Vous êtes en Grèce, cette contrée mythique morcelée en milliers d’îles au littoral paradisiaque et aux ruines pittoresques. Contemplez les barques blanches du port. Savourez un tzatziki à l’ombre. Humez les oliviers sur les collines. Caressez le sable fin sur la plage. Tous vos sens sont en éveil. Et votre oreille ?
Elle se laisse chatouiller par une mélodie soufflée par l’Olympe et dont vous aimeriez saisir le sens. Italie, Espagne, Portugal… tous les pays d’Europe du Sud séduisent les étrangers par leurs langues chantantes. Mais la Grèce est une contrée à part. Le grec moderne est une langue orpheline, seule membre de sa famille. C’est ce qui la rend si fascinante !
Où parle-t-on grec ?
En Grèce, bien sûr, mais pas seulement ! Le grec est aussi l’une des deux langues officielles de Chypre (avec le turc). On compte environ 13 millions de grécophones (ou hellénophones) dont 11 millions en Grèce, 1 million à Chypre ainsi que quelques minorités en Turquie et en Albanie. En Calabre, dans le sud de l’Italie, une petite communauté parle le griko, un dialecte grec italianisé. Quant à la langue française, on estime que 10 % de notre langue est d’origine grecque !
Du grec ancien au grec moderne : un périple homérique
Impossible d’évoquer le grec moderne sans faire un peu d’histoire. L’alphabet grec apparaît vers – 1.000 avant J.-C. Du IXe au IVe siècle av. J.-C., c’est l’âge d’or du grec ancien, la langue morte encore enseignée de nos jours. À cette époque, la langue est encore loin d’être unifiée et les dialectes sont nombreux. À Athènes, on parle l’attique et en Ionie, l’ionien, dont dérive le dialecte homérique utilisé dans les poèmes épiques L’Iliade et L’Odyssée.
Alors, comment en est-on arrivé au grec moderne tel qu’il est parlé aujourd’hui à Corfou ou à Mykonos ? On y vient ! Sous le règne d’Alexandre le Grand, on parle la koinè. Puis, le grec médiéval s’impose du IIIe siècle au… XVe siècle ! Les bases du grec moderne sont déjà là. En 1453, la chute de Constantinople marque la naissance du grec moderne ou démotique (c’est-à-dire, par le peuple). Quelle odyssée !
Le grec moderne, langue d’exception en Méditerranée
À l’instar de l’arménien dans le Caucase, de nombreux linguistes considèrent aujourd’hui le grec moderne comme la seule langue indo-européenne de sa branche : la branche hellénique. L’existence de quelques dialectes comme le tsakonien, le pontique et le cappadocien (quelques centaines de milliers de locuteurs cumulés) conteste néanmoins cette approche. Ce qui rend la langue grecque si singulière, ce n’est pas seulement sa riche histoire. La langue grecque a finalement peu changé au cours des millénaires – en tout cas beaucoup moins que les autres langues du continent sur la même période. À la différence du latin qui a donné naissance à différentes langues dont l’italien, l’espagnol et bien sûr le français, le grec est resté unique.
Le grec n’a donc aucun lien de parenté avec l’espagnol ? Les étrangers sont pourtant nombreux à leur trouver des airs de famille. Et ce n’est pas un hasard ! Si la langue de Cervantès et celle d’Homère ne sont pas directement apparentées, elles partagent des consonnes identiques comme le J de Juan et le Χ de Χρήστος (Christos), le c de Barcelona et le θ d’Αθήνα (Athènes) ou encore le r roulé. Les deux idiomes possèdent également des diphtongues en commun comme ay/αϊ et oy/ωΐ. Enfin, parmi les sons les plus caractéristiques des deux langues, on trouve les os et les as, marque du pluriel en espagnol et du nominatif en grec que nous verrons plus loin.
24 lettres en 24 heures
Le grec donne l’apparence d’être une langue difficile en raison de son étrange alphabet. Les 24 lettres s’apprennent pourtant très vite ! Encore plus vite que les 33 lettres de l’alphabet russe. En maîtrisant déjà l’alphabet latin et le cyrillique, il est tout à fait possible d’apprendre l’alphabet grec en une journée. Et si vous releviez le défi ?
Alpha (A, α) et bêta (B, β) sont les deux premières lettres. Ce sont d’ailleurs elles qui sont à l’origine du mot alphabet ! Considérons-les comme acquises.
