Près des côtes de la Tunisie et de la Libye, une petite île méditerranéenne semble être trop petite et discrète pour pouvoir faire parler d’elle. Aussi étendue que la ville de Munich en Allemagne, Malte donne l’impression d’être un caillou dans l’eau à côté de la Sicile voisine… quatre-vingts fois plus grande.
Contre toute attente, Malte est la preuve que la taille ne compte pas dans la constitution d’une culture distinctive. On y parle le maltais, la seule langue sémitique d’Europe. Et la seule (au monde !) de cette famille à utiliser l’alphabet latin.
Le maltais, une langue exceptionnelle
Quelles sont les langues sémitiques ?
Les langues sémitiques forment une famille linguistique principalement concentrée en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Comme langue sémitique d’Europe, le maltais est la seule exception du groupe. La principale langue de cette famille est l’arabe avec plus de 300 millions de locuteurs. Elle est suivie de l’amharique et du tigrigna, langues parlées en Éthiopie et en Érythrée, puis de l’hébreu. Loin derrière, avec seulement 500 000 locuteurs, se trouve le maltais. Oui, la langue maltaise est cousine de la langue arabe ! La langue trouve ses origines dans l’arabe sicilien, aujourd’hui éteint.
Malte : une île, deux langues
Depuis 2004, le maltais est la seule langue sémitique à figurer parmi les langues officielles de l’Union européenne. C’est aussi la moins parlée parmi les États membres. Mais Malte est également un bon exemple de territoire bilingue. Le maltais est la seule langue nationale, c’est-à-dire l’unique langue de la nation maltaise, mais le pays compte deux langues officielles. La constitution reconnait ainsi le même statut au maltais et à l’anglais. D’ailleurs, l’île principale regorge de dizaines d’écoles de langues pour apprendre l’anglais. Une destination atypique, à l’image d’Antigua au Guatemala qui attire de nombreux hispanisants. Y a-t-il cadre plus agréable qu’une école au bord de la Méditerranée pour se mettre à la langue de Shakespeare ? La plage elle-même peut-être, où il est possible de réviser ses leçons à l’air libre grâce à Babbel ! Quant à l’italien, il a certes perdu son prestigieux statut de langue officielle dans les années 1930, mais il est officieusement considéré comme la troisième langue de l’île.
La langue qui venait de l’Orient : la petite histoire de la langue maltaise
Alors, d’où la langue maltaise tire-t-elle son originalité ? Tout commence au IXᵉ siècle, lorsque les Fatimides, une dynastie islamique d’Afrique du Nord, colonisent la Sicile. La langue arabe s’impose ainsi dans la région et donne naissance à un nouveau dialecte : l’arabe sicilien. Les Fatimides poursuivent ensuite leur colonisation territoriale et linguistique de la Méditerranée en s’installant à Malte. Quelques siècles plus tard, les Normands mettent fin à la domination arabe sur ces îles. Mais la cohabitation des deux influences, musulmanes et chrétiennes, persiste à Malte. Lorsque les Normands abandonnent l’île, un nouveau régime, hostile à la culture orientale, chasse les musulmans de Malte. Seul reliquat du passage des Fatimides : la langue, qui reste teintée de sonorités arabes.
Séparé de l’arabe standard qui continue sa progression naturelle en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, l’arabe sicilien suit une évolution propre, en particulier à Malte. Contrôlée par l’Ordre de Saint-Jean au XVIᵉ siècle, une organisation de chevaliers catholiques, Malte adopte l’italien comme langue officielle pendant plus de quatre siècles. Les puissances se succèdent pour contrôler l’île, ce qui apporte diverses influences au parler local, notamment françaises et anglaises. L’arabe sicilien disparaît et progressivement, le maltais prend forme.
Le maltais et ses dialectes
Le maltais est loin d’être une langue uniforme. Surprenant pour un si petit territoire ! D’une région à l’autre de ce petit archipel de huit îles, dont seules quatre sont habitées (Malte, Gozo, Comino et Manoel), six dialectes sont répertoriés :
– le dialecte du port, dans la région de la Valette (la capitale), Birgu, Isla et Bormla
– le dialecte de Gozo
– le dialecte de Żebbug, dit du centre
– le dialecte des hautes terres
– le dialecte des basses terres de l’est
– le dialecte des basses terres de l’ouest
Les trois premiers dialectes sont considérés comme des dialectes urbains tandis que les trois derniers sont qualifiés de dialectes ruraux. Les dialectes urbains sont les plus proches du maltais standard, la langue nationale. Concrètement, les dialectes ruraux sont restés fidèles à l’arabe sicilien dans sa forme traditionnelle. Les similarités avec l’arabe littéraire sont plus marquées tandis que les influences des langues indo-européennes (français, anglais et italien) sont moins visibles. Dans les faits, les différences entre dialectes restent suffisamment faibles pour permettre la compréhension entre locuteurs. Les disparités se limitent essentiellement à des variétés de lexiques et de prononciation de voyelles.
Une langue insulaire sous influence du continent
Plus d’un millénaire après l’arrivée des Fatimides dans la région, la syntaxe et la grammaire du maltais restent étroitement liées à la langue du Coran. Plus précisément aux dialectes du Maghreb, l’arabe étant renommé pour sa situation diglossique, c’est-à-dire ses grandes différences d’un pays à l’autre. Un tiers du vocabulaire maltais contemporain dérive de l’arabe. Cela peut paraître beaucoup, mais c’est moins que la part de mots maltais d’origine italienne ou sicilienne, environ la moitié. Le reste du lexique, un peu moins de 20 %, provient majoritairement du français et de l’anglais, vestige du passage de ces autres colonisateurs sur l’île.
Aucun doute, le maltais est donc bien une langue sémitique. Mais pour être plus exact, on pourrait qualifier cette langue aussi atypique que fabuleuse de « dialecte arabe latinisé et anglicisé ». En quelque sorte, une langue romano-anglo-sémitique. La seule au monde. Vous vous sentez déstabilisé par cette langue singulière d’Europe ? Si vous parlez italien et un arabe dialectal, en particulier celui de Tunisie, vous pouvez comprendre le maltais en grande partie sans même avoir à l’apprendre !