S’il est un dramaturge que tous les élèves francophones ont étudié, c’est bien celui-là ! Impossible de passer à côté des Fourberies de Scapin, ou du Médecin imaginaire : il est au programme dans tous les collèges ! Et pour cause : le nom de Molière est invariablement associé à la langue française… au point d’être considéré comme son plus grand ambassadeur. Mais qui était-il ? À l’occasion des 400 ans de la naissance de Molière, revenons sur sa vie, son œuvre et l’héritage laissé à la posterité.
De Jean-Baptiste Poquelin à Molière, une courte biographie
Les débuts difficiles d’un dramaturge
Molière, de son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin est né en 1622. Son père étant tapissier du roi, et Jean-Baptiste, aîné, il ne se prédestinait absolument pas au théâtre ! Pourtant, dès ses 21 ans, il créé sa première troupe avec des amis, dont la fratrie Béjart : l’Illustre Théâtre. Cependant, le succès ne venant pas, les dettes commencent à s’amonceler. La troupe quitte alors la capitale en 1646 et part en tournée en province. Pas facile à l’époque de vivre au sein d’une troupe itinérante, surtout face à un clergé souvent très réfractaire aux représentations théâtrales. Molière et les Béjart sont finalement accueillis dans une nouvelle troupe, dirigée alors par un comédien du nom de Charles Dufresne. À l’été 1953, ils gagnent la protection d’Armand de Bourbon, Prince de Conti, ce qui leur ouvre de nouvelles portes, leur permettant ainsi de jouir d’une nouvelle prospérité.
Durant cette période, Molière écrit ses premières grandes comédies : des farces, d’inspiration italienne, reposant sur des mécanismes comparables à ceux utilisés par la Comedia dell’arte. En 1658, et alors que la troupe a perdu la protection du Prince de Conti, elle est considérée comme la meilleure « troupe de campagne ». Les comédiens décident alors de retenter leur chance à Paris !
La revanche parisienne
Cette fois, l’aventure parisienne se passe bien mieux pour leur petite troupe déjà très renommée. La protection de Philippe d’Orléans, frère unique du roi, dit « Monsieur », leur permet de se produire au Louvre devant un public de premier ordre : Mazarin, Anne d’Autriche, et Louis XIV. Rien que ça ! Le succès de cette représentation et la “validation” du Roi leur ouvrent les portes du Théâtre du Petit Bourbon. La “Troupe de Monsieur” y jouera pendant deux ans ; troupe dont Molière prendra officiellement la direction en 1659.
C’est sa pièce Les Précieuses Ridicules, jouée pour la première fois en novembre 1659, qui va définitivement asseoir le triomphe de Molière ! C’est un énorme succès, et Molière est publié pour la première fois.
Le saviez-vous ?
En avril 1660, au décès de son frère cadet, la charge de tapissier du roi et valet de chambre revient de fait à Molière. Il l’honorera jusqu’à sa mort, impliquant sa présence chaque matin au lever du roi, et ce, pendant un trimestre par an !
Le temps des polémiques
Du théâtre du Petit Bourbon, la troupe passe au théâtre du Palais Royal ! La première nouvelle pièce qu’ils y jouent, de type comique héroïque, Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux, est un échec cuisant. On reproche notamment le jeu tragédien de Molière. Cette fois, c’est bon ! Molière comprend qu’il est meilleur en comédie : tant dans ses pièces que dans son jeu.
La farce à l’époque n’est pas très bien vue, parfois perçue comme populaire, voire vulgaire. La tendance était à la tragédie. Mais Molière finit (presque malgré lui) à redonner ses lettres de noblesse à la comédie. « Il ne pouvait entrer dans le sérieux et plusieurs personnes assurent qu’ayant voulu le tenter, il réussit si mal la première fois qu’il parut sur le théâtre qu’on ne le laissa pas achever. Depuis ce temps-là, dit-on, il ne s’attacha qu’au comique ! » (citation de Grimarest).
En 1661, la pièce L’École des maris réconcilie Molière avec le succès ! Puis, en 1662, la troupe crée L’École des femmes : c’est le temps des premières polémiques avec cette pièce dite “amorale” par certains détracteurs qui attaquent aussi Molière sur sa vie privée.
Il leur fait passer un message un peu plus tard avec L’Impromptu de Versailles, où il se moque des comédiens en mettant en scène sa propre troupe en train de répéter : c’est sa façon de demander à ses ennemis d’arrêter de s’en prendre à sa vie privée.
