La linguistique n’est pas une science exacte. En matière d’étymologie, la rigueur est pourtant de mise. L’étymologie est l’étude du sens et de l’origine des mots. Ainsi, dire que le mot étymologie dérive du grec ancien, c’est faire de l’étymologie. Étymologiquement, ἐτυμολογία (etumología) est constitué des mots ἔτυμος (étumos) pour vrai et λόγος (lόgos) pour parole. L’étymologie, c’est donc la vraie parole. Mais parfois, l’étymologie de certains mots repose sur des légendes urbaines. Fausse étymologie : démêlons le vrai du faux !
Vrai ou faux sens des mots : qu’est-ce que l’étymologie populaire ?
L’étymologie populaire, aussi appelée pseudo-étymologie ou étymologie folklorique, désigne une fausse étymologie. Elle est souvent basée sur une croyance populaire non vérifiée ou réfutée. Et dans l’étymologie française, les légendes urbaines sont nombreuses. Vrai ou faux ? Place au debunk !
Vrai ou faux : L’étymologie populaire en 10 énigmes
❌ « Les soldats russes ont apporté le mot bistro en France »
À en croire La Mère Catherine, restaurant de la place du Tertre à Montmartre, ce sont les soldats russes qui ont apporté le mot bistro(t) à Paris. Sur la façade du restaurant, une vieille plaque du syndicat d’initiative du Vieux Montmartre l’affirme. « Le 30 mars 1814, les Cosaques lancèrent ici en premier leur très fameux bistro, et, sur la butte, naquit ainsi le digne ancêtre de nos bistrots. »
Mais quel rapport avec le russe ? Suite à la bataille de Paris de 1814, les troupes russes occupent la capitale. Un couvre-feu est imposé aux soldats. Pour pouvoir boire et manger rapidement avant l’heure fatidique, les Cosaques s’écriaient alors быстро! быстро! (bistro, bistro). En français ? Vite, vite ! Et le mot serait rester pour qualifier les petits cafés. L’histoire est amusante. La date de La Mère Catherine est même suffisamment précise pour convaincre. Pourtant, cette origine est une légende urbaine.
Alors, bistro vient du russe ? Vrai ou faux ? C’est sûrement faux. D’abord parce qu’il n’y a aucune preuve ni témoignage de cette pratique des soldats russes sous Napoléon. Ensuite parce qu’il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que le mot bistro commence vraiment à se populariser. La première trace écrite date de 1884 dans les Souvenirs de la Roquette de l’abbé Moreau. Notons aussi que le mot быстро se prononce approximativement « bistra » en russe (avec un a et non un o). Ce qui tend aussi à écarter cette théorie historique. Une autre explication fait dériver le mot bistro de certains régionalismes : bistraud, mastroquet ou bistroquet (domestique du marchand de vin).
✅ ❌ « Le verbe baragouiner vient des mots bretons pour pain et vin » (plus faux que vrai ?)
En 1870, au cours de la guerre qui oppose Français et Prussiens, les soldats bretons avaient du mal à se faire comprendre. Au moment de manger, ils baragouinaient les mots… bara et gwin ! En breton, bara veut dire pain et gwin, vin. À moins qu’ils disaient bara (pain) et gwenn (blanc). Bara gwenn ? Les Bretons auraient ainsi marqué leur étonnement face à la présence de pain blanc au menu. Depuis, la légende urbaine s’est imposée comme étymologie certaine. Mais rien n’est moins sûr. Vrai ou faux ? Les preuves historiques penchent vers le faux.
Trois siècles plus tôt, Montaigne utilisait déjà le verbe dans ses Essais. Il parle, dans le Livre II, d’un « livre basty d’un espagnol baragouiné en terminaisons latines ». Cinquante ans avant lui, Rabelais écrivait : « Mon amy je n’entends point ce barragouyn, et pourtant si voulez qu’on vous entende parlez aultre langaige » (Pantagruel, Livre I, chapitre IX). Si le mot semblait déjà vouloir dire « s’exprimer grossièrement, de manière incompréhensible », ses origines restent énigmatiques. Peut-être une certaine parenté avec le mot barbare, dérivé du grec ancien, pour désigner les étrangers non-grecs ? Le mystère demeure.
✅ « La macédoine de légumes tient son nom de la région du même nom »
Non pas qu’il s’agisse d’une des spécialités du pays – officiellement rebaptisé Macédoine du Nord. On parle ici de la Macédoine d’Alexandre le Grand. Un Empire multi-ethnique composé de divers peuples. Tout comme la macédoine est composée de légumes différents. La macédoine est parfois désignée sous le nom de « salade russe », autre métaphore culturelle et ethnique pour parler de cuisine.
