Quand on parle de culture, on pense à l’art, à la musique, au cinéma, à la littérature… Et on oublie souvent l’humour. Pourtant, l’humour fait partie intégrante d’une culture. Rit-on des mêmes choses en français, en anglais et en allemand ? Pas vraiment. L’humour est propre à chaque langue. Si les répliques des Nuls, des Inconnus et des Visiteurs sont considérés comme classiques par beaucoup de Français, leur humour n’est pas universel. Humour anglais, russe ou allemand : comment notre langue et notre culture affectent-elles notre perception de ce qui est drôle ? Babbel vous aide à progresser en langues grâce au rire !
Quelles sont les principales formes d’humour ?
Commençons par un aperçu des principales formes d’humour :
- L’humour noir prend pour cible des sujets graves et sensibles pour choquer et faire rire. Cet humour peut être jugé blessant par certaines personnes ou cultures, en fonction du contexte.
- L’ironie, ou second degré, consiste à dire le contraire de ce qu’on pense. Quand l’ironie est une façon déguisée de faire une critique, on parle de sarcasme.
- La parodie détourne une œuvre ou une situation réelle pour la tourner en ridicule. On la retrouve au cinéma et dans la chanson, mais aussi de plus en plus dans la presse. En France, Le Gorafi est réputé pour ses faux articles qui se moquent des actualités. On trouve de nombreux équivalents à l’international (Il Lercio en Italie, Der Postillon en Allemagne, El Mundo Today en Espagne, etc.). Lorsqu’il s’agit de dénoncer, la parodie devient par une satire.
- Les calembours, contrepèteries et autres jeux de mots s’amusent avec les ressemblances entre les mots et les sons. C’est l’une des formes d’humour les plus compliquées à traduire, car elle est propre au vocabulaire de chaque langue. Pierre Desproges, Pierre Dac, Francis Blanche et Raymond Devos étaient réputés pour leurs mots d’esprit. On peut aussi citer la bande dessinée Le Chat de Philippe Geluck.
- Le burlesque repose sur les gags visuels, parfois volontairement exagérés, et le comique de geste.
- L’auto-dérision est la capacité de rire de soi-même ou de sa propre culture.
- L’absurde est basé sur le non-sens.
Le saviez-vous ? Il existe un mot en indonésien pour qualifier une blague tellement nulle qu’elle fait rire. Ce mot, javus, mériterait de se répandre dans toutes les langues… car aucune culture n’échappe à ce genre de blague !
L’humour anglais, subtil mélange d’absurde et d’humour noir
L’humour anglais fait appel au nonsense et à l’humour noir. C’est une forme d’humour complexe et décalée, pas toujours comprise à l’étranger. Pour brouiller les pistes, les Britanniques sont adeptes du « pince-sans-rire » (deadpan, en anglais). Cette attitude consiste à faire de l’humour en restant sérieux pour semer le doute sur ses intentions.
Depuis des siècles, c’est-à-dire au moins depuis Shakespeare, le Royaume-Uni a aussi recours au slapstick, une forme d’humour très visuelle qui peut se passer de traduction. Charlie Chaplin, Benny Hill ou encore Mister Bean, qui ont tous connu un succès international, en sont les dignes héritiers modernes. En France, Pierre Richard et Louis de Funès, célèbres jusqu’en Sibérie, sont d’autres représentants du genre. Quand on parle d’humour anglais, on cite souvent les Monty Python qui sont l’incarnation même de la comédie absurde à la sauce anglaise. Dans les années 2000, plusieurs séries télévisées britanniques ont remporté un certain succès critique pour leur humour sophistiqué. Il s’agit par exemple de Little Britain, The IT Crowd, ou encore Black Books.
Le saviez-vous ? Si le mot « humour » nous vient de l’anglais (humour pour les Britanniques, humor pour les Américains), c’est en réalité un emprunt au français « humeur ». Autrefois, « avoir de l’humeur » était une façon de communiquer sa joie de vivre. Aujourd’hui, on retrouve cette étymologie dans un grand nombre de langues. Humor en allemand, umore en italien, юмор en russe, etc.
Humour anglais, italien ou allemand : une histoire (drôle) de langues et de cultures
En Italie, le burlesque est très présent. C’est un héritage direct du théâtre populaire, en particulier de la commedia dell’arte. De nos jours, Roberto Benigni et ses gags exagérés rend hommage à cet art. Pour son one-man show TuttoDante, il s’inspire directement de la Divine Comédie de Dante.
