Le français serait-il la plus moderne des langues romanes ? La question a de quoi susciter la polémique. Dans un précédent article, nous avions déjà noté quelques chtimilitudes entre le ch’ti et l’espagnol. Et si le ch’ti était tout simplement resté plus proche de l’ancien français et du latin que la langue nationale ? Une fidélité aux origines que l’on retrouve également en espagnol. Car certains archaïsmes, régionalismes et tournures littéraires de la langue française sont toujours bien vivants chez nos voisins européens. Italiens, Espagnols, Anglais et même Allemands et Roumains !
Attention ! Ce texte n’a (encore une fois) aucune valeur scientifique et ne doit pas être pris (trop) au sérieux !
Ancien français : de quoi parle-t-on ?
Au sens strict du terme, l’ancien français a perduré du VIIIe siècle jusqu’au XIVe siècle. Avec la Renaissance, les pièces de Molière et les Essais de Montaigne vient l’ère du moyen français. Il cède la place au français classique aux XVIIe et XVIIIe siècles, qui ouvre à son tour la voie au français moderne tel qu’on le parle de nos jours. Ancien français, moyen français et français classique, traditions orales et écrites : ce sont ces trois évolutions de notre langue, aujourd’hui tombées en désuétude, qui serviront de décor à notre enquête ludo-linguistique.
Héritages et déshéritages du latin
Sono, soy, sou, sunt… je suis ! D’emblée, il y a une chose qui frappe lorsqu’on compare le français aux autres langues romanes majeures. Notre langue n’omet pas le pronom personnel sujet. En tout cas, elle ne le fait plus. Car en ancien français, il était d’usage de dire simplement sui au lieu de je sui. Un héritage perdu du latin qui avait aussi tendance à s’alléger des pronoms (sum pour dire je suis). Étonnamment, les langues tendent à se simplifier au fil des siècles plutôt que d’alourdir leurs constructions. Mais à la différence de ses langues sœurs, le français ne permet pas toujours de distinguer le sujet à l’écrit (je dis, tu dis) et encore moins à l’oral (je dis, tu dis, il dit). On comprend alors mieux cette convention franco-française !
Revenons-en au latin. Cette langue morte a un point commun avec l’allemand, le russe et l’ancien français… mais pas le français moderne. Il s’agit des déclinaisons, ou cette terrible manie de changer l’aspect des mots selon leur fonction dans la phrase. Le système de cas de l’ancien français était relativement simple avec un cas sujet et un cas régime pour les autres fonctions. Et c’est tout ! On en trouve encore certaines traces, par exemple dans les formes je/me et tu/te. Mais aussi dans des mots comme gars/garçon et copain/compagnon dont les formes modernes expriment justement les oppositions entre nos anciens cas. Parmi les langues romanes, le roumain conserve encore un système de déclinaisons.
Des formulations littéraires d’antan
En 1668, Molière sort sa comédie en trois actes Amphitryon. Combien de Français pourraient aujourd’hui donner la définition de ce mot d’origine grecque ? À l’inverse, ce terme, comme beaucoup d’autres éléments du vocabulaire soutenu et littéraire français, fait partie du langage courant en espagnol. Un anfitrión dans la langue de Cervantès devient un hôte qui nous offre l’hébergement, une fois transposé dans la langue de… Molière, justement ! Citons d’autres exemples de mots tombés aux oubliettes en français mais pas en espagnol : sicaire/sicario (tueur à gages), cavalier/caballero (monsieur), oïr/oír (entendre), mander/mandar (envoyer)… que l’on retrouve d’ailleurs en portugais mais aussi en italien sous la forme mandare. Quant au verbe français vieilli occire (tuer), il dérive du latin occidere dont on reconnaît la racine dans l’italien uccidere.
Et s’il n’est pas très littéraire, un autre mot espagnol nous rappelle notre passé gaulois cette fois : cerveza (bière, ou cervoise). Tout comme cerveja en portugais. Notons aussi que le denier, monnaie de la Rome antique et ancienne subdivision de la monnaie française, subsiste à travers dinero, le mot espagnol pour argent. Nous voilà avec moult petits mots qui continuent de faire écho à l’ancêtre de notre langue… ou molto/molti et mult comme disent les Italiens et les Roumains !