✅ « Le mot bougie vient d’Algérie »
La ville de Béjaïa au nord de l’Algérie est réputée depuis le Moyen-Âge pour la qualité de sa cire. Utilisée dans la production de chandelles, cette cire devient si populaire en Europe qu’on lui doit l’origine du mot bougie. Rien à voir avec la fausse étymologie qui associe bougie au verbe bouger, d’après le mouvement de la flamme.
Béjaïa rejoint ainsi la longue liste des villes qui ont laissé leur nom à un mot du quotidien. Citons pour exemple la ville de Gruyères et la région de l’Emmental en Suisse. Quant au blue jeans, il dérive du bleu de Gênes (blu di Genova en italien) tandis que la toile de Nîmes a donné denim. Et les bouchons de liège viennent de Liège ? Vrai ou faux ? C’est faux. Ils sont simplement fabriqués en chêne-liège.
❌ « Le fainéant s’appelle comme ça parce qu’il fait néant »
C’est une déformation du mot feignant, que l’on retrouve encore dans quelques prononciations. Le fainéant, c’est donc celui qui feint, qui fait semblant (pour ne rien faire d’autre, justement). En revanche, le farniente dérive bien de far niente, « ne rien faire » en italien.
❌ « Le mot forcené vient de force »
Le forcené fait preuve d’une force folle. D’où le mot forcené. Vrai ou faux ? Faux. Forcené s’écrivait auparavant forsené, composé de deux racines latines : fors (hors) et sensus (sens). Un forcené a certes un comportement violent, mais c’est surtout une personne qui agit « hors du sens ».
✅ « Le mot péage n’a rien à voir avec le verbe payer»
En latin médiéval, le pedaticum était un droit seigneurial de « mettre le pied ». Il était perçu lorsqu’un piéton voulait traverser une route, un pont ou une rivière. Le mot a donné péage en français moderne, sans aucun lien donc avec le verbe payer.
❌ « Quel bec ! a donné Québec »
« Quel bec ! », ce serait écrié l’équipage de Jacques Cartier en approchant la Nouvelle France depuis la pointe de l’île d’Orléans. Au début du XVIIIe siècle, l’historien Bacqueville de la Potherie affirmait que le nom de la province québécoise y trouvait ses origines. En réalité, le Québec est plutôt un emprunt à l’algonquin, où le mot kebec signifie « détroit, passage étroit ».
✅ ❌ « Le mot mail est un anglicisme » (ni vrai ni faux ?)
« Je t’envoie le mail ASAP ! » Cette phrase, que les startupers doivent bien connaître, est un bel exemple d’anglicisme. Mais pas si vite ! Le mot mail, abréviation d’e-mail, a des origines françaises méconnues. Si mail veut dire courrier en anglais, il est issu de l’ancien français male. Au XIIe siècle, il s’agissait d’un sac en cuir qui servait justement au transport du courrier.
❌ « Le mot snob est né à Oxford »
Les étudiants d’Oxford sans ascendance noble auraient été contraints d’ajouter sine nobilitate (sans noblesse) à côté de leur nom. Une mention latine abrégée en s.nob. Ce qui ne les a pas empêché d’adopter les mêmes codes sociaux que leurs camarades aristocratiques. D’où, leur attitude snob. Et l’origine du mot. Alors, vrai ou faux ? Cette légende urbaine est surtout une belle illustration de rétroacronymie, fait d’attribuer à un mot une fausse origine d’acronyme ou de sigle. Gentlemen Only, Ladies Forbidden pour golf est un autre exemple.
BONUS – Vrai ou faux : On ne sait toujours pas d’où vient l’expression « OK » ?
C’est vrai. Deux petites lettres et pourtant le mot avec certainement le plus grand nombre d’étymologies populaires :
- Le chef d’entreprise Otto Kaiser auraient apposé ses initiales OK sur chaque colis, après vérification et avant expédition.
- « 0K », annotation utilisée par les marins britanniques pour 0 killed (zéro mort) serait devenu OK.
- Όλα Καλά (Ola Kala) signifie tout va bien en grec moderne. Des ouvriers grecs auraient popularisé cet usage aux États-Unis.
- Okay viendrait du français « Au quai ! », expression utilisée en Louisiane pour autoriser le dépôt des ballots de coton en bon état sur les bords du Mississippi.
Comme souvent avec les légendes urbaines, chacun y va de son avis !
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