nous nous sommes intéressés aux mots qui font peur. Ces mots effrayants qui évoquent des monstres issus du folklore des contes et légendes, ceux que l’on utilise pour décrire ou exprimer un sentiment d’angoisse, ou encore, les expressions idiomatiques utilisées pour (se) faire peur… Les langues mortes et vivantes ont toujours fait preuve d’une inventivité remarquable pour parler des craintes et des angoisses, rationnelles ou non.
À rechercher des mots effrayants dans les langues du monde entier, on s’aperçoit très vite d’un fait amusant : à peu près toutes les langues du monde ont, un jour ou l’autre, inventé quelque chose pour faire peur aux enfants qui ne sont pas sages. Bien que la définition du « bon comportement » que doit avoir un enfant varie d’un bout à l’autre du monde, il semblerait que les parents aient toujours eu besoin d’avoir un épouvantail à opposer à leur progéniture lorsque celle-ci commençait à être agaçante : croque-mitaine, Grýla, Mare…
Voici donc une liste complémentaire à celle que nous avons déjà écrite sur les alter ego du Boogeyman (croque-mitaine). Des mots qui font peur lorsqu’on en parle, et d’autres mots qui, eux, parlent de la peur.
👻 Les monstres les plus effrayants 👻
1 / Le Bicho-papão (Portugal)
Le Bicho-papão est un monstre imaginaire connu de tous les enfants portugais, même s’il apparait également dans certaines provinces espagnoles comme la Galice, les Asturies ou encore la Catalogne.
Le Bicho-papão est un être malfaisant qui reste en permanence tapi dans l’ombre, aux aguets. Le seul moment où il apparait ? Lorsqu’il sent la présence d’un enfant méchant : il prend alors la forme d’un esprit, d’un animal monstrueux, d’un fantôme, ou d’un être vivant maléfique, pour manger l’enfant en question… avec du ketchup.
Le mot papão vient de l’expression « papar » (manger, dévorer) tandis que bicho signifie une bestiole, un animal, un insecte. Littéralement, le Bicho-papão est donc un « dévoreur de bestiole ».
2 / La Grýla (Islande)
Les Islandais, pour faire peur à leurs enfants, racontent de nombreuses histoires sur Grýla, une horrible géante qui vit dans les montagnes. En effet, celle-ci possède deux caractéristiques bien utiles : une ouïe très développée qui lui permet de repérer les enfants qui ne sont pas sages ; et un appétit sans fin pour le ragout d’enfants méchants. Et, pour son plus grand bonheur, la légende dit que l’ingrédient principal de son plat préféré ne vient jamais à manquer. La société islandaise aimant les paradoxes, la Grýla est également la mère des Lads Yule, l’équivalent local du père Noël.
La figure de la Grýla a traumatisé tellement d’enfants qu’en 1746, un décret public a interdit aux parents de raconter cette histoire et d’entretenir la légende. Heureusement, il semblerait que cela n’ait pas fonctionné.
3 / La Came-cruse (Gascogne)
La came-cruse est une version gasconne du croque-mitaine, mais particulièrement effroyable : il s’agit d’une jambe — oui, juste une jambe — qui se balade dans la nuit, avec un œil sur le genou. Elle apparait sans crier gare (puisqu’elle est dénuée de bouche), surgissant de nulle part, pour emporter et dévorer à peu près n’importe qui. Personne ne sait vraiment comment la came-cruse s’y prend pour se sustenter (avec la plante du pied ?) Avec le moignon de la cuisse, car les scientifiques ayant voulu approcher la créature ne sont jamais revenus. Néanmoins, si, un jour, vous croisez le chemin d’une jambe qui sautille gaiement dans la nature : fuyez.
4 / La Goulue (Gascogne)
Dans un conte de Gascogne recueilli par Jean-François Bladé, la Goulue est le surnom donné à une jeune fille qui aimait un peu trop la viande, qu’elle mangeait crue et en grandes quantités, entrant dans une colère dantesque chaque fois qu’elle en était privée. Un jour, ses parents partent faire des emplettes à la ville ; la Goulue, naturellement, leur demande de ne pas oublier de rapporter de la viande. Mais, sur le chemin du retour, les parents se rendent comptent qu’ils ont bel et bien oublié d’acheter de la viande ; afin de ne pas avoir à subir une nouvelle colère homérique de leur fille, ils vont dans un cimetière, y déterrent un mort, lui coupent la jambe, et l’apportent à leur fille. Fidèle à ses habitudes, elle la mange crue, appréciant même son goût faisandé.
Évidemment, le mort mécontent vient réclamer sa jambe à la Goulue. Comme celle-ci ne peut lui rendre ce qu’elle a déjà ingurgité, le mort emporte la Goulue avec lui dans sa tombe, où il la dévore à son tour… avec de la mayonnaise.
5 / La Mare (Scandinavie et pays anglo-saxons)
Une Mare est une entité malfaisante qui existe depuis les premiers siècles après Jésus-Christ : le mot viendrait d’ailleurs du vieil anglais (mære), à moins qu’il ne vienne du vieux néerlandais (mare) ou du vieux norrois (mara), qui fut la première langue scandinave écrite.
Dans tous les cas, la Mare est toujours une entité féminine maléfique qui chevauche le ventre des gens lorsqu’ils dorment, apportant les mauvais rêves ou cauchemars (night”mare“). Le mot apparait d’ailleurs dans toutes les variantes nordiques du mot « cauchemar » :
- En suédois, « mardröm » signifie littéralement « rêve de mara »
- En norvégien, « mareritt » signifie « chevauchée de mara »
- En danois, « mareridt » se traduit également par « chevauchée de mara »
- En islandais, « martröð » signifie « rêver de mara »
On retrouve la trace de la Mare dès l’Ynglingatal (fin du Xᵉ siècle) et la Saga des Ynglingar (1 225). Mais il est probable que le terme existe depuis bien plus longtemps.
