À cheval entre la France et l’Espagne, le Pays basque est un petit territoire qui cache pourtant un grand trésor. L’ingrédient secret de la recette du gâteau basque ? Les collections picturales du Musée Guggenheim de Bilbao, alors ? La voix de ténor de Luis Mariano ?
Aussi appréciés des Basques que soient ces trois symboles culturels, la véritable raison de leur fierté légendaire, c’est la langue basque. Une langue unique qui recèle bien des mystères. Véritable casse-tête pour les linguistes, la langue basque (euskara en basque) ne manque pas d’intérêt.
La langue basque, isolée et fière de l’être
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la langue basque ne ressemble ni au français ni à l’espagnol. Ce n’est même pas une langue romane ! Le basque est ce qu’on appelle un isolat, c’est-à-dire une langue sans famille linguistique. C’est d’ailleurs le seul isolat qui subsiste en Europe. Une situation orpheline qui, loin d’attrister le peuple basque, semble plutôt le réjouir : la langue basque constitue le socle même de l’identité du Pays basque, ou Euskal Herria, qui signifie… « pays où l’on parle basque » !
Les habitants du Pays basque sont appelés quant à eux Euskaduna, littéralement « personne qui parle basque ». Une affirmation un peu exagérée, car seul un tiers environ des trois millions d’habitants de la région parlent encore la langue basque. On compte 800 000 locuteurs basques natifs, dont l’immense majorité (plus de 90 %) vit en Espagne. Dans la partie espagnole du Pays basque, l’euskara bénéficie même du statut de langue officielle au même titre que l’espagnol castillan.
Pour autant, la langue de Cervantès (et dans une moindre mesure celle de Molière) reste la langue véhiculaire des Basques, c’est-à-dire la langue qui leur permet d’interagir avec le reste de la nation espagnole. Les Basques bascophones sont donc majoritairement bilingues et parlent aussi espagnol ou français, les bascophones monolingues n’étant que quelques milliers. Une autre façon d’expliquer la légendaire fierté basque, étant donné le monolinguisme dominant en France et en Espagne !
La ou les langues basques ?
Ce qu’on dénomme usuellement « langue basque » est en réalité un abus de langage pour désigner le basque unifié (euskara batua). Un peu à l’image du créole, la langue basque regroupe en réalité plusieurs dialectes. Le biscayen, parlé à Bilbao, est le plus important avec environ 250 000 locuteurs. Le souletin dans le petit territoire français de la Soule est quant à lui le moins représenté : il compte moins de 10 000 locuteurs. Aux antipodes de l’échelle de répartition des bascophones, ces deux dialectes ont pourtant un point commun : ce sont les plus distincts dans leur forme du basque classique !
La langue basque unifiée s’est pour sa part construite sur la combinaison du guipuscoan parlé à Saint-Sébastien, du labourdin parlé à Bayonne et du navarrais parlé dans la région de Navarre. Si on veut être encore plus précis, il est possible de différencier le haut-navarrais parlé à Pampelune du bas-navarrais de Saint-Jean-Pied-de-Port. Et la différenciation pourrait se poursuivre entre haut-navarrais septentrional et méridional, et bas-navarrais occidental et oriental. On pourrait même citer le roncalais, éteint depuis la disparition de Fidela Berlat – sa dernière locutrice – au début des années 1990. Au total, la langue basque unifiée représente donc 12 dialectes !
La singularité exceptionnelle de la langue basque est donc double. D’un côté, c’est un idiome qui a réussi l’exploit de résister et de préserver un îlot linguistique entre deux grands pays latins à la langue influente. De l’autre, le basque présente une situation diglossique inouïe pour une si petite langue.
On parle de diglossie lorsqu’il existe une différence entre une langue classique et unifiée (ici, l’euskara batua) et ses dialectes. Le cas le plus significatif de diglossie à l’échelle mondiale est sans doute celui de l’arabe dont la forme classique ou littérale (celle du coran) diffère des dizaines de dialectes parlés en pratique (arabe marocain, algérien, tunisien, égyptien…).
D’où vient la langue basque ?
Le basque serait l’une des plus vieilles langues du monde encore parlées. Les hypothèses affluent sur ses origines sans qu’aucune ne parvienne à faire l’unanimité chez les linguistes. Certains disent qu’elle dériverait de l’ibère, ancienne langue de la péninsule ibérique, éteinte depuis le IIe siècle. Pour d’autres, elle serait plutôt de la famille des langues finno-ougriennes (hongrois, finnois, estonien…). D’autres encore affirment qu’elle viendrait du Caucase. Voire de l’Afrique du Nord et de ses langues berbères ! Mais les preuves manquent et les indices semblent conduire à de fausses pistes.
« Euskara, j’ai trouvé ! »
Quelles sont les particularités de la langue basque ? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles sont nombreuses. Jugez plutôt…
Comme l’anglais, la langue basque ne possède pas de genre masculin et féminin. Comme le danois, elle utilise l’article défini postposé, qui consiste à placer l’article en fin de mot. Par exemple, en danois husene (les maisons) est la combinaison du mot huset (maison) et ene (marque du pluriel défini). En combinant les deux, on obtient alors husene (littéralement maisonsles). Le même principe s’observe dans la langue basque avec etxee, combinaison de exte (maison) et ee (marque du pluriel).
Comme le turc enfin, le basque est une langue agglutinante. Autrement dit, au lieu d’utiliser un groupe de mots, la langue se construit en agglutinant les suffixes et les préfixes autour d’un même mot. Pour dire « dans les maisons » en basque, on dira donc etxeetan (littéralement « maisons+les+dans » en un seul mot). Et pourtant, le basque n’est directement apparenté à aucune de ces langues. Aujourd’hui, le mystère de cet isolat reste entier. Il faudra encore patienter un peu avant de pouvoir enfin s’écrier « Euskara, j’ai trouvé… d’où tu viens » !