Écriture, prononciation et expressions
L’ancienne écriture des mots roi et loi (roy, loy) n’est-elle pas très proche des mots rey et ley en espagnol ? La prononciation québécoise (roué, loué) serait d’ailleurs proche de celle de l’ancien français. L’intransigeance de la capitale française a fait que certains codes linguistiques, méprisés et rejetés, ont quasiment disparu. Le plus bel exemple est le r roulé. Encore bien répandu dans certaines régions de l’Hexagone jusqu’au XXe siècle, il est considéré comme un peu campagnard et ridicule par l’œil arrogant des citadins. Et pourtant, on s’extasie de la beauté de l’italien et de l’espagnol qui conservent cette prononciation classique et roucoulante du r !
Concernant les régionalismes, il a longtemps été courant d’appeler les gens par leur prénom avec article dans certains coins de France. Le Pierre, le Jean, la Simone, la Josiane… Tout aussi archaïque que le r roulé, pensez-vous ? Mais sûrement pas pour les Allemands chez qui cela reste une habitude bien ancrée ! Hast du die Maria gesehen? (as-tu vu la Maria ?), pourra-t-on alors vous demander. Dans le dialecte trentin du nord de l’Italie, influencé par les parlers germaniques, le même usage perdure parfois (sono l’Andrea, je suis Andrea).
Ce jeu des articles et des régionalismes m’amène à évoquer une autre expression souvent entendue dans le nord de la France (et moquée ailleurs dans le pays) : aller à messe. « Aller à LA messe ! », s’empresseront de corriger certains. Sauf que cette expression figée est tout à fait correcte dans ma région… mais aussi en italien (andare a messa et non andare alla messa), en espagnol (ir a misa plus courant que ir a la misa) et en roumain (să merg la slujbă). Puisque nous en sommes à mentionner l’usage des articles, remarquons que le mot horloge était autrefois masculin. Datant de 1389, le Gros-Horloge de Rouen a gardé son éclat d’autrefois… et son article ! Et en italien, l’orologio est resté masculin.
Les reproches faits à la langue française manquent parfois de logique. Ne dit-on pas que notre langue s’encombre de trop de lettres qui alourdissent l’écriture ? Et pourtant, dès le XVIe siècle, notre langue a adopté l’apostrophe pour marquer l’élision. Par souci d’esthétisme et de légèreté, on obtient alors l’enfant au lieu de le enfant ou l’école au lieu de la école. Une caractéristique partagée avec l’italien (on vient précisément de le voir avec l’orologio) mais pas avec l’espagnol (la escuela). Cette élision, on la retrouve aussi dans une expression toute faite : aujourd’hui. Contraction de l’expression « au jour de hui », elle est un peu redondante, hui (hoy en espagnol) signifiant déjà « en ce jour ». Les adeptes de la locution « au jour d’aujourd’hui » se retrouvent alors à dire « au jour du jour de ce jour » !
Toujours du point de vue des normes de l’écriture, la lettre s devant le t (déjà muette depuis le XIe siècle) a ensuite été remplacée par un accent circonflexe… mais conservée et prononcée dans d’autres langues (estre/être et estar en espagnol), dont l’anglais ! Ce qui donne par exemple forêt/forest, bête/beast et hôpital/hospital.
Quand le tilde faisait encore tilt…
Saviez-vous que le tilde (cette petite vague sur le n d’español) était autrefois utilisé par le roy de Frãce ? Servant à signaler les sons nasaux, il permettait d’orthographier des mots comme cõsidération (considération) ou cõtenu (contenu). Ce qui peut paraître ironique aujourd’hui était parfaitement normal et accepté en 1539. 1539, c’est l’année de la signature de l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui donne l’exclusivité au français face au latin dans le royaume de France. Un acte fondateur rédigé avec des tildes… et qui ferait sûrement des vagues aujourd’hui !