Plus qu’une question de langue, l’humour est une question de culture. Ainsi, on ne rit pas forcément des mêmes choses en France et au Québec, même si on parle la même langue. Même différence entre l’Espagne et l’Amérique latine, ou entre Londres et Washington. Dans les années 1990, le clown américain Jango Edwards était très présent sur les plateaux de la télévision française. Son humour, jugé vulgaire voire agressif par certains, n’a rien à voir avec l’humour anglais raffiné. On y retrouve à l’inverse certains codes du cirque. C’est également le cas de El Chavo del Ocho, série mexicaine très populaire dans les années 1970 sur un orphelin qui vit dans un tonneau.
Et les Allemands dans tout ça ? Ont-ils le sens de l’humour ? La question peut paraître dure. C’est pourtant un cliché tenace qui colle à la peau des Allemands. Ils n’auraient aucun humour. Bien sûr, c’est faux. Les Allemands ont, eux aussi, une façon bien à eux de faire rire. Ce qui est vrai, c’est que leur langue est peut-être moins sujette aux ambiguïtés et au « double sens » de par sa grammaire. Là où nos voisins germaniques excellent, c’est dans la maîtrise de l’anti-humour (Antiwitze). Cette forme d’humour alternatif repose sur une chute volontairement pas drôle pour tromper le public et, indirectement, faire rire. Prenons un exemple. „Zwei Männer gehen über eine Brücke. Der eine fällt ins Wasser, der andere heißt Helmut!“ En français : « Deux hommes traversent un pont. L’un tombe à l’eau, l’autre s’appelle Helmut ! » Voilà.
L’humour allemand prend bien d’autres formes. Le cliché des « Allemands sans humour » serait lié à celui d’une langue très normée et d’une société très rigide et disciplinée. Ironiquement, la culture allemande compte un nombre très important de sous-cultures créatives qui cassent les codes. Des producteurs de musique électronique underground de Berlin à la Freikörpelkultur, les Allemands sont souvent là où on ne les attend pas. Et ça vaut aussi pour l’humour. L’Allemagne est aussi un pays très attaché à la satire politique et sociale. On en trouve quelques exemples dans le film La Vie des Autres (Das Leben der Anderen). Les pénuries, la corruption et la censure subies sous le IIIe Reich et pendant la période communiste sont de grandes sources d’inspiration. Et c’est aussi le cas en Russie.
Quand l’Histoire s’en mêle : le cas de l’humour noir en Russie
L’anekdot (анекдот) représente l’humour russe par excellence. Emprunté au français « anecdote », l’anekdot russe est une blague politiquement incorrecte qui tourne le pouvoir en dérision. Elle raconte souvent une anecdote de la vie courante, d’où son nom, en faisant passer un message plus profond. À l’époque de la Russie impériale, la tradition orale de l’anecdote était déjà répandue pour dénoncer la puissance du tsar et s’insurger de la misère du peuple. Cette histoire courte s’attaque à un contexte plutôt qu’à une personne en particulier. La preuve : les régimes autoritaires se suivent, les blagues restent. Cette forme d’humour typiquement russe connaît son apogée à l’ère soviétique. Brejnev lui-même, conscient des histoires drôles qui circulaient à son sujet, le prenait comme un honneur. On raconte qu’il considérait cela comme un signe d’affection du peuple envers lui. « Qui aime bien, châtie bien », en quelque sorte.
Depuis le début des années 2010, l’anekdot est remise au goût du jour en Russie pour s’attaquer à Poutine. C’est une forme d’humour très vive, appréciée par l’opposition, en particulier avec le contexte de la guerre en Ukraine. Alors, quelle est la différence entre une bonne anekdot et une mauvaise ? Réponse : Cinq ans de camp. L’humour ne consiste pas simplement à rire pour rire mais à prendre conscience de certains problèmes en les évoquant autrement. Et c’est parce que chaque peuple a ses problèmes, que l’humour est aussi une question de langue, de territoire et d’époque.
L’humour peut-il être universel ?
Avec la mondialisation et l’exportation des comédies américaines, on assiste à un certain « lissage » de l’humour. La nouvelle génération, peu importe la langue, s’abonne aux créateurs de contenus qui tournent des pranks. Il y a peut-être plus en commun entre un Américain de 20 ans et un Français du même âge qu’entre ce dernier et ses parents. Les jeunes Français rient-ils toujours autant de La Cité de la Peur, comédie culte des années 1990 ? Rien n’est moins sûr. Alors que l’humour s’uniformise, les différences humoristiques et culturelles ont tendance à disparaître.