En 1664, c’est la première de Tartuffe, jouée devant le Roi, qui l’applaudit ! Malheureusement, celui-ci est persuadé par un archevêque de l’interdire. Car oui, cette pièce plaît peu au clergé puisqu’elle prend position sur une question épineuse de l’époque : la séparation de l’Église et de l’État. Les dévots en prennent pour leur grade et se sentent ridiculisés.
La consécration royale
La version définitive du Tartuffe sortira en 1669, après cinq années de remaniement et de nombreuses réécritures. Là, plus de doute : c’est un véritable triomphe ! Elle devient la pièce la plus longtemps jouée.
Jusqu’à sa mort en 1673, Molière enchaînera les succès. Durant les quatorze saisons depuis son arrivée à Paris, sa troupe jouera 95 pièces et près de 2500 représentations. La plupart de ses satires peuvent paraître inoffensives à ses contemporains. Pourtant, de nombreux sujets y sont moqués en toute subtilité : la médecine, la religion, le désir de liberté, les contraintes sociales, l’institution du mariage, la vieillesse, la jalousie, les directeurs de conscience, la place des femmes…
Les comédies-ballets
C’est parce qu’il sait combien le Roi apprécie les ballets qu’il crée ce nouveau genre, les “comédies-ballets”, mêlant théâtre, chant et danse. La première pièce de ce genre, Les Fâcheux, aurait été “conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours”, aux côtés notamment de Jean-Baptiste Lully, pour la musique.
Homme hyperactif jusqu’au bout – acteur, auteur, gestionnaire, chef de troupe et tapissier royal -, Molière décède le 17 février 1673, juste après la quatrième représentation du Malade imaginaire, un an jour pour jour après la mort de Madeleine Béjart. Une semaine après, les représentations reprennent, avec de nouveaux comédiens dans les rôles d’Alceste et d’Argan. Et les représentations ne s’arrêtèrent jamais depuis !
La naissance de la Comédie française
En 1680, après sa mort, les deux principales troupes de théâtre de Paris, rivales, sont fusionnées : c’est la naissance de la Comédie-Française. Depuis, la Comédie française est la troupe qui a le plus joué le théâtre de Molière de manière ininterrompue ! Elle lui est intimement associée. Et, pourtant, Molière n’a jamais intégré la prestigieuse institution !
Le français, langue de Molière
Alors s’il est certes indiscutable que Molière occupe une place particulière dans l’histoire de la littérature française, comment est née cette expression ?
Cette règle de caractériser une langue par un de ses célèbres auteurs n’est pas propre à la francophonie. Tandis que le français devient la langue de Molière, on fait référence à la langue de Goethe pour parler de l’allemand ; à la langue de Shakespeare of course, pour les anglophones ; ou bien encore à la langue de Cervantès lorsqu’il s’agit de l’espagnol. Ces références font d’ailleurs référence à une langue relativement soutenue, puisque ramenée à un de ses grands auteurs classiques.
Molière érigé en héros national
L’expression aurait peut-être commencé d’être utilisée dès le XVIIᵉ siècle : c’est le moment où la France devient la langue diplomatique en Europe. C’est l’époque du grand rayonnement, sous Louis XIV, et la langue française est adoptée comme la langue d’usage dans de nombreuses cours européennes. Forcément, on y parle de Molière !
Mais c’est surtout au XIXᵉ siècle que cette utilisation est popularisée. Face aux puissances montantes, chaque pays se cherche un héros. En France, on pense alors à Molière, dans la lignée d’un Vercingétorix, ou d’un Rabelais. Il devient alors l’incarnation de “l’esprit français”, mettant à l’honneur cet esprit irrévérencieux, de ceux qui dénoncent avec élégance.
Une puissance comique contemporaine
Ce qui est particulièrement marquant avec le comique de Molière, c’est qu’il est extrêmement ancré dans les références à l’actualité, d’une façon transposable quelle que soit l’époque. Son humour, à la manière d’un « humoriste », comme on l’appellerait aujourd’hui, utilise des mécanismes qui peuvent être réactualisés. Ses moqueries sur les snobs, les riches, les “bienpensants” sont finalement très modernes.
Ses pièces traversent d’ailleurs les frontières, en francophonie et ailleurs. Molière est le dramaturge de langue française le plus lu joué et traduit dans le monde : ce n’est pas pour rien ! Beaucoup de cultures se sont réappropriées les comédies de Molière. L’emprise de la religion, le mariage arrangé : si ces thématiques nous parlent peu aujourd’hui en France, c’est un théâtre de notre temps dans différentes régions du monde.
Son comique et son verbe contemporains confirment qu’aujourd’hui encore, la langue française reste bel et bien, la langue de Molière !