Langues singulières d’Europe : l’artistique arménien

Petite par la taille, grande par les traditions, l’Arménie est un pays à la culture distinctive. Entre les plaines d’Ararat et les ruelles ombragées d’Erevan, découvrez les secrets de la langue arménienne !
À la découverte de l'Arménie et de la langue arménienne

Bienvenue en Arménie – ou plutôt : Բարի գալուստ Հայաստան, comme on dit en arménien.  Petit pays isolé entre Europe et Asie dont la capitale est Erevan (Երևան), l’Arménie est réputée pour son hospitalité, sa gastronomie orientale, ses monastères et ses sommets enneigés. C’est sans doute cette situation géographique particulière qui a contribué à l’émergence d’une culture unique. Et d’une langue tout aussi originale : la langue arménienne est, en effet, la seule langue officielle indo-européenne du Caucase. Mais contrairement au français (et aux langues romanes), à l’allemand (et aux langues germaniques) ou encore au russe (et aux langues slaves), la langue arménienne constitue à elle seule une branche linguistique. Après le géorgien, partons à la découverte de l’arménien ! 

Arménien oriental et arménien occidental

Combien de personnes parlent arménien ? En 2013, la langue arménienne comptait environ 4 millions de locuteurs. Mais il faut distinguer l’arménien oriental, langue officielle de l’Arménie également parlée en Russie, en Géorgie, en Iran et dans le territoire contesté du Haut-Karabagh, de l’arménien occidental, parlé par la diaspora en Occident depuis le XXe siècle. L’arménien oriental conserve des similarités plus fortes avec l’arménien classique, langue mère éteinte vers le XIe siècle.

Malgré quelques différences de vocabulaire, d’expressions et de prononciation, et dans dans une moindre mesure de grammaire (conjugaisons et déclinaisons), arménien oriental et occidental restent pourtant mutuellement intelligibles. En d’autres termes, la compréhension entre les locuteurs n’est pas réellement affectée. Cette distinction peut être rapprochée de celle faite entre l’anglais britannique et l’anglais américain.

L’art à l’arménienne : lettres et monuments

Quel est le point commun entre l’arménien et le grec ? Ce sont les deux seules langues indo-européennes qui possèdent leur propre alphabet ! En effet, la majorité des langues indo-européennes utilisent l’alphabet latin, l’alphabet cyrillique, et — plus rarement — la devanagari (hindi, népalais…) ou l’alphabet perso-arabe. La langue arménienne est en revanche la seule au monde à utiliser l’aybuben, ou այբուբեն.

Pour en expliquer cette spécificité, il nous faut remonter aux premières traces d’expansion du christianisme dans le Caucase. Au Ve siècle, l’Arménie est l’un des premiers pays à adopter la religion chrétienne. En 405, l’alphabet arménien est alors créé par Mesrop Machtots pour traduire la Bible. Faites d’une combinaison d’arrondis, de barres et de boucles, les 38 lettres actuelles de l’alphabet arménien semblent parfois évoquer des voûtes, des ponts, des arcades ou des toits.

À mi-chemin entre l’art décoratif et architectural, l’aybuben est un alphabet très graphique. Il dispose même de son propre monument depuis 2005 ! Pour fêter les 1 600 ans de l’écriture arménienne, 38 statues représentant chacune une lettre de l’aybuben ont été érigées à Artashavan, au centre du pays. Élevé au rang de trésor national, l’alphabet arménien exprime également son potentiel esthétique à travers le trchnakir. Cet art calligraphique traditionnel consiste à dessiner les lettres arméniennes sous la forme d’oiseaux colorés et dorés. Ces créations sont ensuite fièrement exposées sous un cadre dans son salon ou à l’entrée de la maison.

Le monument érigé à la gloire de la langue arménienne et de son alphabet, érigé en 2005
Le monument à la gloire de la langue arménienne et de son alphabet, érigé en 2005 – Wikipedia Commons

L’originalité de l’écriture arménienne ne s’arrête pas là, puisque la ponctuation est, elle aussi, bien différente. En arménien, le point final de la phrase est remplacé par « : » tandis que les deux-points sont remplacés… par un « . » ! Le point d’interrogation prend quant à lui la forme d’un « ՞ » qui se place directement après l’objet de la question. La même logique s’applique au « ՜ », équivalent arménien du point d’exclamation.

Pas tout à fait allemand ni vraiment italien, c’est l’arménien !

La langue arménienne est-elle réellement à part ? Pas complètement : la grammaire arménienne partage, par exemple, certains points communs avec d’autres langues indo-européennes. Comme en anglais, l’arménien ne possède ni genre masculin ni féminin. Quel soulagement, diront ceux qui se sont lancés dans l’apprentissage du russe ou de l’allemand et leurs trois genres (masculin, féminin et neutre) !

Ne vous réjouissez pas trop vite. Pour compenser l’absence de genre, l’arménien s’appuie un système de déclinaisons à sept cas. En comparaison, l’allemand en compte quatre et le russe six. On retrouvera les cas communs que sont le nominatif (sujet), l’accusatif (COD), le datif (COI) et le génitif (complément du nom), ainsi que le locatif (localisation spatiale) et l’instrumental (expression du moyen), que l’on retrouve également en russe. L’ablatif, spécifique à la langue arménienne, est pour sa part réservé à l’expression du déplacement.

Autre point commun entre l’arménien et les langues romanes, cette fois au niveau de l’organisation des verbes. Comme en français, on distingue trois groupes de verbes. Comme les langues latines (à l’exception du français), l’utilisation du pronom personnel devant le verbe n’est pas nécessaire : la terminaison suffit à elle-même pour deviner quel est le sujet.

Un voyage de la langue française en Arménie

France et Arménie sont unies par des liens politiques, culturels et linguistiques particulièrement forts. Tandis que l’Europe occidentale s’embourbe dans la Première Guerre mondiale, deux événements historiques majeurs sont à l’origine d’une émigration massive d’Arméniens vers la France : le génocide arménien d’abord, perpétué entre 1915 et 1917, puis la Révolution d’Octobre en 1917. Aujourd’hui, la communauté arménienne vivant en France compte 600 000 membres, ce qui fait d’elle la plus importante d’Europe de l’Ouest. Preuve des forts liens existants entre les deux pays, on dénombre également plus de 200 000 francophones en Arménie.

Le cheminement de la langue de Molière en Arménie ne s’arrête pas là ! On retrouve ainsi de nombreuses influences dans le vocabulaire arménien, en particulier pour le lexique qui a trait au voyage et aux moyens de transport. Ainsi, les mots arméniens pour garage (գարաժ), chaussée (շոսսե), béton (բետոն), pare-brise (պարբրիս) et valise (վալիզ) sont directement empruntés au français… mais aussi indirectement.

En effet, certains de ces mots français sont également utilisés dans la langue russe (garage <-> гараж, béton  <-> бетон …), soulignant le fait que l’Arménie faisait partie intégrante de l’URSS pendant près de 70 ans. Côté prénoms, on s’étonnera de discuter avec Serge (Սերժ), Edmond (Էդմոն), Arnaud (Առնո)… et même Marat (Մարատ), prénom arménien célèbre qui rend hommage au célèbre révolutionnaire français assassiné dans son bain. Mais s’il y a un mot arménien à retenir et à utiliser durant le voyage, c’est bien մերսի. Comme en turc, en farsi, en roumain ou en bulgare, ce petit mot arménien signifie et se prononce… « merci » !

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