Régulièrement, le dictionnaire choisit un mot nouveau. Pourquoi, vous demandez-vous ? Parce que le français est une langue vivante !
Au fil du temps, des mots naissent, d’autres disparaissent, certains se modifient ou changent de sens. Dans ce contexte évolutif, les principaux éditeurs de dictionnaires – Larousse, Le Robert et l’Académie française – doivent alors mettre à jour leurs ouvrages pour s’assurer que tous les termes utilisés par la population trouvent bien leur définition dans le dictionnaire. Et chose étonnante : vous ne trouverez pas les mêmes mots selon le dictionnaire choisi.
La raison ? Ces trois éditeurs possèdent des politiques éditoriales libres et indépendantes. En clair, cela signifie que chacun d’entre eux procède comme il le veut pour détecter et ajouter des mots nouveaux à son édition. Si Larousse et Le Robert se montrent plutôt ouverts à des termes comme « ubériser », « s’ambiancer » ou « troller » dans leurs colonnes, l’Académie française est quant à elle plus sélective, eu égard à sa mission de préservation de la langue française.
Alors, comment un dictionnaire choisit-il un mot nouveau ? Quels sont les principaux critères de sélection ? Nous allons tout vous expliquer !
La fréquence d’usage d’un mot est un critère essentiel
Heureusement pour nous, la cohérence linguistique constitue la priorité numéro 1 de chacun des éditeurs. Quand il choisit un mot à ajouter, l’objectif premier d’un dictionnaire est de faire écho à la réalité actuelle d’une langue, sans aucune discrimination. L’ajout d’un nouveau terme débute nécessairement par une veille de tous les instants. Chaque année, les linguistes et documentalistes de Larousse, Le Robert ainsi que ceux de l’Académie française analysent les produits culturels ou littéraires en circulation : livres, films, journaux, affiches, émissions… tout est passé au crible de leur regard expert.
Si les nouveaux termes identifiés sont relativement usités, ils sont soumis à un processus de vote. « Il ne faut jamais oublier que si un mot existe, c’est avant tout pour répondre à un besoin », explique Marie-Hélène Drivaud, directrice éditoriale du Grand et du Petit Robert. Chaque année, ses équipes de linguistes recensent la liste des nouveaux termes. « Nous nous réunissons ensuite en comité éditorial pour examiner cette liste et nous décidons de les ajouter ou non dans nos éditions », précise-t-elle.
Si on retrouve sensiblement le même procédé chez Larousse dont le dictionnaire est mis à jour chaque année, on se montre un peu plus prudent du côté de l’Académie française : « Il faut faire attention aux effets de mode. De notre côté, nous ne faisons entrer que les mots qui resteront malgré le temps », confie Patrick Vannier, agrégé de lettres et rédacteur au service « Dictionnaire » de l’Académie française.
Les anglicismes et le verlan… on prend ou pas ?
Parmi les termes qui font débat, les anglicismes occupent évidemment une place de choix. Ces termes empruntés à la langue anglaise visent à exprimer quelque chose en français… mais en anglais.
Avec la mondialisation des échanges et l’usage prédominant de l’anglais dans les relations commerciales, professionnelles et éducatives, ils sont dorénavant largement utilisés en français, malgré la résistance héroïque de nos cousins québécois.Il semble alors évident de considérer les anglicismes populaires quand on choisit un mot nouveau à ajouter au dictionnaire. D’ailleurs, soucieux de refléter au mieux la réalité d’une langue, les éditeurs privés n’hésitent plus à les insérer dans leurs dictionnaires.
Est-ce à dire que tout éditeur choisit toujours un mot venu d’une autre langue ? Non. A contrario, l’Académie française fait preuve de retenue. Le terme « big data » est bien présent dans les Petit Larousse et Petit Robert, mais on préférera parler de « mégadonnées » dans celui de l’Académie française. « Si un anglicisme possède un bon équivalent en français, il n’y a aucune raison de l’ajouter puisqu’il n’apporte rien de plus en matière de sens, justifie Patrick Vannier. En revanche, si aucun terme français n’est approprié pour exprimer cet anglicisme, nous pouvons tout à fait l’inscrire dans notre dictionnaire ».
Autres termes que nos amis les linguistes apprécient plus ou moins : les termes issus du verlan, qui consiste à inverser les syllabes d’un mot pour le prononcer à l’envers. Là aussi, si on trouve des termes comme « ripou » ou « zarbi » chez Larousse et Robert, il n’en sera pas de même dans le dictionnaire de l’Académie française. « Le verlan, c’est l’art de parler à l’envers. De facto, tous les mots sont prononcés à l’envers, mais ne changent pas de sens pour autant. Il n’est donc pas pertinent de les ajouter ».
Encore des mots, toujours des mots !
Saviez-vous que le vocabulaire français courant est constitué d’environ 60 000 mots ?
« On retrouve à peu près le même nombre de mots pour l’anglais, l’italien ou le chinois » détaille Patrick Vannier. Depuis une dizaine d’années, les linguistes observent néanmoins une inflation du nombre de mots produits par la langue française. « Cela s’explique notamment par l’accélération des découvertes, le développement des sciences et des technologies. Nous avons tout simplement plus de choses à nommer », souligne-t-il.
Pour vous donner un ordre de grandeur, la première édition du Dictionnaire de l’Académie française, éditée en 1694, proposait “seulement” 18 000 mots. Sa 9e édition – toujours en cours de rédaction – en recensera plus de 60 000… soit 25 000 mots de plus que dans la précédente édition, datée de 1935 !
Et puis, il n’y a pas que les mots qui évoluent : plus une langue est parlée, plus elle est susceptible de s’étoffer. De ce point de vue, la France est plutôt bien placée puisque la langue est parlée sur tous les continents par environ 274 millions de personnes. Cette progression suscite de nombreuses déclinaisons linguistiques locales ou régionales : le continent africain, le Québec ou la Suisse sont autant de producteurs de mots dont les termes sont utilisés par l’ensemble des locuteurs français. Une réalité à prendre en compte quand on choisit un mot nouveau à ajouter au dictionnaire.
D’après une enquête publiée par l’établissement bancaire Natixis, la langue de Molière deviendrait bientôt la langue la plus parlée dans le monde, devant l’anglais et le mandarin. En 2050, le français pourrait ainsi être parlé par 750 millions de personnes ! De là à supplanter l’anglais…