La Roumanie compte plus d’un million de Roms, à peu près 5 % de la population totale du pays. D’où les confusions fréquentes entre les termes Roms et Roumains pris comme synonymes. On pourrait penser que le mot « rom », proche du mot « roumain », en est l’abréviation.
À tort, car le romani est la langue des Roms : un peuple traditionnellement nomade, aujourd’hui majoritairement sédentarisé et implanté dans de nombreuses régions d’Europe. C’est une langue indo-européenne, et même la seule langue indo-iranienne du vieux continent.
Où parle-t-on romani ?
Peuplée de 20 000 habitants, la ville de Chouto Orizari (Шуто Оризари) en Macédoine du Nord est le seul territoire au monde à reconnaître le romani comme langue officielle !
Le romani (plus rarement, rromani) n’est donc la langue officielle d’aucun pays. Selon les sources, le nombre de locuteurs varie de 1,5 million à 10 millions. Plus vraisemblablement, le romani serait parlé par 4 à 6 millions de personnes. Cela ne reste qu’une estimation puisqu’il n’existe aucune statistique officielle à ce sujet.
En raison de ses contacts historiques avec de nombreuses autres langues, le romani est loin d’être une langue unifiée. On compte des dizaines de dialectes différents dont les trois principaux sont le sintikès, le romani des Balkans et le romani vlax. La Roumanie, la Bulgarie et la Russie sont les pays qui comptent le plus de locuteurs du romani avec plus de deux millions cumulés. En France, ils sont environ 200 000.
Du Gange jusqu’au mont Olympe : le long voyage du romani
À l’image de son peuple, le romani a fait un long voyage depuis la vallée du Gange en Inde jusqu’aux régions largement urbanisées de l’Europe occidentale. Probablement chassés de l’Uttar Pradesh par le sultan Mahmoud de Ghazni au début du XIe siècle, les Roms ont d’abord migré en Asie puis au Moyen-Orient.
De par son histoire, le romani dérive du sanskrit et est directement apparenté aux langues de l’Inde du Nord telles que le hindi ou le rajasthani avec lesquelles il partage une grande partie de son vocabulaire. Au cours de sa longue traversée des continents, le romani a été influencé par deux territoires majeurs : la Perse (l’actuel Iran) et l’Arménie.
La langue a alors emprunté un grand nombre de mots au persan et à l’arménien avant de poursuivre son périple en Europe. Une fois arrivés dans les Balkans, les Roms se sont installés un certain temps en Grèce dont la langue a elle aussi eu un impact sur la syntaxe et le lexique du romani.
Divisés par une si longue migration et menacés par l’Empire Ottoman, les Roms se sont alors dispersés dans différentes régions du centre, du nord et de l’ouest du continent. Les premiers Roms seraient ainsi arrivés en France au XVe siècle.
Riche d’une tradition orale de plusieurs siècles, le romani ne s’est doté que tardivement d’une écriture. Après avoir utilisé les alphabets grec, arabe puis cyrillique, reflets des nombreuses civilisations rencontrées, le romani a adopté officiellement une variante de l’alphabet latin dans les années 1980.
Tsiganes, Bohémiens, Roms… : des origines bien différentes !
Parce que les amalgames sont fréquents, une mise au point s’impose :
- « Tsiganes » est un terme générique qui désigne toutes les ethnies itinérantes, indépendamment de leur région d’origine.
- Les Bohémiens désignent les Tsiganes venus de Bohême, une région de la République Tchèque.
- Les Gitans désignent les Tsiganes historiquement installés en Grèce et associés à l’Égypte, leur supposée région d’origine. Cette croyance a donné le mot gypsy en anglais, puis gitan en français.
- Les Sinté désignent les Tsiganes d’Allemagne et d’Autriche, massivement déportés et exterminés au cours de la Seconde Guerre mondiale.
- « Roms » est le terme utilisé par les Tsiganes pour se désigner dans leur langue, le mot « rom » signifiant tout simplement homme en romani.
Endonymie ou exonymie ?
- L’endonymie est le fait pour une population d’utiliser un nom pour se désigner elle-même. À ce titre, le terme « Rom » est qualifié d’endonyme par opposition au mot tsigane, qui est lui un exonyme – c’est-à-dire le nom donné à une population par un autre peuple.
- Les mots Deutsch et Deutschland, qui signifient respectivement « Allemand » et « Allemagne » sont d’autres exemples d’endonymes. Ils n’ont d’ailleurs aucune ressemblance avec leurs différents exonymes : German/Germany en anglais, Germania/Tedesco en italien, etc.
Fait rare pour un endonyme, le terme « rom » s’est exporté dans les autres langues. Avant qu’il ne devienne péjoratif, le terme « romanichel » était également utilisé comme synonyme de « rom ». Le suffixe -cel (prononcé tchel) signifie lui peuple, groupe.
Il existe enfin un autre mot qui signifie homme en romani, proche des mots anglais man, allemand Mann et russe муж (prononcé mouche) : manus, qui se prononce manouche. Négativement connoté, le mot a été abandonné. Depuis les années 1970, le terme « Rom » est le seul reconnu par l’Union Romani Internationale (URI, en romani Romano Internacionalno Jekhetanipe), l’ONG qui œuvre pour les droits des Roms.
Les origines roms de l’argot français
Si le romani a été influencé au cours de son long voyage, il a lui aussi eu des influences sur d’autres langues… dont le français ! Un certain nombre de mots argotiques français tirent ainsi leur origine du romani :
Le romani dans l’argot français :
- « chourer », de čor (voler)
- « rupin », de rup (argent)
- « berge » (pour parler d’un âge), de bers (année)
- « surin », de churi (couteau)
- « choucard », de shukar (beau)
- « poucave », de pukhav (dénoncer)
- « pillave », de piyav (boire)
- Et aussi gadjo (personne non rom), vago (voiture), etc.
Quant à l’anglais, le mot lollipop (sucette) viendrait de l’angloromani (variante du romani parlé par les Roms du Royaume-Uni) loli (rouge) et pabaj (pomme). La pomme rouge aurait d’abord désigné la fameuse « pomme d’amour » des fêtes foraines avant de s’étendre à la sucette en général. Une initiation linguistique qui nous montre que si tous les chemins mènent à Rome, il y en a beaucoup d’autres qui mènent au romani !
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