Consacrez votre matinée aux 9 lettres semblables aux françaises : epsilon (E, ε), zêta (Z, ζ), iota (I, ι), kappa (K, k), mu (M, μ), nu (N, ν), omicron (O, o), tau (T, t) et upsilon (Y, υ).
Puis pour l’après-midi, 13 lettres nouvelles, sauf pour les matheux et les scientifiques peut-être : gamma (Γ, γ), delta (Δ, δ), êta (Η, η), thêta (Θ, θ), lambda (Λ, λ), xi (Ξ, ξ), pi (Π, π), rhô (Ρ, ρ), sigma (Σ, σ), phi (Φ, φ), khi (Χ, χ), psi (Ψ, ψ) et oméga (Ω, ω). Elles se prononcent toutes comme la première lettre ou les deux premières lettres de leur nom (g, d, ê, t, l, ks, p, r, s, ph, kh, ps et o).
Il ne vous reste plus qu’à retenir que le point d’interrogation (?) est remplacé par un point virgule (;) et voilà ! Le système d’écriture grec n’a plus de secret pour vous !
Le grec moderne, au carrefour des langues européennes
Le grec moderne est pour bien des raisons une langue unique. Pourtant, il partage des ressemblances avec les langues romanes, germaniques et slaves, ce qui rend l’apprentissage accessible à la plupart des Européens.
Comme pour les langues néo-latines (à l’exception du français) les pronoms sont souvent omis. La terminaison des verbes conjugués suffit pour deviner le sujet. Comme l’allemand, le grec est une langue à déclinaisons avec trois genres (masculin, féminin et neutre) et quatre cas. Autrement dit, les mots changent de terminaison selon leur fonction dans la phrase. Dans les deux langues, le nominatif est le cas du sujet, l’accusatif celui du complément d’objet et le génitif celui du complément de nom. La différence survient au quatrième cas. Alors que la langue allemande utilise le datif (complément d’attribution), le grec moderne utilise lui le vocatif pour l’interpellation.
Mais la langue avec laquelle la grammaire du grec moderne possède les plus grandes similarités est le russe, autre langue à déclinaisons et à trois genres dont l’alphabet est directement inspiré du grec. Ce qui rapproche le grec du russe, et des langues slaves en général, c’est son système verbal complexe. En conjugaison russe, on distingue deux aspects : le perfectif pour une action complète, finie et l’imperfectif pour une action incomplète, en cours. De la même façon, le grec moderne fait la distinction entre l’aspect continu et l’aspect dit aoriste.
Considérée comme l’une des principales originalités du grec, cette catégorisation des verbes donne assurément un avantage aux russophones dans l’apprentissage. Pour autant, le grec est loin d’être une langue impossible à apprendre pour un francophone. D’ailleurs, aucune langue n’est impossible à apprendre avec suffisamment de motivation et de régularité !
Lexique de survie pour un séjour en Grèce
Finissons notre exploration du grec moderne avec un lexique de 10 mots et expressions basiques. Ceux-ci vous permettront de vous débrouiller dans les situations les plus courantes si vous prévoyez un voyage en Grèce !
Bon à savoir :
Le point d’interrogation ? n’existe pas en grec moderne. La marque d’interrogation est représentée par un ;
- Bonjour > καλημέρα (se prononce « kaliméra »)
- Je m’appelle… > Με λενε… (se prononce « Me lene…»)
- Je suis Français·e > Είμαι Γάλλος / γαλλικά (se prononce « Eímai Gállos / Galliká » )
- Comment allez-vous ? > Τι κανετε ; (se prononce « Ti kanété ? »)
- Je suis en vacances > Είμαι εδώ για διακοπές (se prononce « Eímai edó̱ gia diakopés »)
- Je comprends / Je ne comprends pas > καταλαβανω / Δεν καταλαβανω (se prononce « Katalavéno / den katalavéno »)
- Parlez-vous français / anglais ? > Μιλατε γαλλικα / aγγλικά ; (se prononce « Miláte galiká / angliká »?)
- Je voudrais… > Θα ήθελα… (se prononce « Tha í̱thela…»)
- Où est… ? > όπου… ; (se prononce « opou… ? »)
- Au revoir > Τα λεμε (se prononce « Ta leme »)
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