De façon plus anecdotique, la Mare est connue pour monter à cheval, épuiser ses montures, et emmêler les cheveux de ses victimes pendant la nuit. Ainsi, le meilleur moyen d’échapper à la Mare serait de souffrir de calvitie… ou de dormir sur le ventre.
6 / Le Draugen (Suède)
Un Draugen est le fantôme d’un humain qui a péri en mer. Énorme, gonflé, couvert d’algues et marchant avec des rames de bateau en guise de béquilles, il pousse un cri effroyable lorsqu’il apparait, de préférence lors des nuits de tempête. Cherchant à semer naufrages et noyades dans son sillage, ses proies préférées sont évidemment les marins et les pêcheurs, mais également tous les promeneurs imprudents qui marcheraient au bord de l’eau, lorsque la mer est agitée.
Aujourd’hui, le mot draugen ne se réfère plus vraiment à la créature fantastique du folklore suédois. Il s’agit plutôt de tout ce que la mer et l’océan ont de mystérieux, mais avec une connotation angoissée, voire sombre.
7 / Le Krampus (Allemagne)
Le Krampus est une créature mythique anthropomorphe et munie de cornes, à moitié chèvre et à moitié démon. Il apparait dans de nombreux folklores européens, sous différents termes :
- Hans Trapp (Alsace)
- Rubelz ou Rupp Knecht (Lorraine germanophone)
- Père La Pouque (Normandie)
- Zwarte Piet (Pays-Bas)
- Knecht Ruprecht (Allemagne)
- Pelznickel (Rhin, Bavière, Autriche)
C’est autour des fêtes de Noël que le Krampus apparait le plus souvent : comme le Père Fouettard, il s’agit du double maléfique de Saint-Nicolas. Alors que ce dernier offre des cadeaux aux enfants qui ont été sages, le Krampus, lui, se charge de punir les enfants qui se sont mal conduits. Les origines de cette figure malfaisante ne sont pas connues, mais les spécialistes s’accordent à dire que l’existence du Krampus remonterait à l’ère pré-chrétienne.
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8 / Yuputka (Nicaragua)
En ulwa (une langue parlée par les 350 personnes d’un village du Nicaragua), « yuputka » fait partie de ses mots effrayants qui ne se rapportent pas réellement à un monstre, mais à un sentiment bien précis : sentir que quelque chose d’invisible est en train de ramper sur votre peau lorsque vous marchez, seul, dans la nuit, dans une forêt. Qu’il s’agisse d’une araignée, de la main d’un zombie, d’un fantôme, d’un serpent, ou de l’esprit d’une petite fille sordidement assassinée, cette sensation vous donne une chair de poule monstrueuse — la yuputka.
9 / Tsujigiri (Japon)
Comment ne pas ajouter Tsujigir à notre liste de mots effrayants ? Ce mot japonais se traduit littéralement par « meurtre à la croisée des chemins ». En effet, les Samouraïs (membres de la classe guerrière du Japon féodal) avaient une fâcheuse tendance à vouloir tester le tranchant de leur sabre et leur niveau d’escrime en allant, de nuit, au carrefour le plus proche de chez eux… Pour tuer la première personne qu’ils rencontreraient. Il s’agissait d’un phénomène tellement commun que les Japonais ont dû inventer un mot pour parler de cette habitude très spécifique. De nos jours, bien que les Samouraïs aient disparu, le terme Tsujigiri est toujours utilisé de façon métaphorique. Ou lorsque, la nuit, des Japonais se baladent dans une forêt sombre et que deux chemins se croisent subitement. Yuputka, es-tu là ?
10 / тоска (Toska, Russie)
Avec toska, il ne s’agit pas vraiment de peur, mais plutôt, d’angoisse existentielle. Un mot effrayant pour parler de toutes les raisons pour lesquelles vous pourriez faire une dépression : la nostalgie, la mélancolie, l’angoisse de la mort… Mais c’est Vladimir Nabokov qui en parle le mieux.
« Aucun mot en anglais ne rend compte de toutes les nuances de toska. À son niveau le plus profond et le plus douloureux, il s’agit d’une angoisse spirituelle très profonde, souvent sans cause précise. À un niveau moins lugubre, il s’agit d’une souffrance de l’âme, d’un désir vain, d’un épuisement maladif, d’une vague agitation, des affres de la mort, d’une nostalgie. » Vladimir Nabokov, commentaires à sa traduction d’Eugene Onegin (Aleksandr Pushkin)
11 / 横飯 (« Riz horizontal », Japon)
Le Yoko Meshi (横飯), littéralement traduit par « riz horizontal », est probablement le mot le plus effrayant de cette liste. Il ne s’agit pourtant pas d’une créature venue des abysses déguisée en grain de riz, mais d’une expression utilisée lorsqu’on avale son riz (meshi : riz cuit) de travers (yoko : horizontal, de travers, à côté). Effrayant ? Oui, et même effroyable, car « avaler son riz de manière horizontale » peut également se rapporter à la panique et l’angoisse que vous pouvez ressentir lorsque vous devez parler une langue étrangère. Il s’agit d’une référence au fait que le japonais s’écrit verticalement de haut en bas, tandis que toutes les autres langues (sauf le chinois) s’écrivent horizontalement.
Un sentiment que ressentent tous ceux qui apprennent une langue avec Babbel, le jour où il faut se lancer à l’eau !